Chronique

La médiocrité tranquille

Le taux de diplomation des élèves québécois (six ans après l’entrée au secondaire) est de 74,4 %, selon les dernières données. Ça inclut garçons et filles, du public et du privé. En Ontario, cette moyenne globale est de 85 %.

Non seulement les taux de diplomation québécois font pic-pic à côté de la province voisine, mais les élèves anglophones du Québec tirent la moyenne vers le haut. Les commissions scolaires anglaises du Québec ont de meilleurs taux de diplomation que la moyenne. Ils ressemblent, dans les faits, à ceux de l’Ontario : à la commission scolaire Lester B. Pearson, le taux de diplomation global après six ans est de 85 %.

Je remercie donc tous les défenseurs de notre système scolaire de me signaler régulièrement que le Québec obtient de bons résultats aux tests internationaux PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), mais je reste obnubilé par ce fait : le Québec produit plus de décrocheurs que la province voisine.

Chaque fois qu’on parle d’analphabétisme, disons à la faveur d’une campagne de sensibilisation annuelle, nous sommes sidérés par la statistique : 800 000 Québécois sont analphabètes.

Ces 800 000 Québécois démunis devant les mots ne sortent pas d’une navette revenant de Mars, ils ne sortent pas de la Grande Noirceur : ils sortent de nos écoles.

Égide Royer, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, l’a rappelé en commission parlementaire, fin janvier : sept ans après le début de son secondaire, un jeune Québécois sur trois n’a aucun diplôme d’études secondaires. Chez les filles : une sur cinq.

Je cite ce spécialiste de la lutte au décrochage, dans sa déposition aux parlementaires : « Nous semblons au Québec, en ce qui a trait à l’échec scolaire et à la sous-scolarisation, particulièrement celle des garçons, avoir développé une tolérance à l’intolérable. Nous sommes pourtant en train de sérieusement miner notre avenir collectif. »

La façon dont l’école est traitée – maltraitée, en fait – au Québec est un prisme privilégié pour comprendre comment nous tolérons l’intolérable, comme le dit si bien Égide Royer.

Il y a mille exemples. En voici un : récemment, sur la voie de desserte de l’autoroute Métropolitaine, on avait planté un gros cône orange dans un nid de poule. J’ai fait ce que tous les autres automobilistes ont fait : j’ai ralenti, j’ai contourné le cône et j’ai poursuivi mon chemin.

Tout le Québec moderne est là, résumé dans cette image, dans ce lent évitement d’un obstacle qui fait aujourd’hui partie du paysage, mais qui n’a pas d’affaire dans ce foutu paysage. Idem pour l’attente aux urgences, ce cône orange hospitalier dont nous nous accommodons. On attend combien de temps en moyenne aux urgences, aujourd’hui ?

Quinze heures ? Dix-sept heures et demie ? Who cares…

Les ratés de notre système d’éducation – malgré un budget annuel de quelque 17 milliards, malgré une réforme scolaire mal avisée mais avalisée par les deux grands partis – sont une métaphore de ce Québec qui fait du surplace, qui souffre d’un déficit chronique de solutions.

Prenez le CHUM. Je suis assez vieux pour me souvenir que le PQ était au pouvoir quand l’idée d’un mégahôpital universitaire a commencé à circuler. Il devait être au coin de Bellechasse et de Saint-Denis. Il a fallu, quoi, une décennie et demie de tergiversations pour enfin décider où on allait l’ériger ? Les Anglos ont décidé plus rapidement, mais le chantier s’est révélé être un nid de corruption. Belle image.

Je veux revenir au témoignage d’Égide Royer à cette commission parlementaire, mais on me permettra un détour de 19 ans dans le temps. Tragiquement, en 1997, 43 Québécois sont morts dans Charlevoix, lors d’un accident d’autocar de tourisme aux Éboulements.

L’enquête du coroner avait démontré la négligence de la compagnie de transport : l’autocar était mal entretenu, les freins avaient littéralement lâché, transformant le véhicule en projectile qui est allé s’écraser au fond d’un ravin. En clair, ce drame était la faute du transporteur.

Or, qu’a fait le gouvernement ? Dans une métaphore pesante de québécitude, le gouvernement a ordonné qu’on refasse la côte !

Le rapport entre la côte des Éboulements et Égide Royer témoignant en commission parlementaire ? J’y arrive, restez au poste…

Cette commission parlementaire étudiait le projet de loi 86, qui va modifier la gouvernance scolaire. En gros, les élus scolaires seront éjectés de la gestion des commissions scolaires, remplacés par une pléthore de gens qui ne sont pas des élus.

Égide Royer, évoquant des cas d’élèves en difficulté, ces élèves qui finissent par devenir des décrocheurs, a déclaré aux députés : « Pour ces jeunes, fréquenter une école qui relèvera maintenant d’une commission scolaire gérée par un conseil scolaire plutôt que par un conseil des commissaires fera-t-il une différence ? Je ne crois pas. »

Bref, ce projet de loi refait une côte qui n’est qu’un problème parmi d’autres, qui n’est pas la cause principale du désastre qui nous occupe.

Quand j’ai commencé à écrire sur l’école, j’ai fait une erreur : je n’ai analysé ses ratés que sous le prisme de notre rapport historique avec l’éducation. Ça fait partie de l’équation, oui. Après tout, nous avons créé notre ministère de l’Éducation cent ans après celui de l’Ontario ; avant la Révolution tranquille, nous étions, avec les Portugais, les moins scolarisés en Occident. Ça laisse des traces, ce retard.

Or, à force de parler avec ceux qui sont dans les tranchées de l’école québécoise, je constate que les problèmes de l’école transcendent l’école. Je fais le constat un peu vertigineux : le Québec a un grand talent pour s’accommoder de la médiocrité, une sorte de médiocrité tranquille qui nous fait oublier les cônes orange, réels et métaphoriques, pendant que nous les contournons…

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