Yémen

Une fillette de 3 ans mariée pour un peu d’argent

La pratique des mariages précoces s’intensifie en raison de la crise humanitaire causée par le conflit.

Quatre ans après le début de l’offensive saoudienne au Yémen, le pays est exsangue et la population, à bout de ressources. À tel point que certaines familles doivent se résigner à marier leurs filles en bas âge pour survivre.

Les mariages précoces existent depuis longtemps dans le pays, mais le phénomène s’est intensifié en raison du conflit, souligne Oxfam, qui a relevé récemment le cas d’une enfant de 3 ans.

Le directeur du pays pour l’organisation non gouvernementale, Muhsin Siddiquey, joint hier à Sanaa, au Yémen, a indiqué que le phénomène témoigne du fait que nombre de parents « ont épuisé leur capacité à composer avec le conflit » et cherchent désespérément des solutions.

« Ils se disent qu’en mariant leur fille, ils vont pouvoir empocher l’argent de la dot [versée par la famille de l’époux] pour acheter de la nourriture pour le reste de la famille », relève M. Siddiquey.

Selon Oxfam, les petites filles mariées n’ont pas à avoir de relations sexuelles avant l’âge de 11 ans. Elles doivent cependant demeurer dans la famille de leur époux et sont contraintes de s’occuper des tâches ménagères.

Une fillette de 9 ans, Hanan, a confié à l’ONG qu’elle avait dû arrêter ses études en raison d’un mariage forcé et était battue tant par sa belle-mère que par son père biologique en raison de son opposition à cette décision.

Des infrastructures ravagées

La situation décriée par Oxfam n’est que l’une des manifestations de la crise humanitaire touchant le Yémen, qui a vu ses infrastructures sanitaires ravagées par des années de combats et de bombardements.

Riyad, qui chapeaute avec les Émirats arabes unis une coalition de pays de la région, souhaite déloger les rebelles houthis contrôlant la capitale et de vastes pans du nord du pays, et mène à cette fin des frappes aériennes meurtrières.

L’Arabie saoudite prétend vouloir remettre en selle le président yéménite Abdu Rabbu Mansour Hadi, qui a été chassé de Sanaa il y a plusieurs années après avoir succédé au dictateur Ali Abdallah Saleh.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient, note que le conflit est « largement figé » depuis deux ans malgré l’importance des efforts militaires saoudiens, et qu’il n’y a pas de solution en vue.

Riyad, dit-il, est conscient que son offensive « ne fonctionne pas », mais ne peut se permettre de reculer par crainte de perdre la face, sur le plan national notamment.

Le régime wahhabite est convaincu que l’Iran est à la manœuvre dans le pays et soutient activement les houthis.

M. Juneau note que les rebelles reçoivent un certain appui de Téhéran, mais ne sont pas contrôlés par le régime, qui trouve son compte dans le fait de faire perdurer le conflit.

« C’est avantageux pour eux de faire en sorte que l’Arabie saoudite reste enlisée, tant politiquement que militairement », souligne le spécialiste, qui insiste sur l’importance des répercussions économiques du conflit.

« L’Iran dépense des millions par mois. Pour l’Arabie saoudite, on parle de milliards. »

— Thomas Juneau

Le conflit a eu raison d’une bonne partie des infrastructures sanitaires du pays et a fait exploser le coût de la nourriture, poussant des millions de Yéménites au bord de la famine.

Le travail des ONG qui cherchent à leur venir en aide est compliqué par les combats touchant la ville portuaire de Hudaydah, sur la côte ouest du pays. La majeure partie de l’aide humanitaire acheminée au Yémen arrive par cette agglomération stratégique.

Une trêve a été conclue en décembre pour faire cesser les combats à cet endroit, mais elle demeure fragile, et il arrive, selon Muhsin Siddiquey, que les opérations humanitaires soient perturbées, voire interrompues.

Le représentant d’Oxfam souhaite qu’une trêve soit mise en place à l’échelle du pays pour acheminer l’aide et que des efforts soient faits, notamment par le Conseil de sécurité des Nations unies, pour relancer les pourparlers de paix, actuellement au point mort.

Thomas Juneau doute cependant que ce scénario puisse se concrétiser dans un avenir rapproché, ce qui ne laisse présager rien de bon pour la population.

« La situation humanitaire va encore empirer avant de pouvoir s’améliorer », prévient-il.

Cesser de fournir des armes

Oxfam-Québec et une dizaine d’autres organisations non gouvernementales ont écrit au premier ministre canadien, Justin Trudeau, au début du mois de mars relativement au conflit yéménite. Elles demandent au Canada de suspendre toute vente d’armes à l’Arabie saoudite ou à d’autres belligérants participant au conflit de manière à ne pas contribuer aux violations des droits de la personne en cours. Les signataires ont notamment réclamé l’annulation d’un important contrat de vente de véhicules blindés en voie d’être réévalué par Ottawa. Le simple fait qu’il existe « un risque » que le matériel militaire canadien puisse servir à des violations « devrait suffire comme critère pour prévenir, suspendre ou terminer un contrat d’armement », indique la coordonnatrice humanitaire d’Oxfam-Québec, Céline Füri. Plusieurs pays, dont le Danemark, l’Allemagne et l’Autriche, ont déjà annoncé qu’ils bloqueraient tout transfert d’armes vers l’Arabie saoudite par crainte d’alimenter le conflit au Yémen.

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