Textile

Les alchimistes de la fibre

Les champignons, les feuilles d’érable, la cochenille, l’indigo, la garance… Notre environnement végétal et animal est riche en pigments des plus variés. Et des créatrices d’ici les cultivent, les cueillent, les sèchent et les manipulent pour teindre les fibres. Survol d’un mouvement écolo qui gagne en popularité.

Nous retrouvons Myriam Rochon, fondatrice d’Habi Habi, dans un café d’Hochelaga-Maisonneuve, à quelques pas de l’atelier des Lofts Moreau où ses teintures végétales et elle viennent d’élire domicile. Cet été, Myriam était très affairée à sa microferme, à L’Île-Bizard, où elle a patiemment cultivé son jardin de fleurs destinées à teindre la fibre.

Ce sont les arts visuels qui ont mené cette jeune artisane, attirée par les pratiques ancestrales, sur la voie des teintures végétales. « Pendant mes études au cégep et à l’université, j’avais une pratique en gravure. Or, j’étais très embêtée par tous les procédés très toxiques qui étaient employés », raconte Myriam Rochon, qui a finalement bifurqué vers des études en technologie et sciences de l’environnement au cégep de Joliette.

Vers la fin de ses études, elle a pris conscience que tous ses intérêts convergeaient vers les plantes. Or, elle a constaté que peu de plantes d’ici étaient mises à contribution pour la teinture de fibres. 

« La plupart du temps, les gens qui font de la teinture naturelle ici au Québec importent de l’indigo, de la garance », relate Myriam Rochon, qui elle-même est en phase d’expérimentation pour faire pousser ces deux favoris de la teinture naturelle dans les sols du sud du Québec. Elle espère amener le grand public à s’initier à la teinture naturelle.

« Par le biais d’ateliers, j’aimerais aussi emmener les gens dans la nature pour cueillir des plantes à la portée de tous. La verge d’or, les glands de chêne et plusieurs feuilles d’arbres riches en tanins font d’intéressantes teintures. »

De son propre aveu, Myriam Rochon est inspirée par le mouvement fibershed qui a émergé en Californie, au Tennessee et en France ces dernières années. Dans le même esprit que le slow food, le fibershed entend conscientiser les citoyens au sujet du poids écologique, économique et social de notre avidité pour la mode jetable, qui mène à une consommation effrénée de fast fashion.

L’artisane textile, auteure et écologiste américaine Rebecca Burgess est à la tête de ce courant qui s’oppose à la polluante industrie du « porter et jeter ». Burgess s’est ainsi lancée dans l’enseignement des techniques de teinture botanique aux élèves du primaire, a étudié des techniques de gestion des terres avec des femmes des Premières Nations américaines et a observé des artisans du textile de l’Asie du Sud-Est.

Vers une conscientisation

« Le fait de travailler avec la teinture naturelle nous amène à prendre conscience de la valeur de la couleur », explique Myriam Rochon, qui reconnaît que son travail artisanal est de grand luxe. « Tout cela vaut cher, la culture des fleurs, le temps de faire la teinture. Si bien qu’au final, on a un truc hyper précieux. Mais c’est peut-être une autre façon de penser le vêtement, qui nous amène à y faire plus attention. »

« Il y a vraiment un engouement pour la teinture végétale depuis un an ou deux », assure la designer textile Nathalie Tremblay, qui a beaucoup expérimenté avec les teintures naturelles ces dernières années, notamment lors de séjours en Inde, auprès de maîtres teinturiers. 

Outre Myriam Rochon d’Habi Habi, Nathalie Tremblay mentionne le travail de Cara Piazza, une artiste de Brooklyn qui recueille les résidus de fleuristes, de restaurateurs et de marchands d’épices pour ses impressions naturelles sur des vêtements et accessoires.

Engouement indéniable

Enseignante au collégial en design et impression textile, en plus de cultiver sa propre pratique, Nathalie Tremblay a été initiée aux teintures naturelles par une religieuse qui cultivait un jardin de plantes. 

Pour se simplifier la vie, elle se procure maintenant ses teintures en poudre et entretient (grâce à Facebook !) des liens avec des passionnés de teintures naturelles des quatre coins du monde.

« Il n’y a pas que les plantes : la cochenille, par exemple, est un insecte. Et il y a des mollusques, des teintures minérales, animales. Et les gens sont très friands des champignons et des lichens pour teindre, depuis quelque temps », explique Nathalie Tremblay, qui précise cependant que tout n’est pas 100 % sans chimie, quand on teint « naturel ». 

« Pour teindre, il faut toujours préparer son tissu avec un mordançage (comme l’alun), à moins d’utiliser l’indigo ou le noyer noir. Autrement, le résultat sera beaucoup plus pâle et ne résistera pas à la lumière. »

Myriam Rochon espère que son terrain de jeu et d’expérimentation ne sera pas envahi par les grandes chaînes de vêtements un peu trop friandes de tendances écolos. Or, elle ne refuserait pas l’appel d’un designer local. « J’aimerais bien que mon projet demeure à petite échelle. Mais il est vrai que l’horticultrice en moi trouverait ça bien le fun de travailler en association. »

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