Critique resto

Redécouvrir le « Pied » urbain

Les tables montréalaises établies sont-elles toujours à la hauteur de leur réputation ? Nous en visiterons quelques-unes pendant l’année, question de renouer avec ces restaurants qui résistent à l’épreuve du temps. Cette semaine, une institution de circonstance : Au pied de cochon.

Pourquoi on en parle ?

C’est le temps des sucres. Le PDC de l’avenue Duluth n’est peut-être pas la cabane de Mirabel, mais les produits de l’érable y sont néanmoins bien à l’honneur, du cocktail au dessert en passant par la fameuse « plogue à Champlain ».

La contribution d’Au pied de cochon au rayonnement culinaire de Montréal n’est pas un secret. Feu Anthony Bourdain répétait que le restaurant du chef Martin Picard, ouvert en 2001, était un de ses préférés au monde. Voilà entre autres pourquoi, depuis plusieurs années, la majorité de la clientèle vient des quatre coins du monde – « 80 % de touristes », estime le jeune chef de cuisine Michael Picard, neveu de Martin.

Les Québécois, et les Montréalais en particulier, ont-ils encore intérêt à fréquenter cette institution ? Certainement! ! Les clients locaux sont toujours bienvenus, que ce soit pour festoyer ou pour s’installer brièvement au bar avec un verre de vin et un plat du jour.

Un peu d’histoire

Quand Martin Picard a ouvert Au pied de cochon, avec son bras droit Marc Beaudin, il arrivait du Club des Pins, une belle table surtout provençale de l’avenue Laurier Ouest. Aussi bien dire qu’il a fait un virage à 180 degrés, délaissant le chant des cigales pour pratiquer une cuisine plus proche de ses racines.

« Faut-il y voir une tendance ? écrivait feu Françoise Kayler, critique gastronomique à La Presse, dans son bilan de l’année 2001. On parle moins de gastronomie, ces temps-ci, que de culture culinaire et, à tout propos, on se réfère au terroir. Sans aller fouiller en profondeur, en ne restant qu’à la surface de la table, quelques indices laissent croire que le climat est peut-être en train de changer. Il se réchauffe. »

Et ce fut le début de ce culte de l’excès auquel plusieurs autres restaurants ont emboîté le pas. La poutine au foie gras a porté le flambeau de la gastronomie montréalaise pendant quelques années au moins. Puis la cabane à sucre en a remis, à partir de 2009. Rebelote en 2018, avec l’ouverture de la néanmoins plus délicate Cabane d’à côté.

Pendant de nombreuses années, c’est Emily Homsy (aujourd’hui copropriétaire du Bar St-Denis) qui a mené les cuisines du « Pied » urbain. À son départ, il y a sept ans, Michael Picard est monté à la chefferie. Il n’avait que 23 ans. Respectueux de l’héritage familial, il s’incline devant les grands classiques immuables tout en faisant siennes les propositions du jour, selon les arrivages.

Notre expérience

Il n’était pas question de débarquer au Pied de cochon après un très long hiatus pour manger de la salade ! (Cela dit, celle aux endives, chèvre, poire et noix est exquise.) C’était un samedi soir tôt et nous étions prêts à attaquer – à quatre – un bon nombre de classiques.

Mais d’abord, un petit apéro. Un verre de cidre, peut-être ? La maison produit les siens, à partir des fruits du verger de Mirabel et de pommes cultivées dans les environs de la cidrerie. À ma table, la cuvée Manger du pissenlit par les racines, un jus de pommes Russet dosé au miel de pissenlit d’Anicet, fait l’unanimité. C’est frais, avec une petite amertume qui met encore plus en appétit.

Nous aurons malheureusement moins de succès avec les vins, ce soir-là. Ce n’est pas que la carte du PDC, alimentée par Alexandre Meilleur, manque de belles bouteilles. Elle remplit huit pages en petits caractères, avec près de 500 références. La Bourgogne occupe beaucoup de place. Les rouges italiens aussi. Grand amateur de riesling tranchant, le sommelier en met toujours un au verre. Le ratage, ce soir-là, il est plutôt dans la communication. Je demande à être suprise, en donnant maints qualificatifs et exemples de vins chouchous, mais on nous apporte des bouteilles ennuyeuses. Dommage.

Les plats, eux, correspondent pour la plupart aux attentes. La plogue, une galette de sarrasin surmontée de lard fumé, de cheddar, d’une généreuse escalope de foie gras et d’une sauce à l’érable, lance les hostilités avec gourmandise.

C’est peut-être parce que le Québec a été assailli par des centaines de versions tout aussi « cochonnes » depuis 22 ans, mais la poutine au foie gras semble presque anecdotique en 2023. À côté, les deux temakis remplis de riz, de tartare de canard et de pommes allumettes font office de « fraîcheur » et rappellent agréablement que la « gastronomie montréalaise » est affaire de fusions et d’influences.

Après, les plats principaux seront tous plus costauds les uns que les autres. Ce n’est pas parce que vous commandez l’omble de fontaine que votre foie s’en sortira mieux ! Le très beau poisson (entier), qui provient de la pisciculture Kenauk, baigne dans un riche beurre blanc à l’oseille.

Il faut aimer le gras de porc pour apprécier la côte de cochon vieillie. Tant qu’à se laisser aller, le canard en conserve est une meilleure option à partager, avec magret, foie gras, lard fumé et chou fondant. Ce sont pratiquement tous les goûts du PDC réunis dans une grande assiette, avec purée de topinambours en prime.

Si vous vous rendez au dessert, bravo ! À notre table, professionnalisme oblige, nous avons commandé le pouding chômeur et la tarte aux pacanes, avec quatre fourchettes. Cette section du menu mériterait un peu d’amour. Certes, on est dans la maison de l’excès, mais pourquoi ne pas proposer au moins une douceur plus digeste… et raffinée.

Au bout du compte, mieux vaut ne pas manger toutes les semaines au Pied de cochon – ce qui risquerait aussi de casser la tirelire, notre repas pour quatre ayant coûté près de 700 $ tout compris avec deux bouteilles de vin (à moins de 100 $ chacune) et deux verres de cidre. Mais on peut certainement garder cette table emblématique dans son carnet d’adresses et être fier d’y amener la visite.

536, avenue Duluth Est

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