L’industrie 4.0 en 5 exemples et 6 conseils
Une nouvelle étude détaille l’expérience de manufacturiers québécois qui ont entrepris le virage de la fabrication avancée. Des expériences largement positives.
Le passage à l’industrie 4.0 donne des résultats.
Le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) de HEC Montréal vient de réaliser une étude sur 10 entreprises manufacturières qui ont entamé avec succès le virage de la fabrication intelligente.
Son auteur, Jacques Roy, professeur titulaire et directeur du Carrefour logistique à HEC Montréal, voulait mieux comprendre l’impact concret de la révolution 4.0 – ou fabrication de pointe, ou transformation numérique, si on préfère – chez les entreprises qui l’ont amorcée.
Il avait été motivé par une récente étude du CPP qui montrait que les entreprises canadiennes perdaient du terrain en productivité par rapport à leurs concurrents américains, et que seul un taux de change favorable leur permettait de demeurer en piste.
« C’est là que j’ai eu l’idée : on va recenser des cas d’entreprises et on va s’en servir comme modèles pour inspirer les autres. »
Promesses tenues
L’industrie 4.0 tire son nom de la quatrième révolution industrielle, après celles de la mécanisation au XVIIIe siècle, de la production de masse au début du XXe siècle et de l’automatisation dans les années 50.
Elle se caractérise par le recours à la robotique, l’automatisation, l’intelligence artificielle, la fabrication 3D, les données massives et la connectivité des objets.
Jacques Roy a réalisé des entrevues auprès de dix entreprises de tailles variées qui se sont engagées sur cette voie, dont cinq seront synthétisées ci-après.
Pour celles-là, l’industrie 4.0 remplit ses promesses. « Définitivement », assène-t-il.
Les manufacturiers qui ont adopté ces technologies obtiennent notamment de meilleures performances en matière de compétitivité et de qualité des produits. En optimisant leurs processus manufacturiers et d’affaires, elles utilisent plus efficacement leurs ressources et elles répondent mieux au défi de la pénurie de main-d’œuvre.
Jacques Roy reconnaît que les entreprises qui ont accepté son invitation avaient un bilan favorable à présenter. « Des entreprises qui finalement ont pas mal de succès dans leur secteur, ce qui explique peut-être pourquoi, dans la conclusion, l’enjeu financier n’est pas ressorti comme une contrainte majeure pour la plupart. »
Paradoxe : ce qui l’a le plus frappé n’est pas apparent.
« Ce à quoi on pense tout le temps, avec le 4.0, c’est la robotisation, l’automatisation de procédés, des voitures sans conducteur… Sauf que la véritable innovation n’est pas visible : c’est vraiment les systèmes interconnectés. »
— Jacques Roy, professeur titulaire et directeur du Carrefour logistique, HEC Montréal
« C’est ça qui caractérise le 4.0. »
Le haut degré d’interconnexion entre les machines et les systèmes d’information permet un suivi continu des activités de production grâce à la collecte et à l’analyse de données, constate-t-il dans son étude.
« En fait, écrit-il, ces données sont devenues tellement massives et complexes que le défi est d’adopter des outils en facilitant l’analyse. C’est ici qu’entre en scène l’intelligence artificielle. »
Cinq ans
Voici cinq instantanés tirés des dix cas étudiés par Jacques Roy.
Pratt & Whitney, Longueuil
4300 employés
Spécialité : moteurs aéronautiques
Projet : fabrication connectée de haute précision
Freins à l’adoption : investissements coûteux, risques élevés et bénéfices lointains
Facteurs de succès : bonne gestion et priorisation des projets avec comité directeur
Groupe Leclerc, Saint-Augustin-de-Desmaures
1150 employés
Spécialité : biscuits et barres de collation
Projet : intégration et optimisation des logiciels manufacturiers
Freins à l’adoption : manque de temps
Facteurs de succès : travail d’équipe et compétences spécifiques, avec « des équipes mandatées pour explorer et mettre en place les meilleurs plans »
Vêtements Peerless, Montréal
1000 employés
Spécialité : vêtements pour hommes
Projet : automatisation robotisée des processus
Freins à l’adoption : manque de ressources pour gérer plusieurs projets simultanément, alors que les priorités évoluent avec le temps et les circonstances
Facteurs de succès : implication de tous les gestionnaires dans l’implantation et la formulation de la vision stratégique
APN, Québec
200 employés
Spécialité : fabrication de pièces de haute précision pour le secteur aéronautique
Projet : robots collaboratifs et interconnexion des systèmes
Freins à l’adoption : sa capacité à exécuter et à implanter les projets d’amélioration
Facteurs de succès : « Pour que ça fonctionne, il faut que ça vienne d’en haut. »
Solaxis, Bromont
8 employés
Spécialité : fabrication additive de pièces de plastique
Projet : automatisation des processus d’affaires et logiciel de coordination de la production
Freins à l’adoption : communications avec les fournisseurs et définition des besoins
Facteurs de succès : bien définir le projet et les besoins et éviter les ajouts en cours de route
six conseils
Jacques Roy a extrait six conseils de ses entrevues. En voici le suc.
Le virage 4.0 part du sommet
Comme tout projet d’innovation, « il faut que ça commence par en haut. Il faut que l’équipe de direction l’appuie, il faut que ça soit dans leur vision, et c’est encore plus vrai, je pense, dans le 4.0 ».
« C’est la condition numéro 1. Sinon, les entreprises vont abandonner. »
Un plan stratégique
Il est primordial d’établir un plan stratégique numérique qui guidera les projets de nouvelles technologies. « Pour beaucoup, l’enjeu n’est pas financier. C’est le manque de temps, c’est la difficulté de gérer ces projets-là pour arriver jusqu’au bout, ne pas se laisser distraire en cours de route. »
Pas trop d’analyses de rentabilité
Il n’est pas toujours souhaitable de réaliser des analyses de rentabilité très poussées.
« Dans ce genre de projets, les retombées sont souvent à long terme et c’est là que la vision l’emporte peut-être sur l’analyse de rentabilité. Si on s’arrête sur l’analyse de rentabilité, il sera difficile d’analyser les bénéfices éventuels et même potentiels. Ces gens-là ont une vision d’un système de production interconnecté, c’est par là qu’il faut aller et ils savent que ça va générer toutes sortes d’avantages et de bénéfices. »
Tout connecter !
Le succès passe par la connexion intégrale et intégrée de l’ensemble du système : les machines, les employés, les matières premières, tout au long de la chaîne logistique. « Il faut tout connecter. »
Analyse des données en temps réel
Pour optimiser ses performances opérationnelles, l’entreprise doit apprendre à gérer et à analyser les données en temps réel. « C’est beau de générer des masses de données, mais si tu n’as pas les compétences pour les analyser ni les outils d’analyse, c’est peine perdue. Ce sont des données qu’on ne sait pas comment utiliser correctement. »
Solidifier avant d’automatiser
Avant d’automatiser, l’entreprise doit s’assurer que le procédé manufacturier et le processus administratif sont optimisés.
« Souvent, on est pressé d’automatiser et de programmer des façons de faire et des processus pour les rendre automatiques. Mais on peut programmer des choses inutiles, des processus qui ne sont pas bien maîtrisés, qui ne produisent pas de la bonne qualité. Et ça, je pense que c’est pire. Tu viens d’automatiser quelque chose qui marche mal et tu vas être pris avec pour longtemps ! »