Le retour des vrais Kings

Kings of Leon a sorti son premier album il y a 18 ans. Ses racines ont été reléguées au second plan lorsque le quatuor a mordu à l’appât du succès commercial. Il y revient toutefois avec When You See Yourself, un huitième opus plus authentique, qui bénéficie aussi des années d’expérience et de la maturité des Kings.

Pour ce huitième long-jeu, les musiciens de Nashville sont retournés à leurs racines, au rock de leurs débuts. On se trouve à des lieues d’Only by the Night (2008), qui nous avait donné les populaires Sex on Fire et Use Somedy. On est aussi bien loin de l’insipide WALLS (2016).

When You See Yourself est terminé depuis plus d’un an, alors même que la pandémie n’était qu’un constat historique plutôt qu’un cauchemar prêt à devenir réalité. La pièce-titre, qui ouvre l’album, comporte un appel à ralentir, à « rester ici, une dernière nuit ». Il est intéressant de l’écouter aujourd’hui, après la plus lente des années qui soit. Pour ce groupe qui un jour fut plus jeune et déjanté, on peut recevoir cet appel comme un constat qu’il est maintenant temps de se poser.

The Bandit, une épopée western comme Kings of Leon sait les raconter, est tout simplement exquise, dans son fond comme dans sa forme. L’excellente Golden Restless Age est un retour aux souvenirs de jeunesse, un constat du chemin traversé et de celui qui reste à parcourir. Caleb Followill, meneur et principal parolier, parle en entrevue d’une « acceptation ».

Sur Claire & Eddie, Jared Followill prend la plume pour faire une sorte de déclaration d’amour à la planète. « Le feu va faire rage si les gens ne changent pas », chante Caleb, sur des airs de ballade. Echoing prend un rythme effréné et Fairytale, juste après, calme brusquement la cadence. On apprécie ce relief, qui permet à la voix de Caleb Followill, une des meilleures constantes de l’offre de Kings of Leon, de briller d’une façon, puis d’une autre.

« On a relégué la radio et les ventes au second plan pour créer un album qu’on aime », a dit Jared Followill à Apple Music. Une sage et bénéfique décision. Les Kings ont eu du plaisir à créer cet album, et nous avons maintenant bien du plaisir à l’écouter.

Rock alternatif

When You See Yourself

Kings of Leon

RCA Records

3 étoiles et demie

Swingue la mélancolie

On ne peut pas dire que Paul Kunigis soit un homme pressé. Depuis Exodus (2006), il laisse facilement passer six ans entre chacun de ses nouveaux disques. L’attente est amplement récompensée : Yallah est sa meilleure collection de nouvelles chansons depuis l’excellent Balagane, paru sous le nom de Jeszcze Raz, il y a presque 20 ans.

Le chanteur et musicien aux racines multiples – né en Pologne, il a grandi dans une ville israélienne à majorité arabe – ne se réinvente pas sur ce sixième album. Et c’est très bien ainsi. Il arpente avec la même assurance tranquille les espaces musicaux qu’il sait si bien faire swinguer ou pleurer : jazz manouche, folk tzigane, sonorités klezmer et mélopées arabisantes.

C’est un joyeux mélange, mais c’est rarement joyeux. Paul Kunigis a un penchant pour la mélancolie, accentué par son chant traînant parfois proche du murmure. Et s’il évoque la lutte contre la tyrannie et le destin tragique de ceux qui cherchent l’espoir en traversant la Méditerranée au péril de leur vie, c’est surtout de la tendresse et du romantisme qu’il dégage.

On le retrouve une fois de plus bien entouré : François Lalonde (batterie et percussions, entre autres), Yves Desrosiers (guitares, etc.), Marie-Soleil Bélanger (violon), Nathalie Cora (kora), Jacques Kuba-Séguin (trompette) et bien d’autres habiles musiciens, qui se fondent avec doigté dans cet univers. Agnès Gruda, autrice et ancienne journaliste à La Presse, cosigne quatre textes sur ce très beau disque.

Chanson

Yallah

Paul Kunigis

Siginuk

Quatre étoiles

Comme dans un film de Lelouch

Le talent d’orfèvre de chansons de Félix Dyotte n’est plus à démontrer. L’auteur-compositeur a notamment beaucoup travaillé avec Pierre Lapointe, et écrit l’album Objets perdus d’Evelyne Brochu au complet – la chanson Maintenant ou jamais lui a d’ailleurs valu le Prix de la chanson francophone de l’année de la SOCAN en 2020.

Mais Félix Dyotte mène aussi en parallèle sa carrière de chanteur, et cet album lancé cet hiver est son troisième depuis 2015. Écrites en grande partie au Mexique en 2019, ces 11 chansons dégagent d’ailleurs un agréable parfum de voyage, des effluves légers portés par une instrumentation acoustique pleine de délicatesse – violoncelle et violon, guitare et piano, mais aussi parfois du sitar ou du ukulele.

Toute la place est laissée aux textes de Dyotte et à sa poésie élégante qui sait décrire en petits tableaux un chagrin qui fuit ou la langueur d’une fin d’après-midi, dans une langue sensuelle et imagée qui respire et qui fait rêver.

