Chronique

Le « lobbying » de Sacha Trudeau

Le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale a dû être drôlement embêté de voir atterrir sur son bureau une lettre du frère de son patron lui demandant d’interrompre le processus de déportation amorcé contre Mohamed Harkat, un Algérien soupçonné par les services secrets canadiens d’être lié à une cellule dormante d’Al-Qaïda.

Alexandre « Sacha » Trudeau, frère cadet du premier ministre, prend même soin dans sa lettre de faire allusion directement à la phrase fétiche de Justin Trudeau sur les « voies ensoleillées » : « Je suis convaincu qu’une décision [en faveur de M. Harkat] serait un exemple éclatant des “sunny ways” de votre gouvernement. »

M. Goodale est bien mal pris. S’il refuse la clémence, il risque de se le faire reprocher par la famille Trudeau. S’il l’octroie, il risque de se faire accuser d’avoir cédé au frérot du patron.

Ce dernier, interrogé sur ce qui apparaît à plusieurs comme un conflit d’intérêts, a déclaré que son frère a le droit, comme tout citoyen, d’appuyer les causes qui lui tiennent à cœur. Cela va de soi, mais il reste qu’étant donné la position de son frère, Alexandre Trudeau aurait pu se garder une petite gêne et demander à une autre des bonnes âmes qui veillent sur M. Harkat de signer la lettre.

Selon l’opposition, l’affaire est un conflit d’intérêts caractérisé, mais le bureau de la commissaire à l’éthique a fait savoir qu’il n’était pas question de faire enquête pour l’instant.

M. Harkat, un ancien militant du Front islamique du salut algérien, a été emprisonné de 2002 à 2006 en vertu d’un « certificat de sécurité », sur des soupçons d’appartenir à la mouvance d’Al-Qaïda.

Cette procédure a aussi été appliquée à Adil Charkaoui, le gourou islamiste lié au collège de Maisonneuve. Ce dernier avait également reçu l’appui d’Alexandre Trudeau, de même que d’autres célébrités du milieu artistique… qui doivent aujourd’hui s’en mordre les doigts après avoir vu ce qu’il est ensuite advenu de la carrière de M. Charkaoui.

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Une autre accusation de conflit d’intérêts vient d’atterrir au parlement. La ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, qui aura à juger plusieurs causes reliées aux Premières Nations, est mariée à un lobbyiste rémunéré par deux groupes aborigènes de la Colombie-Britannique, par l’intermédiaire de la société Ka Lo Na, une copropriété du couple.

Il sera intéressant de voir comment la ministre se défendra. Nous dira-t-elle qu’elle et son mari, pourtant partenaires dans l’entreprise, ne discutent jamais d’affaires entre eux ?

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Cette intervention de « Sacha » Trudeau a ramené dans l’actualité une lettre ouverte qu’il avait signée en 2006 dans le Toronto Star, à l’occasion du 80e anniversaire de Fidel Castro.

Dithyrambique, ce texte ? Le mot est faible pour décrire la très grande capacité d’emballement du fils cadet de Pierre Trudeau – lui-même, on s’en souvient, grand ami du dictateur cubain.

Extraits (ma traduction) : « Fidel ne fait pas de politique. Il vit pour apprendre et pour mettre ses connaissances au service de la révolution, [pour] mener l’humanité vers la justice et un ordre social encore plus parfait […]. Son intellect est l’un des plus grands et des plus complets que l’on puisse trouver. C’est un expert en tout. Combiné à un physique herculéen et un courage personnel extraordinaire, cet intellect monumental fait de Fidel un géant. Il a quelque chose de Superman […].

« Les Cubains restent très fiers de Castro, même ceux qui ne partagent pas sa vision. »

Oui, mais enfin, que fait-il des milliers de dissidents emprisonnés, des leaders syndicaux baillonnés, du rationnement alimentaire, de l’espionnage institutionnalisé dans chaque quartier ?

L’auteur a la réponse : « Son leadership peut être parfois pesant. Les Cubains se plaignent à l’occasion, comme des adolescents se plaignent de leur père trop strict et exigeant. [Mais] le Chef sait toujours ce qui est le meilleur pour vous. »

Cette lettre qu’on croirait due à un ado romantique a été écrite alors qu’Alexandre Trudeau avait 33 ans.

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