Projet de loi sur l’énergie

Vers la modulation des tarifs d'électricité

Création d’un fonds d’aide à la clientèle résidentielle, ouverture à la modulation des tarifs d’électricité en fonction de l’heure de la consommation dès 2026 et autorisation pour Hydro-Québec de procéder sans appel d’offres pour trouver de nouvelles sources d’énergie. Le ministre Pierre Fitzgibbon a enfin déposé son projet de loi sur l’énergie, qui ratisse large. Les plus inquiets sont les grands consommateurs industriels, qui pourraient voir leur facture grimper à compter de 2026.

Projet de loi sur l’énergie

Le nouveau projet de loi sur l'énergie en 6 points

Après des mois de conjectures et d’attente, le ministre Pierre Fitzgibbon a finalement déposé jeudi son projet de loi devant apporter d’importants changements dans le secteur de l’énergie. Le voici résumé en six points.

« La modulation, on la voit partout dans le monde »

Le gouvernement Legault demande à la Régie de l’énergie de fixer dès 2026 des tarifs pour « favoriser la diminution de la consommation d’électricité en période de pointe », et en fonction de « l’intensité énergétique ». Le ministre Fitzgibbon veut un débat sur la question des tarifs modulés. Est-ce qu’on doit payer plus cher notre électricité lorsqu’on chauffe sa piscine, ou lorsqu’on fait fonctionner son lave-vaisselle lors des pointes de consommation, par exemple. « La modulation, c’est la logique même, ça, on le voit partout dans le monde. » Cette modulation sera toutefois optionnelle, a soutenu le ministre en entrevue avec notre chroniqueur Francis Vailles, après avoir affirmé en conférence de presse que la régie « pourrait » l’imposer avec sa loi.

De l’énergie vite vite vite, sans appels d’offres

Pierre Fitzgibbon veut aller vite. Pour décarboner le Québec en 2050, « on doit pratiquement doubler notre production actuelle d’électricité et on a 25 ans pour le faire ». « C’est très court », a-t-il dit. La solution : permettre à Hydro-Québec de développer des projets énergétiques « sans appels d’offres ». Il affirme que la Régie de l’énergie sera capable de « contrôler » le coût des projets. « Finies les nombreuses étapes de décrets gouvernementaux qui précèdent des grilles de critères, qui vont à la Régie, qui mènent à un appel d’offres, qui qualifient des fournisseurs. Tout ça était beaucoup trop long », a affirmé le ministre.

Qui doit payer pour la décarbonation ?

Avec son projet de loi, Pierre Fitzgibbon veut lancer un grand débat : qui doit payer pour la transition énergétique et l’atteinte de la carboneutralité en 2050 pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques ? « C’est un immense projet de société. Notre souhait, c’est que tout le monde embarque », a-t-il dit. Pour y arriver, il faut produire entre 150 et 200 TWh pour remplacer l’« énergie sale » provenant des hydrocarbures. Sa vision doit se trouver dans un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques dévoilé en 2026. « Qui va payer pour ça ? C’est-tu les entreprises ? C’est-tu les commerces ? C’est-tu le résidentiel ? C’est-tu le gouvernement ? C’est-tu Hydro-Québec ? C’est un débat qu’on doit avoir. »

Pas de choc tarifaire… à court terme

« Il n’y aura pas de choc tarifaire à court terme. Je peux rassurer la population et les entreprises, ça n’arrivera pas », a affirmé M. Fitzgibbon. Québec maintient sa promesse de limiter à un maximum de 3 % la hausse des tarifs résidentiels, mais seulement jusqu’en 2026. Pour y parvenir, il utilisera ses propres fonds. Le coût potentiel : entre 100 millions et 300 millions par année selon des modélisations. Mais après 2026, ça risque de se corser. « Les hausses qui vont survenir avec la nouvelle production à coût marginal, différent du bloc patrimonial, vont arriver en 2028, 2029, 2030, 2032, jusqu’à 2035 », a dit le ministre.