Il y a dans Airs païens une ambiance romantico-mélancolique aux couleurs pastel, accentuée par la voix imparfaite de l’interprète, qui glisse parfois sur les notes à la manière d’un Vincent Delerm. Ça pourrait être agaçant, mais ça donne plutôt à l’ensemble encore plus de fragilité et de volatilité : qu’y a-t-il de plus éphémère qu’une chanson d’amour ?

On est ici chez Souchon ou dans un vieux film de Lelouch, dans le spleen de la chanson française décliné dans sa plus pure expression. Même si l’habile auteur-compositeur-interprète réussit à mettre les références (assumées) à sa main en leur donnant un soupçon de modernité, il ne boude pas son plaisir, et nous non plus : ce voyage au cœur de la nostalgie et des sentiments évanescents est plein de charme, d’intelligence et de douceur, et on ne peut pas dire non à cela.

Chanson

Airs païens

Félix Dyotte

Coyote Records

Trois étoiles et demie

Heras-Casado ajoute un trophée à son tableau de chasse

Le 250e anniversaire de naissance de Beethoven, célébré l’an dernier, continue de porter des fruits sur le plan discographique. Le chef d’orchestre andalou Pablo Heras-Casado, qu’on a pu entendre à l’OSM il y a deux ans, est l’un des plus prolifiques laboureurs du terreau beethovénien de notre époque. C’est avec l’Orchestre baroque de Fribourg, ensemble jouant sur instruments d’époque avec lequel il collabore fréquemment, que le musicien a choisi d’enregistrer sa série de disques en hommage au compositeur allemand.

Après deux albums consacrés aux concertos pour piano avec le pianofortiste Kristian Bezuidenhout et un autre consacré à la Neuvième symphonie, Heras-Casado s’est attaqué au Triple concerto pour violon, violoncelle et piano. Comme pour sa série d’enregistrements des œuvres concertantes de Schumann, il a choisi de travailler avec la violoniste Isabelle Faust, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras et le pianiste Alexander Melnikov (ici sur un magnifique pianoforte viennois de l’époque de Beethoven), trois formidables solistes qui se produisent fréquemment en duo ou en trio.

Le Triple concerto de Heras-Casado est probablement un des plus concis sur le marché, notamment à cause de son largo inhabituellement allant, ce qui surprend au départ, mais a tôt fait de susciter l’adhésion, puisque que cela n’empêche pas les instruments solistes de jouer molto cantabile (« très chantant »), comme le demande Beethoven.

Les deux mouvements extrêmes regorgent de sève, avec une remarquable gestion des nuances. La matière orchestrale est extrêmement détaillée, faisant ressortir des détails rarement entendus. Ce parti pris pointilliste se fait heureusement sans porter ombrage à l’expression, toujours naturelle et généreuse.

Comme pour la série Schumann, Harmonia Mundi a choisi d’associer le concerto avec un trio. Il n’est toutefois pas question ici d’un « vrai » trio, mais d’une transcription de la Deuxième symphonie peut-être réalisée par Beethoven lui-même. Il ne s’agit pas d’une nouveauté, puisque la partition a déjà été gravée plusieurs fois, notamment par le trio Beaux Arts. Elle se distingue néanmoins par son engagement, sa cohésion d’ensemble et une époustouflante maîtrise des écueils techniques de la partition.

Classique

Beethoven : Triple concerto et Trio pour piano, opus 36 [Symphonie no 2]

Alexander Melnikov, Isabelle Faust, Jean-Guihen Queyras, Pablo Heras-Casado et l’Orchestre baroque de Fribourg

Harmonia Mundi

Quatre étoiles et demie

Rock cérébral

Habitué d’un rock aux aspirations poétiques, Arman Méliès clôt avec cet album une trilogie « américaine » amorcée l’an dernier avec Roden Crater et Basquiat’s Black Kingdom. Laurel Canyon, c’est son fantasme californien : le titre du disque fait référence au quartier de Los Angeles associé à l’émergence du folk-rock et entre autres à des artistes comme Neil Young, The Byrds et Joni Mitchell.

La manière du rockeur français demeure élégante. Il développe des ambiances et des arrangements le plus souvent feutrés sur lesquels il pose son chant habité, mélange de dévotion et de pose de poète. On songe parfois au grand Bashung (à la fin de Modesta), parfois au maniérisme agaçant d’un Julien Doré…

Arman Méliès est un arrangeur doué. Qu’il glisse des nappes d’effets électroniques ou un solo de saxo dans un morceau, c’est toujours fait avec finesse. Sa plume aussi est sertie de jolies trouvailles. Son rock garde par contre quelque chose d’un peu froid, plombé par le chant monotone du rockeur, même s’il tente d’y insuffler de la ferveur.

Son Laurel Canyon, qui rappelle aussi en mémoire le voyage américain d’un autre auteur-compositeur-interprète français, Mustango de Jean-Louis Murat, s’avère au final un objet rock poétique très cérébral. Assez loin, en somme, de la scène musicale que son titre évoque.

Rock

Laurel Canyon

Arman Méliès

Royal Bourbon/Modulor Records

Trois étoiles

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