Le trou immense laissé par District 31

Comme si nous avions besoin d’une mauvaise nouvelle de plus en 2022. L’insubmersible cinquième vague de COVID-19, les cabochons de Tulum qui ternissent la réputation du Québec à l’international et notre bon District 31 adoré qui fermera son poste de police le 21 avril à 19 h, après 720 épisodes échelonnés sur six saisons complètes.

Il ne reste donc que 58 épisodes avant que les enquêteurs du 31 ne rendent badges et armes. Oui, c’est un choc. Car personne n’aurait pu prédire que ce populaire feuilleton, qui a marqué l’histoire de la télévision d’ici, disparaîtrait au sommet de sa gloire.

Pensez-y. District 31 a captivé 1,6 million de téléspectateurs, en direct du lundi au jeudi, pendant six ans, à une époque où l’offre numérique explose. C’est un exploit herculéen qu’aucun autre scénariste n’accomplira de sitôt. Chapeau, Luc Dionne, pour avoir créé, alimenté et porté une émission devenue phénomène de société.

Dans les deux dernières années, District 31 a été une récompense – et un solide point d’ancrage – pour de nombreux téléspectateurs qui ont péniblement traversé la pandémie. Le virus démolissait tous nos repères habituels, sauf notre District 31, une source de réconfort et de divertissement qui calmait bien des angoisses.

Après ce marathon d’écriture sans fin, « où il n’y avait plus de lumière au bout d’un long tunnel », l’auteur Luc Dionne, 61 ans, est brûlé et très « à boutte ». Son corps ne suit plus. Il a mal à un genou et a du mal à marcher. Il accumule du retard dans la livraison de ses textes, une tâche colossale qui lui bouffe tout son temps, personnel comme professionnel.

Luc Dionne arrive au point où il a l’impression de se répéter. La triangulation des cellulaires, les deux caméras, une ici, l’autre là, la lecture des droits des prévenus, les ennuis du commandant Chiasson (Gildor Roy), le prolifique scénariste ne souhaitait pas pondre l’année de trop.

« Vaut mieux arrêter quand c’est encore le temps. J’avais comme l’impression d’être allé au bout de ce que je voulais raconter, dans ce que ce format me permettait », a expliqué Luc Dionne en visioconférence mardi après-midi.

La disparition du cinéaste Jean-Marc Vallée, 58 ans, mort de façon subite le jour de Noël, a également ébranlé Luc Dionne. Un coup fatal pour lui. « C’est beau vouloir raconter la vie, mais pour pouvoir la raconter, il faut pouvoir la vivre », explique Luc Dionne, plutôt zen avec sa décision de tirer un trait sur District 31, D31 pour les intimes.

Plus question, non plus, de rater des moments importants comme l’anniversaire de sa conjointe Annie Létourneau, qui s’assure de la continuité et de la cohérence des intrigues de District 31.

En plein party de fête à L’Isle-aux-Coudres l’été dernier, Luc Dionne a dû s’éclipser pour écrire la mort de Stéphane Pouliot (Sébastien Delorme). « À 61 ans, il était temps que je pense aux gens qui m’entourent », glisse-t-il.

Luc Dionne et les producteurs Fabienne Larouche et Michel Trudeau, d’Aetios, se sont rendus mardi après-midi sur le plateau de District 31, à Saint-Hubert, pour annoncer le débranchement à l’équipe. Il était alors 14 h, à la fin de la pause du dîner. Luc Dionne pleurait et a été incapable de prononcer les mots fatidiques, me dit-on. Il a été chaleureusement applaudi, avec raison.

Les nombreux fans de Luc Dionne ne languiront pas longtemps. L’auteur développe la série annuelle DPCP (donc, 24 épisodes d’une heure par année) pour Radio-Canada, qui pourrait arriver en ondes en septembre 2023. Selon mes infos, DPCP ne gardera aucun lien avec District 31. Donc, il ne s’agit pas un « spinoff » pour les procureures Sonia Blanchard (Pascale Montpetit) ou Kim Lalande (Geneviève Boivin-Roussy).

La productrice Fabienne Larouche, qui s’y connaît en écriture de quotidiennes (Virginie, 30 vies), a salué son collègue maestro du clavier. « Luc a fait une job incroyable, fantastique. Il a été courageux et persévérant. C’est une pression énorme. C’est dur physiquement et mentalement. Je pensais qu’on allait faire quatre saisons de District 31. On en a finalement fait six », rappelle-t-elle.

On dirait que les patrons de la vieille tour ne réalisent pas la catastrophe que représente la mort de leur feuilleton phare. Véritable religion, District 31 est une puissante locomotive pour toute la grille de soirée de Radio-Canada. À l’interne, on parle même de l’effet District 31, qui rehausse les cotes d’écoute des émissions qui suivent. C’est une perte immense pour les revenus publicitaires de la société d’État, pour la rétention du public et pour le prestige de se proclamer numéro un.

Selon Dany Meloul, directrice générale de la télé de Radio-Canada, il y a toujours eu une série quotidienne dans les 26 dernières années à 19 h, et il y en aura une nouvelle à l’automne, c’est certain. On peut s’imaginer que c’est la société Aetios, qui a manufacturé Virginie, 30 vies, Clash et District 31, qui héritera de ce mandat périlleux.

Car c’est un défi immense que de développer un feuilleton quotidien en si peu de temps. Il faut trouver l’idée, les auteurs, les acteurs disponibles, l’équipe technique et chauffer la machine pour livrer un produit à la fin d’août.

Avec les fins annoncées de District 31, Nuit blanche, Une autre histoire et Toute la vie, la prochaine saison s’annonce difficile pour Radio-Canada, qui perd plusieurs rendez-vous très fréquentés.

Et n’oublions pas que TVA a amorcé la production de sa propre télésérie quotidienne, qui s’appelle Indéfendable et qui mettra en vedette nul autre que Sébastien Delorme, qui doit aujourd’hui mieux digérer la mort brutale de son Poupou. Indéfendable entrera en ondes en septembre. Les tournages débutent fin février.

District 31 a rejoint toutes les générations grâce à ses personnages attachants ainsi qu’à son mélange habile de taquineries de bureau et d’enquêtes complexes. On s’ennuiera assurément de la camaraderie qui régnait au poste malgré tous les drames qui ont affligé ses policiers.

Pour reprendre une citation fétiche de l’auteur Luc Dionne : merci mon chum pour toutes ces belles histoires, on se commande-tu de la poule pour mieux faire passer la mauvaise nouvelle ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.