Patinage de vitesse Antoine Gélinas-Beaulieu

Le retour d’un « Rocky » sur deux lames

Le nom d’Antoine Gélinas-Beaulieu ne vous dit probablement rien. Mais son court passage dans le monde du patinage de vitesse n’a pas été oublié. En 2010, il est monté sur le podium aux Championnats du monde juniors tant sur courte piste que sur longue piste, remportant sept médailles au total. Il n’avait pas 19 ans. L’avenir sur deux lames au Canada, c’était lui.

Le jeune patineur de Sherbrooke a payé cher cette année chargée, à voyager aux quatre coins de la planète et à s’entraîner « comme un déchaîné ». Après une mononucléose, il a été éprouvé par des symptômes de surentraînement. Fatigue, étourdissements, problèmes de vision et même « black-out » furent son lot après des efforts intenses lors des deux années suivantes.

« J’ai passé beaucoup de tests, tant respiratoires, cardiovasculaires que neurologiques, raconte Gélinas-Beaulieu. On ne trouvait pas ce que j’avais et on mettait ça sous la bannière du surentraînement. J’étais tanné d’être dans ce monde-là, à essayer de voir ce qui ne va pas. J’ai décidé d’arrêter le sport et de voyager à la place. »

Sac au dos, il est parti six mois en Inde, au Népal et en Chine. Grâce à un ami directeur photo, il a été caméraman pour le tournage d’un film à Chengdu. En revenant à Montréal, il s’est inscrit à des cours de cinéma et de musique à l’UQAM. Il a travaillé dans les restos et les bars. Il se couchait tard, se levait tard.

En 2014, son ami Steve Robillard l’a invité à venir entraîner au club de patinage de vitesse Gadbois, dans le quartier Côte-Saint-Paul. L’expérience a duré quatre mois. « C’est venu me chercher. J’ai vraiment une passion pour le patinage de vitesse. J’avais du fun à coacher, à réapprendre ce sport-là. »

L’idée d’un retour a germé. « Un peu en joke », Benoît Lamarche, président du centre national Gaétan-Boucher, et l’entraîneur Gregor Jelonek ont mis Gélinas-Beaulieu au défi. « Ils ont été vraiment ouverts, très fins, et m’ont invité à venir m’entraîner à Québec. Ils m’ont offert un plan adapté à mes besoins. »

Payer le prix

Le plus difficile a été de se « retenir » à l’entraînement. « J’ai un peu une mentalité de Rocky, à toujours vouloir aller à 110 %, illustre l’athlète de 25 ans. J’ai dû travailler là-dessus. Être sage, prendre mon temps, respecter le repos. Gregor me chicanait après les entraînements si je poussais trop… »

« À mes dernières années juniors, je n’avais aucune limite. C’est aussi ce qui a mené à ma perte. »

— Antoine Gélinas-Beaulieu

À son retour sur la scène nationale, à l’automne 2015, il a fini sixième au 5000 mètres, ce qui lui a valu une participation à la Coupe du monde de Calgary. L’été suivant, il s’est acharné dans le gymnase, avec l’intention d’ajouter du muscle à sa charpente. Il a un peu « perdu le contrôle » et le curseur s’est déplacé de 165 à… 195 lb. Il a payé le prix de ses « jambes lourdes » la saison dernière, s’appliquant ensuite à réduire sa masse.

« J’ai changé de programme d’entraînement en janvier. J’ai complètement arrêté la musculation, tout ce qui est accélération, anaérobie. J’ai fait beaucoup de millage en patins, des imitations pour m’habituer à la position. Après seulement trois mois, j’ai senti de grands changements. »

À sa dernière compétition de l’année, plus léger de 25 lb, il a réussi un record personnel de 6 min 34 s. Jelonek lui a dit : « Regarde bien ça. Aux sélections d’automne, tu vas faire 6 min 22 s, et on va épater la galerie. »

Ce chiffre a motivé Gélinas-Beaulieu tout l’été. Ses coéquipiers partis s’entraîner à Calgary, il restait à Québec pour travailler dans un resto. Une saison coûte cher, et le financement externe est rare. Ses collègues serveurs au Mille et une pizzas, dans le Vieux-Québec, lui ont fait la faveur de lui laisser couper ses quarts pour les adapter à son horaire d’entraînement.

Une nouvelle médication l’a aussi libéré de crises d’asthme qui lui faisaient « se cracher les poumons pendant une heure » après ses courses.

Réussite

Un nouvel homme s’est donc présenté à l’ovale de Calgary, il y a trois semaines. À la première journée des sélections des Coupes du monde d’automne, jeudi soir, Gélinas-Beaulieu a causé la surprise en terminant troisième du 5000 m. Son temps : 6 min 22,73 s, une amélioration remarquable de 12 secondes et une nouvelle marque québécoise. La précédente appartenait au champion olympique Mathieu Giroux, un ami avec qui il a patiné à quelques reprises depuis son arrivée en Alberta.

Sur la glace, l’accolade avec Jelonek a été longue et chaleureuse. « C’est une réussite pour nous deux », souligne Gélinas-Beaulieu, joint hier matin.

« Il y a un travail d’équipe derrière tout ça. Beaucoup d’ajustements, une bonne communication entre le coach et l’athlète. La complicité se crée, et on la sentait après la course. »

— Antoine Gélinas-Beaulieu

L’Albertain Ted-Jan Bloemen, quatrième aux Championnats du monde, s’est logiquement imposé en 6 min 17,35 s, suivi de l’Ontarien Ben Donnelly en 6 min 21,71 s. Gélinas-Beaulieu a battu le Torontois Jordan Belchos, huitième aux Mondiaux et membre de l’équipe de poursuite.

Son chrono lui aurait valu le 21e temps mondial la saison dernière.

Le troisième rang doit lui permettre de prendre part à trois des quatre premières Coupes du monde, où les patineurs canadiens tenteront de maximiser les quotas par distance pour les Jeux olympiques de PyeongChang.

Sept ans après sa dernière compétition internationale d’envergure, Gélinas-Beaulieu devient soudainement un candidat à l’équipe olympique. S’il vise une place à la poursuite, il n’en fait pas une obsession.

« Je le vois plus comme un boni cette année. Les Jeux, ce n’est vraiment pas mon objectif. Ce que je veux, c’est un brevet de financement pour pouvoir continuer à faire ce que j’aime, m’entraîner, et poursuivre mon certificat en études cinématographiques que j’ai dû mettre sur pause. » Son propre parcours ferait un beau premier scénario.

Patinage de vitesse

Boisvert-Lacroix en tête

Alex Boisvert-Lacroix a terminé premier du 500 mètres initial aux sélections pour les Coupes du monde d’automne, hier à Calgary. Médaillé de bronze aux Mondiaux 2016, le Sherbrookois de 30 ans a réussi un temps de 34,49 secondes pour devancer de trois centièmes le Saskatchewanais William Dutton et de sept centièmes l’Albertain Gilmore Junio. Le Québécois Laurent Dubreuil, meilleur Canadien sur la distance en 2017, a suivi avec un temps de 34,58 s. Alexandre St-Jean (34,89 s), lui aussi de Québec, a fini cinquième. Le deuxième 500 mètres sera disputé aujourd’hui. Cinq patineurs au maximum peuvent se qualifier pour les Coupes du monde. Chez les femmes, les Québécoises Noémie Fiset et Béatrice Lamarche ont respectivement pris les cinquième et sixième rangs.

— Simon Drouin, La Presse

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