Femmes migrantes à statut précaire

« Tu ne dois pas laisser une personne sans soins »

Une famille dénonce des failles de l’assurance maladie subies par des femmes enceintes migrantes au statut précaire

En janvier 2020, Katerine Forero a dû accoucher à Montréal dans des conditions pénibles : sans assurance maladie ni argent, parce qu’elle était une femme migrante à statut précaire. L’organisme Médecins du monde, qui prend en charge des personnes marginalisées, rapporte être témoin d’environ 300 cas similaires par année.

Originaire du Venezuela, Katerine a donné naissance à sa première fille à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Elle n’avait à l’époque pas de carte de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). C’est son mari, Emmanuel Bencosme, qui payait toutes les factures médicales.

Au Québec, un accouchement sans complications coûte de 8934 à 17 280 $ à une personne qui n’a pas d’assurance maladie. Comme Emmanuel était couvert par la RAMQ, certains frais pour le traitement du bébé ont pu être déduits de sa facture.

Mais le montant pour le travail du médecin s’élevait tout de même à environ 3000 $. « Il me restait juste 500 $ dans mon compte, raconte-t-il. Je ne savais pas quoi faire. Ma femme donne vie à un être humain, ils agissent comme si c’était un objet qu’on doit payer. Je ne suis carrément pas d’accord. »

Emmanuel Bencosme dit avoir été mis sous pression par l’administration de l’hôpital pour débourser une somme qu’il n’avait pas sous la main. « Ils m’ont demandé les 500 derniers dollars que j’avais, relate-t-il. Je n’ai pas pu payer mon loyer. » Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, dont fait partie l’établissement, a indiqué à La Presse qu’il ne commenterait pas publiquement le dossier.

« Je pourrais gagner des millions, je ne leur donnerai jamais un sou. Pour moi, avant, le Canada était un endroit où les gens pouvaient trouver un peu de paix intérieure ou économique. Ce genre de choses me fait changer d’idée. »

– Emmanuel Bencosme

Katerine Forero pense désormais que le gouvernement devrait être plus attentif aux femmes migrantes à statut précaire. C’est ce qu’elle était, avant d’obtenir sa résidence permanente peu avant la naissance de sa deuxième fille, en septembre 2021.

« Je trouve injuste la façon dont les femmes qui viennent ici sont traitées, a-t-elle dit à La Presse. Peu importe d’où elle vient, tu ne dois pas laisser une personne sans soins. »

Dépôt d’un mémoire

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a confié à la RAMQ l’an dernier le mandat de travailler sur un éventuel amendement au projet de loi 83, qui a permis l’accès à l’assurance maladie pour certains enfants dont les parents ont un statut migratoire précaire.

Le 17 mars, Médecins du monde a déposé un mémoire à l’intention du comité de travail du projet de loi 83. Appuyé par une vingtaine de spécialistes en médecine, ce document recommande que « le gouvernement du Québec agisse sans délai afin de garantir, à toutes les femmes qui vivent au Québec, le bénéfice des services de santé assurés par les régimes publics d’assurance maladie et d’assurance médicaments ». On y aborde principalement la santé sexuelle et reproductive.

Le statut migratoire précaire regroupe plusieurs catégories de personnes, indique MPearl Eliadis, professeure associée à la Max Bell Public Policy School de l’Université McGill. Les étudiantes étrangères, les femmes en attente d’un parrainage, celles qui ont un visa de travail temporaire, les femmes arrivées de manière clandestine ou celles dont le statut est expiré en font toutes partie.

« Le salaire moyen d’une famille à statut précaire est d’environ 900 $ par mois. Certains de ces gens-là ne mangent pas parce qu’ils paient des frais médicaux. C’est une spirale qui tire les gens vers la vulnérabilité », explique la directrice générale de Médecins du monde, Nadja Pollaert.

« Quand elles [les femmes migrantes à statut précaire qui sont enceintes] viennent à leur rendez-vous médical, on leur donne des billets de métro », dénonce sa collègue Pénélope Boudreault, directrice des opérations nationales de Médecins du monde et infirmière. « C’est un choix : elles paient un labo et des vitamines prénatales, ou elles endurent leurs vomissements pour ne pas avoir à payer. »

Souvent, ces femmes arrivent à un stade avancé de leur grossesse sans avoir passé une seule échographie. « Ce sont souvent des femmes qui ne vont pas militer pour leurs droits, qui ont peur de déranger, peur de l’immigration, qui pensent abuser du système, explique Pénélope Boudreault. J’ai déjà eu une femme qui a attendu 28 semaines avant sa première échographie. Son bébé était mort in utero. »

La RAMQ a confirmé à La Presse qu’elle allait émettre ses recommandations avant la fin de juin, comme demandé par le ministre Dubé.


EN SAVOIR PLUS

50 000
Nombre approximatif de personnes migrantes à statut précaire qui n’ont aucune couverture de santé au Québec. Cela représente 0,6 % de la population.

Source: Source : Institut universitaire sherpa

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