Discrimination systémique

D’où vient ce test ?

Le test virtuel (TAI pour « test d’association implicite ») que nos participants ont accepté de passer se trouve sur le site Project Implicit, créé en 1998 par trois psychologues américains : Anthony G. Greenwald (Université de Washington) ; Mahzarin R. Banaji (Université Harvard) et Brian Nosek (Université de Virginie). Depuis, des millions de personnes dans le monde ont fait le test en se rendant sur le site.

Project Implicit est un organisme à but non lucratif, fruit de la collaboration internationale de chercheurs socialement responsables qui veulent contribuer à changer la société.

Le but est de sensibiliser le grand public aux préjugés cachés et de fournir un laboratoire virtuel permettant de recueillir des données sur l’internet. Selon le professeur de psychologie de l’UQAM Richard Bourhis, même si le test en ligne n’est pas fait dans les meilleures conditions, il demeure assez robuste pour amorcer une réflexion essentielle. « Cela permet aux gens de réfléchir à ces enjeux et de se dire : “Ai-je si peu de préjugés que je le crois ou en ai-je plus que je le pense ?” »

Prédicteur de préjugés réels ?

Les résultats aux tests TAI doivent être interprétés avec beaucoup de prudence, prennent soin de préciser sur leur site les chercheurs qui les ont conçus. Le fait d’avoir un score élevé pro-Blanc ne signifie pas que l’on ait forcément un comportement discriminatoire dans la vie de tous les jours. « Beaucoup de personnes qui montrent une préférence automatique pour les Blancs au TAI sont apparemment capables de fonctionner sans que leurs réactions ne reflètent des préjugés, et ce en faisant vraisemblablement des efforts délibérés pour empêcher que leur préférence automatique pour les Blancs ne produise des comportements discriminatoires. Cependant, lorsqu’elles relâchent leurs efforts, ces personnes sont davantage susceptibles d’exprimer des pensées ou d’adopter des comportements discriminatoires. »

Des résultats dont on ne veut pas…

Que faire si le test révèle des tendances inconscientes que l’on préférerait ne pas avoir ? Les chercheurs du Project Implicit avertissent qu’il faut garder à l’esprit que le TAI n’est pas d’une parfaite précision. Cela dit, il est tout à fait possible d’obtenir des résultats que l’on souhaiterait ne pas avoir. Les chercheurs ayant conçu le test parlent en connaissance de cause, car ils ont eux-mêmes obtenu des scores dont ils étaient gênés.

Comment renverser la situation ?

Il est possible de le faire par des lectures, des rencontres ou des émissions qui contrecarrent nos tendances inconscientes. On peut aussi prendre conscience de nos préférences non désirées et reconnaître qu’elles peuvent influencer notre jugement et nos comportements. « La bonne nouvelle est que ces préférences, quand bien même elles sont automatiques, sont aussi malléables », notent les chercheurs.

Des résultats controversés

Le TAI demeure très controversé. Plusieurs chercheurs remettent en question sa validité. C’est le cas de Daniel Levitin, professeur du département de psychologie à l’Université McGill. Il souligne que des études menées auprès de gens qui ont obtenu un score élevé pro-Blanc au TAI révèlent que ces mêmes gens, lorsqu’ils étaient placés dans des situations réelles, ne démontraient aucun préjugé à l’égard des Noirs dans leurs attitudes. D’autres études ont montré que ceux qui ont eu les résultats anti-Noirs les plus élevés tendent au contraire à avoir plus d’attitudes de compassion à l’égard des Noirs.

Que répondent les chercheurs à leurs détracteurs ?

J’ai demandé au Dr Anthony Greenwald de l’Université de Washington ce qu’il répondait à ceux qui remettaient en question la validité du TAI.

Il souligne d’emblée qu’il est normal que les recherches sur le TAI suscitent des critiques, compte tenu de leur caractère radical et révolutionnaire dans le domaine de la science comportementale. Certains sont réfractaires à l’idée même qu’une activité mentale dont nous n’avons pas conscience puisse possiblement guider notre jugement ou notre comportement. Certaines critiques sont politiques – la droite s’oppose à l’idée même de préjugé inconscient, observe-t-il. Il arrive aussi que des gens soient personnellement irrités par le test. « Certains se sentent “accusés” d’être racistes ou d’avoir des préjugés quand ils prennent connaissance de leurs résultats au TAI sur la race, l’ethnicité ou le genre. (D’autres, à l’opposé, sont très ouverts à cette découverte inattendue.) »

À ceux-là, le Dr Greenwald et ses collaborateurs répètent que le TAI ne mesure pas le racisme ou l’existence de préjugés, mais bien des « préférences automatiques ».

Quant aux critiques scientifiques à proprement parler, les chercheurs les prennent très au sérieux et en ont eux-mêmes formulées un certain nombre. Certaines ont mené à des changements dans la façon dont on utilise et interprète le TAI.

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