Le privé pourra vendre à ses voisins

« Il est hors de question de privatiser ou de dénationaliser quoi que ce soit », a dit Pierre Fitzgibbon. Il permettra toutefois à une entreprise comme TES Canada, en Mauricie, de vendre de l’énergie éolienne à ses voisins « dans la mesure où ces installations sont situées sur un emplacement adjacent ». L’exception existait déjà, mais pour l’électricité produite par la biomasse forestière. « On veut permettre aux producteurs d’énergie renouvelable de vendre une partie de leur production à un consommateur situé sur un terrain adjacent, mais pas sur le réseau de transport d’Hydro-Québec. Lorsqu’on parle de transition énergétique, on doit additionner les forces et non pas les diviser », a dit M. Fitzgibbon.

Vendre les petites centrales

Hydro-Québec doit augmenter de façon importante sa production d’énergie d’ici 2050. Elle « va vouloir focaliser sur les gros projets », a résumé le ministre Pierre Fitzgibbon. Ce projet de loi lui permet de vendre ses petites centrales de 100 MW et moins à des municipalités et des communautés autochtones. La société d’État possède 16 centrales hydroélectriques de moins de 100 MW, situées notamment sur les rivières Saint-Maurice, Sainte-Anne, des Outaouais et sur le Saint-Laurent, par exemple.

Les industriels écopent

Les clients industriels d’Hydro-Québec ne sont pas contents. Ils ont hérité de ce qui semble être la plus mauvaise nouvelle du projet de loi sur l’énergie du ministre Pierre Fitzgibbon. Le gel qui protégeait en partie le tarif L de la hausse annuelle d’Hydro-Québec a été éliminé.

« C’est très inquiétant pour la compétitivité future de nos entreprises », a réagi Jocelyn Allard, le président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité.

Les plus gros clients industriels d’Hydro-Québec craignent de payer cher la volonté du gouvernement d’augmenter de façon importante la production d’électricité pour attirer des investissements dans la filière batterie et la transition énergétique.

En 2014, le gouvernement québécois avait décidé d’épargner en partie le tarif industriel des hausses annuelles d’Hydro-Québec pour maintenir la compétitivité de ces grandes entreprises dont la concurrence est internationale. Une partie importante, soit quelque 70 % de la composante énergie du tarif L, avait ainsi été mise à l’abri des augmentations tarifaires. C’est cette protection que le projet de loi abolit et qui fera augmenter considérablement le tarif L à partir de 2026.

« Tout le monde va payer plus cher, mais là, on donne un gros coup à la grande industrie », constate Jocelyn Allard.

Disparition des appels d’offres

Le porte-parole des consommateurs industriels est heureux par ailleurs que le gouvernement redonne à la Régie de l’énergie la responsabilité de fixer les tarifs d’Hydro-Québec. Il s’inquiète toutefois qu’Hydro-Québec ne soit plus obligée de faire des appels d’offres pour ses nouveaux approvisionnements en énergie.

Selon lui, toutes les catégories de consommateurs d’électricité devraient être préoccupées par l’élimination d’une façon de faire qui permet une certaine compétition entre les fournisseurs d’Hydro-Québec.

Cette latitude supplémentaire accordée à Hydro-Québec est peut-être nécessaire pour augmenter plus rapidement la production d’électricité, mais elle soulève aussi des questions, selon Pierre-Olivier Pineau, professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. « Il faut aller vite, mais on veut aller vite sans savoir qui va payer pour ça », souligne-t-il.

Le gouvernement annonce un plan de gestion des ressources énergétiques, mais en attendant le plan, il ira de l’avant immédiatement avec une augmentation de 60 térawattheures des approvisionnements en électricité. Pierre-Olivier Pineau aurait aimé que le projet de loi accorde moins de place à l’augmentation de la production et plus de place à la sobriété énergétique.

D’autres inquiétudes

Le porte-parole du Regroupement des organismes environnementaux en énergie, Jean-Pierre Finet, dit avoir été désagréablement surpris par des éléments du projet de loi qui sont passés sous le radar.

