L’âgisme et les impôts

Les lecteurs répondent un gros OUI à une semaine de travail allégée passé 60 ans. Cette solution à la pénurie de main-d’œuvre est toutefois freinée par un système fiscal déconnecté et l’âgisme de certains employeurs, disent-ils.

« J’ai déjà considéré retourner sur le marché du travail à temps partiel. Toutefois, cette décision me pénaliserait tellement que cela ne vaut pas la peine. Si la pénurie de main-d’œuvre est si criante, pourquoi ne pas offrir des conditions fiscales convaincantes aux nombreux “jeunes” retraités ? Actuellement, j’ai zéro incitatif pour retourner », me dit le lecteur Luc Dumoulong après avoir lu ma chronique1.

Même genre de commentaire de CB, qui travaillait pour une entreprise de transport. « Je suis retraité, avec une pension. Je veux continuer de travailler, mais pour un salaire de 20 $, je ne recevrais en réalité que 13 $ après impôts à cause de mes revenus de pension, alors que les autres ont 16 $ après impôts. Le salaire n’est pas le plus important, mais quand même, ça enlève de la motivation », m’écrit-il.

De son côté, le lecteur LL, qui travaillait chez Hydro-Québec, rêvait d’être camionneur, à sa jeune retraite. Il a quitté Hydro, a suivi une formation de routier et, surprise, il a reçu plusieurs offres, tellement la demande est grande.

Au début, il a pu travailler comme camionneur trois jours par semaine, comme il le demandait, mais la pression est devenue forte pour qu’il passe à temps plein.

« Avec ma rente et le salaire de camionneur, je travaillais pour pas grand-chose. Il faut améliorer les règles de l’impôt sur le revenu pour que des retraités en pleine forme comme moi puissent reprendre le volant et aider les entreprises », explique-t-il.

« Une pizza avec ça ? »

Par ailleurs, des lecteurs dénoncent la réticence de leur employeur à aménager des horaires adaptés aux vieux travailleurs.

Par exemple, quand Jean Turcotte, de Trois-Rivières, s’est plaint d’avoir plus de difficultés avec les horaires de nuit, à 63 ans, et qu’il a demandé un allègement, on lui a essentiellement répondu :

« Tu veux une pizza avec ça ? Ça va créer un préjudice à la convention collective. »

Il a donc pris sa retraite, et aujourd’hui, il dit rechercher activement un travail à temps partiel, mais tous les employeurs veulent le faire travailler 40 heures.

« Faque, bonjour, trois jours », m’explique-t-il.

Réticence semblable constatée par cette ex-directrice d’école, qui avait fait une demande pour du temps partiel.

« Selon la commission scolaire, à l’époque, c’était impossible. J’ai donc choisi de prendre ma retraite. Curieusement, depuis, j’ai reçu plusieurs propositions de la part du centre de services me suggérant des remplacements de direction à temps partiel si c’était une de mes conditions. Je sens donc une ouverture en cette période de pénurie, mais [il y a] loin de la coupe aux lèvres. »

Une autre lectrice, qui a travaillé dans le secteur public, juge que l’employeur doit s’ajuster au défi que représentent les travailleurs âgés. D’abord, il y a bien sûr la tentation de laisser partir des travailleurs aux salaires élevés pour de plus jeunes, moins payés.

Mais aussi, ajoute-t-elle, « les nouvelles technologies ne favorisent pas l’adaptation à certains contextes de travail pour le personnel plus âgé. L’employeur accepte d’investir pour former les plus jeunes plutôt que d’apporter du soutien au personnel moins habile avec ces techniques, considérant que cela ne vaut pas la peine pour le temps qu’il lui reste.

« Les personnes plus âgées se fatiguent aussi plus rapidement et prennent davantage de congés de maladie, ce qui complique la gestion des ressources humaines. »

Les employeurs ne sont pas tous aussi inflexibles. Le patron d’un centre de distribution de produits électriques m’explique que plusieurs de ses employés dans la soixantaine travaillent trois ou quatre jours par semaine plutôt que cinq, en plus d’avoir des vacances selon leurs besoins.

« Je n’ai pas le choix. Sans eux, notre entreprise serait dans le trouble », m’écrit-il.

Certains travailleurs disent avoir trouvé chaussure à leur pied, comme c’est le cas de Claudette Béliveau, de Sainte-Thérèse.

« J’ai 70 ans et je travaille encore. J’avais pris ma retraite du secteur privé, mais je m’ennuyais un peu. J’ai donc profité [du fait] que le CISSS de ma région cherchait des adjointes administratives. J’ai postulé en me disant que je n’avais rien à perdre. J’avais 67 [ans] à l’époque, tout le monde me disait que je n’avais aucune chance. »

Or voilà, Claudette Béliveau a été embauchée et occupe depuis trois ans un poste permanent à temps partiel. « Mes collègues sont très heureuses de travailler avec quelqu’un qui a autant d’expérience. J’espère que l’idée fera du chemin parce qu’en plus d’être utile pour la communauté, c’est bon pour notre santé, tant physique que psychique », explique-t-elle.

Les gouvernements ont dormi

Depuis plusieurs années, le gouvernement du Québec connaît bien les impacts du vieillissement et ses effets sur la pénurie, mais ne fait rien, note le rapport des chercheurs de HEC Montréal à l’origine de ma chronique.

L’ex-haut fonctionnaire Yvon Boudreau dénonce aussi l’inaction des autorités. « Il y a exactement 10 ans, avec mon ex-collègue Gilles Demers, nous avons rendu public le rapport de la Commission nationale sur la participation au marché du travail des travailleuses et travailleurs expérimentés de 55 ans et plus. Les constats sont les mêmes que ceux que vous décrivez aujourd’hui et les solutions préconisées se ressemblent beaucoup », m’écrit M. Boudreau, qui juge qu’on a perdu 10 ans.

Sans contredit, la pénurie est LE principal problème de l’économie du Québec en ce moment. N’est-il pas temps d’accorder nos flûtes pour atténuer le problème ?

(1) J’identifie parfois les personnes par leurs initiales, n’ayant pas pu obtenir leur autorisation de dévoiler leurs noms. Les lecteurs me rendent service quand, dans leurs communications écrites, ils m’autorisent – ou non – à publier leurs noms (et leurs villes, s’il y a lieu).

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