Chronique

Pourquoi il a perdu

Il a perdu.

Il a perdu parce qu’il n’a pas joué. Il est resté dans sa zone.

Si l’on compare Montréal de novembre 2017 avec Montréal de 2013, ville humiliée après des mois de commission Charbonneau, on est bien obligé de voir que la ville se porte mieux. Pourquoi alors le maire qui a présidé à ce changement d’air se ferait-il sortir comme un indigne, après un seul mandat ? Il n’y avait pas grand risque, allons !

Songez que même Gérald Tremblay, entouré de superbes magouilleurs et mafieux décomplexés, lui dont l’administration était accablée de scandales, a eu droit à une réélection en 2009.

Mais pas Denis Coderre.

Pourquoi ? C’est comme si les 30 années de politique qu’il évoquait hier dans son discours de départ avaient annulé l’effet de nouveauté à la mairie. Comme s’il incarnait une vieille administration. Comme s’il avait été élu en 1989.

Autrement, si on se promène un peu en ville, on se rend vite compte que de plus en plus de Montréalais ont développé une aversion pour sa façon de faire de la politique. Le cumul de toutes ces détestations a fini par générer cette défaite.

Il avait raison de dire hier que les cônes orange, qui sont devenus le symbole dérisoire de la ville, annoncent le Montréal de demain. Ils signalent une ville au travail, qui se renouvelle. 

Mais en attendant, le Montréal d’aujourd’hui, lui, est un parcours à obstacles. Et en se rendant au travail, c’est le Montréal de ce matin qui est en retard…

Toutes les exaspérations remontent au sommet de l’hôtel de ville. Comme tous les agacements et les colères, des amis du pitbull aux syndicats municipaux en passant par les cyclistes et les gens du Centre-Sud. Ça s’additionne… Ça crée des clients pour le changement.

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Dans ce discours d’adieu très digne par ailleurs, Denis Coderre n’a pu s’empêcher d’espérer qu’à sa conférence de presse de mercredi, on parle « d’autre chose que de la Formule électrique ». C’est vrai que les journalistes lui ont limé les dents avec ça. Mais c’est surtout vrai que cette histoire résume en bonne partie ce qui a été rejeté hier. Déclarations triomphalistes et trompeuses en été, refus de répondre en automne, et paf, une vérité gênante mais tellement prévisible qui le force à s’excuser à trois jours du vote.

Bien sûr qu’il y avait des enjeux plus importants. Mais en même temps, ce n’était qu’un autre exemple de trop de ce Denis Coderre évasif, intempestif. Voulez-vous mettre de l’argent public dans un stade de baseball, M. Coderre ? Il est trop tôt pour répondre, disait-il. On sait tous qu’il veut en mettre. On sait tous que c’est hypothétique. Mais on peut établir les paramètres immédiatement. Un peu, beaucoup, pas du tout ? À quelles conditions ? En quelles proportions ? Mais non, même pas des grandes lignes. Ce refus laissait la très nette impression qu’il allait décider seul, le moment venu, que ce n’était pas l’affaire des Montréalais.

Qu’il ait obtenu le statut de métropole, qu’il ait créé un Bureau de l’inspecteur général pour veiller à l’attribution honnête de contrats, qu’il ait été partie prenante au projet de REM, c’est bien beau, mais le maire que les Montréalais voyaient, c’était cet homme autoritaire, souvent cassant.

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La greffe n’a pas pris et peut-être a-t-il confondu notoriété et popularité. Il a sa carte chouchou à Tout le monde en parle, ça peut faire illusion, ça ne veut pas dire qu’il est une rock star. On l’a souvent comparé à Régis Labeaume, mais Denis Coderre n’a jamais été proche des niveaux d’approbation du maire de Québec. En 2013, c’est avec seulement 32 % des votes qu’il a été élu.

L’autre chose, c’est que son omniprésence faisait de l’ombre à un de ses plus beaux succès politiques : sa capacité de rallier. 

Il a construit une coalition étonnante, il a attiré des opposants, il a assis ensemble des libéraux et des péquistes, il est allé chercher des recrues de qualité. Mais à la fin, on ne voyait que lui.

Lui, veux, veux pas, qui est un vieux politicien sans être vieux, lui qui a été ministre sous Jean Chrétien, et lui qui en a marre de se faire emmerder par les journalistes.

On démêlera plus tard ce que le vote veut dire des organisations politiques nationales. On devine que Québec solidaire et le NPD affrontaient le PQ dans certains quartiers centraux, et ça ne doit pas être une bonne nouvelle pour Jean-François Lisée.

Une chose est assez évidente, par contre. On ne répare pas une campagne déficiente en envoyant au front les alliés deux jours avant le jour J. Les hommes d’affaires qui sortent le vendredi, ça sent la panique des élites. Ça ne pogne plus, mesdames et messieurs. Même Gilles Duceppe… C’était de parler en septembre !

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L’autre chose, j’y reviens car un amateur de sports comme Denis Coderre devrait le savoir : on ne peut pas rester dans sa zone pendant tout un match quand c’est 1-0. Il faut jouer pour gagner, pas seulement pour ne pas perdre. En refusant l’engagement, il a donné l’impression de n’avoir rien de nouveau à proposer. Il n’avait d’ailleurs aucun thème, aucune proposition forte. Continuons le travail… Bon, OK. Mais encore ? À la fin, m’est avis que si on ne lui a pas reconnu son mérite, c’est beaucoup de sa faute. Il avait pourtant une politicienne inexpérimentée devant lui. Il n’avait qu’à montrer sa meilleure connaissance des dossiers, montrer son bilan, oui, mais parler d’avenir…

Il a refusé l’engagement. Il l’a sous-estimée.

Même l’Islande bat l’Angleterre, des fois.

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