« L’article sur la loi de la Régie de l’énergie qui dit que la production d’électricité doit servir exclusivement à la satisfaction des marchés québécois a été abrogé, ce qui est inquiétant. »

— Jean-Pierre Finet, porte-parole du Regroupement des organismes environnementaux en énergie

Selon lui, ce changement ouvre la porte à l’exportation d’hydrogène vert fabriqué avec de l’électricité québécoise. « TES Canada pourrait exporter de l’hydrogène produit à Shawinigan vers l’Allemagne, où sa société mère construit un terminal », a-t-il illustré.

Le plan intégré des ressources énergétiques annoncé sans le projet de loi est largement bien accueilli. L’Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable estime qu’il permettra de « diriger les bonnes énergies au bon endroit ».

Son président, Luis Calzado, réitère ses inquiétudes sur la place des producteurs privés dans le futur développement éolien, qu’Hydro-Québec a décidé de contrôler. Il veut regarder de plus près les articles du projet de loi qui concernent l’approvisionnement « car, depuis le dévoilement de la stratégie éolienne d’Hydro-Québec, les producteurs indépendants sont préoccupés par la place qui leur sera accordée dans la réalisation de grands projets éoliens ».

Ce qu’ils ont dit

Marc Tanguay, Parti libéral du Québec

« Alors que nous avons attendu plus d’un an, le ministre se donne une autre année avant de déposer un plan sur l’avenir énergétique du Québec. Après six ans sans vision, la CAQ cherche encore le nord. Barrages, éolien, solaire, nucléaire ? On n’en sait pas plus. L’échéance de 2035 approche, on perd un temps précieux.

« On constate, par ailleurs, que la CAQ corrige son erreur historique du PL34 qui liait les tarifs d’électricité à l’inflation et redonne des pouvoirs à la Régie de l’énergie. Plus inquiétant, nos PME, déjà sous le coup d’un choc tarifaire de 11,5 % en 12 mois, auront à payer davantage.

« Les Québécois compenseront à même leurs impôts le plafonnement à 3 % des tarifs résidentiels en vertu d’un fonds de 100 à 300 millions d’argent public annuellement. Là aussi, un choc tarifaire est à prévoir sur la facture d’électricité après les élections en 2026. »

Haroun Bouazzi, Québec solidaire

« Il y a un vrai débat à avoir [sur la modulation des tarifs]. Nous, on est très heureux d’enfin pouvoir l’avoir, à Québec solidaire. Comme vous le savez, il y a des inégalités dans l’accès à l’énergie, il y a des personnes qui vivent dans des passoires énergétiques, qui, elles, pour arriver aux 20 degrés dont elles ont besoin à la maison… bien, ces 20 degrés-là leur coûtent plus cher qu’à d’autres. De l’autre côté, évidemment, il y a d’autres besoins qui sont moins importants que de se chauffer l’hiver, chauffer un jacuzzi en plein hiver ou chauffer une piscine. Donc, il y a une conversation à avoir sur la manière dont on va moduler tout ça.

« Je rappelle encore une fois que le risque numéro un identifié par Hydro-Québec dans son plan d’action, c’est l’accès à la main-d’œuvre. Évidemment, permettre du privé au privé, bien, ça va prendre une partie de la main-d’œuvre et mettre à risque ce plan d’action qui est pourtant essentiel dans la réussite des choses. »

Pascal Paradis, Parti québécois

« Le gouvernement n’a pas de mandat populaire, la population n’a jamais été consultée là-dessus, n’a jamais, en élection, mentionné le fait qu’il ouvrirait à une privatisation de la production d’électricité au Québec. Et c’est ce que ce projet de loi fait. 

« Il y a un article, donc, qui indique clairement que, désormais, il sera possible de produire de l’électricité pour soi-même, mais il y a un autre article après ça qui dit que ça sera possible de produire de l’électricité pour une compagnie privée et d’en vendre à une autre compagnie privée s’il s’agit d’un projet adjacent. Or, évidemment, la question est dans les détails. Donc, qu’est-ce que c’est de l’autoproduction et qu’est-ce que c’est un projet adjacent ? Pour nous, la possibilité qu’une compagnie privée puisse produire de l’électricité et en vendre à une autre compagnie privée, c’est une brèche très importante dans le principe de la nationalisation de l’électricité, de l’énergie au Québec et, ici, c’est ce qui est en train de se passer. »

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