Stade de baseball

Lubie de milliardaire ou actif communautaire ?

La question du financement public du stade de baseball monopolise le débat et l’attention médiatique. Avec raison, alors que Stephen Bronfman et le groupe Baseball Montréal poussent l’indécence jusqu’à demander à Québec une contribution financière de quelques centaines de millions de dollars.

De très nombreuses études concluent pourtant que les investissements publics dans les stades ne se font jamais à coût nul pour les contribuables. Et que les retombées fiscales et économiques sont négligeables. Le coup de sonde d’opinion publique du gouvernement Legault a soulevé un tollé général, tous secteurs confondus, et démontré que l’acceptabilité sociale du projet de subventionner un milliardaire est loin d’être au rendez-vous. Cela convaincra-t-il M. Legault et son ministre du Baseball, Pierre Fitzgibbon, que les Québécois ont d’autres priorités pas mal plus urgentes ?

Mais ce débat ne devrait pas en occulter un autre, tout aussi crucial : a-t-on besoin, au bassin Peel, d’un combo « stade-condo » ? Le stade de baseball va de pair avec un complexe de tours de condos et de bureaux, luxueux et en hauteur, dans le prolongement de Griffintown. Et, pendant que la Ville tarde à prendre position sur l’avenir de ce secteur névralgique, le promoteur Devimco étend son empire en acquérant un à un les terrains privés du bassin Peel. Avec la société d’investissements Claridge, propriété de Stephen Bronfman, ils multiplient les opérations de lobbyisme pour mettre la main sur les terrains publics fédéraux de la Société immobilière du Canada (SIC) et les terrains provinciaux de Loto-Québec. De concert avec l’Institut de développement urbain (IDU), ils sont très vocaux pour convaincre la Ville que la densification maximale doit être une condition sine qua non de la requalification du secteur.

Difficile de prédire si le concept saugrenu de garde partagée d’une équipe des ligues majeures résistera aux innombrables questions actuellement sans réponses. Ni si ce mariage arrangé survivrait aux années, laissant Montréal et le Québec aux prises avec un autre éléphant blanc.

Mais une chose est sûre, stade ou pas stade, promoteurs et investisseurs auraient alors réussi leur pari de mettre la main sur l’un des sites les plus convoités de l’île, pour leurs intérêts privés.

Peut-on vraiment perdre l’un des derniers terrains publics encore disponibles au cœur de Montréal pour y développer un mégaprojet en inadéquation complète avec les besoins des quartiers environnants et ceux des Montréalais ? LA priorité devrait être de créer des villes et des quartiers résilients face à la crise du logement, la crise climatique et la crise sanitaire.

Ça prend une vision de la Ville de Montréal, vite !

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, martèle qu’il n’y aura pas d’argent public dans la construction d’un stade, que Montréal n’est pas le promoteur du baseball, qu’il y aura consultation une fois le projet du Groupe Baseball Montréal rendu public. Elle demeure ouverte, tout en étant prudente.

Mais la cheffe de Projet Montréal demeure silencieuse sur sa vision pour Bridge-Bonaventure. La Ville de Montréal a pourtant un choix à faire ! Va-t-elle laisser une fois de plus le champ libre à des promoteurs qui accaparent le foncier et font du logement une occasion de profit ? Elle a le pouvoir – et la responsabilité – d’encadrer le développement selon une vision concertée avec les acteurs locaux.

C’est urgent, alors que le stade et son complexe immobilier sont de plus en plus présentés comme un fait accompli.

Et pendant ce temps, François Legault court-circuite la planification urbaine du bassin Peel, en ouvrant la porte à un financement public du stade et à l’utilisation des terrains provinciaux pour le construire. Quant à Justin Trudeau, proche de Stephen Bronfman, il se garde bien de prendre position, alors que la Stratégie nationale du logement du Canada offrirait pourtant une occasion en or d’utiliser des terrains fédéraux excédentaires pour un vaste projet de logements sociaux et d’équipements collectifs.

Un stade reste un stade, même dilué sous une couche de vernis communautaire.

Qu’en est-il des bénéfices sociaux et des retombées pour les quartiers voisins et les Montréalais ? Selon Stephen Bronfman, le stade sera un projet catalyseur pour « réanimer un quartier dans lequel il ne se passe pas grand-chose » et « une fierté pour les quartiers voisins qui ont besoin d’espoir ». Pour le milliardaire, son « actif communautaire » renforcera la réussite scolaire grâce à la présence de joueurs professionnels et le partage de son équipement sportif.

Quel mépris pour les communautés historiques de Pointe-Saint-Charles, Petite-Bourgogne, Saint-Henri, dont les populations ont contribué à bâtir Montréal et sont aujourd’hui dépossédées de leur territoire par l’avidité de promoteurs et par un mode de développement urbain qui exclut les gens de ces quartiers. Quelle ignorance du riche patrimoine et de l’esprit des lieux, toujours bien présents grâce à des entreprises centenaires, des savoir-faire et métiers traditionnels qui font la fierté de Montréal.

Mais personne n’est dupe face à cet exercice de marketing. Les Québécois ont besoin de revenus décents, de logements qu’ils peuvent se payer, de services de santé et d’éducation, de transport collectif. Les groupes communautaires ont besoin de financement pour continuer à offrir leurs services essentiels.

Les jeunes ont besoin d’un environnement sûr, d’une école secondaire à côté de chez eux, de terrains multisports accessibles gratuitement, de quartiers inclusifs où la pauvreté ne côtoie pas une richesse indécente. La population n’a aucunement besoin d’un mégaprojet qui va nécessairement engendrer plus de trafic de transit, attirer les touristes de passage et renforcer l’embourgeoisement et l’exclusion.

Nous ne sommes pas passéistes, nous ne sommes pas anti-développement. Nous prônons une densification à échelle humaine et la création de milieux de vie véritablement inclusifs et résilients. Action-Gardien, la Corporation de développement communautaire de Pointe-Saint-Charles, a mené une démarche citoyenne de longue haleine pour concevoir une vision globale et des propositions concrètes d’aménagement pour Bridge-Bonaventure, la plupart retenues par l’Office de consultation publique de Montréal. Et c’est pour ce véritable actif communautaire que les pouvoirs publics devraient s’enthousiasmer !

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