Quand le patient se préoccupe du sort de l’infirmière

La réforme du système de santé vue sous l’angle du dialogue social

Au Québec, la santé capte un budget annuel de 60 milliards de dollars. Cette somme est appelée à exploser au cours des prochaines années à cause du vieillissement de la population. Sans compter que la réforme de la santé de 2015 a secoué fortement les points d’ancrage antérieurs.

Dès lors, une partie importante des 280 000 employés du réseau québécois de la santé s’est retrouvée démobilisée. En outre, un afflux de clientèles plus lourdes juxtaposé à une déconnexion des dirigeants à l’endroit de la base a produit une réduction de la passion du personnel. Finalement, la publicité entourant l’épuisement du personnel hospitalier a créé une inversion de la compassion dans la population. Voilà maintenant le patient qui, de son lit d’hôpital, se préoccupe du sort de l’infirmière.

Ce contexte où se juxtaposent complexité des soins et épuisement du personnel incite à une fuite vers l’avant. C’est là qu’une réforme structurelle change l’air du temps. De cela, le Québec n’en a pas manqué en santé. Lors de la création de l’assurance maladie en 1971, le Québec compte 225 hôpitaux. Ils sont intégrés dans un réseau où se joignent des centres d’accueil et des centres locaux de santé communautaire (CLSC). Naissent des centres régionaux de santé « CRSSS » dont le rôle est consultatif. Au début des années 1980, le système de santé compte environ 1200 établissements. S’amorce alors une phase d’intégration : des régies remplacent les conseils régionaux en 1991, qui deviennent subséquemment des agences que la réforme Barrette abolit en 2015. Le réseau de la santé est alors ramené à 34 établissements, que le ministre Christian Dubé se propose d’abolir pour en faire une seule entité : l’agence Santé Québec.

Depuis 50 ans, le système québécois de la santé a transité d’une décentralisation déconcertante à une centralisation étonnante.

À l’évidence, pour contrer les difficultés de la complexité, les gouvernements successifs se sont drapés d’un voile de centralisation. Même les syndicats y furent tenus. La Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales, que le syndicalisme n’avait pas demandée, oblige les salariés à se regrouper dans l’une ou l’autre des quatre unités syndicales couvrant les domaines suivants : les soins infirmiers, les services auxiliaires, le personnel administratif et les autres techniciens ou professionnels de la santé non infirmiers. Comme le système de santé compte 34 entités, notamment les CIUSSS ou les CISSS, cela donne, à des fins de négociation, 136 organisations syndicales (4 X 34), qui sont intégrées dans quelques centrales ou syndicats indépendants. À tous égards, la réforme Dubé les ramènera à quatre puisqu’il n’y aura qu’une seule entité juridique pour l’ensemble du Québec. L’unité syndicale de site sera ainsi détruite avec un effet réducteur sur le dialogue social de proximité, donc sur la démocratie syndicale.

Mouvement de personnel

Cette manœuvre administrative titanesque fusionnera l’ancienneté. Ainsi, un salarié des Îles-de-la-Madeleine pourra postuler à un poste accessible à Drummondville. Et inversement, le salarié qui voit son poste aboli à Montréal pourra être tenu de déplacer (« bumper ») un salarié à Gaspé. Négocier le mouvement du personnel dans une structure autant centralisée ne sera pas une mince affaire. Car notre modèle de relations de travail, fondé sur les principes de la loi américaine Wagner de 1935, met de l’avant un dialogue social de site industriel. Même les grandes entreprises créent des structures d’entreprises décentralisées où les échanges entre syndicats et patrons, à des fins de négociation collective, s’actualisent au niveau d’un établissement.

Or, la réforme proposée entend le faire sur le plan national. Néanmoins, le Québec a déjà fait des adaptations utiles. À cet égard, il possède une expérience probante. Il s’imposera de poursuivre dans la voie de la négociation à la carte qui postule trois niveaux d’échange : le national, le régional et le local. Ce système de négociation est déjà prévu dans la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Que cette loi soit ou non abrogée, il faudra obligatoirement, dans le nouveau cadre de négociation nationale, se préoccuper des besoins de proximité des salariés, comme l’organisation du travail ou la prise en charge des besoins familiaux.

Le projet de loi 15 ou la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace devrait s’inspirer des idées de ceux ou celles qui sont en contact quotidien avec la clientèle, spécialement les médecins à titre de maîtres d’œuvre, les professionnels et tous les autres employés. Or, jusqu’à ce jour, aucune réforme de la santé n’a vraiment pris soin de le faire. C’est comme si chaque ministre de la Santé s’était dit, depuis une vingtaine d’années, que tout irait mieux si tout relevait de lui. Le système de santé satisfait déjà des critères d’excellence. Le personnel doit néanmoins démontrer davantage de rigueur et de passion, ce qui postule un leadership inspirant en amont. Du haut de sa technostructure nationale, le ministre Dubé pourra toujours déléguer vers la base. Sinon, il ne réalisera rien outre une autre réforme structurelle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.