Chronique

Des riches ont évité l’impôt de Trudeau

Les données sur les revenus des 1 % plus riches, publiées hier, recèlent une intrigante nouvelle sur la réaction des contribuables fortunés à l’arrivée du gouvernement Trudeau, en 2015. Une nouvelle qui permet de penser qu’ils pourraient avoir évité le paiement de près de 200 millions de dollars d’impôts.

Cette année-là, les riches et les très riches contribuables ont vu leurs revenus s’accroître de façon exceptionnelle, selon Statistique Canada. Les Canadiens de la classe des 1 % les plus riches ont vu leurs revenus moyens croître de 13,5 % et les très riches (classe des 0,01 %), de 35,2 %. Les données vont dans le même sens au Québec (8,5 % et 26,8 %).

Qu’est-ce qui explique une telle hausse, de très loin la plus forte depuis 25 ans ? Selon deux fiscalistes, tout indique que de nombreux riches contribuables auraient fait devancer le versement de certains revenus en 2015 afin d’éviter la hausse annoncée de l’impôt sur les particuliers de 2016.

Durant la campagne électorale de 2015, le clan Trudeau a répété pendant plusieurs mois que son parti, une fois élu, augmenterait le taux d’imposition des riches et baisserait celui de la classe moyenne. De fait, après l’élection, les libéraux ont haussé le taux marginal maximal d’imposition des particuliers de 4 points de pourcentage, comme annoncé durant la campagne. Le taux est ainsi passé à 53,3 % au Québec et à 53,5 % en Ontario au 1er janvier 2016. L’annonce de la majoration des impôts a eu lieu le 7 décembre 2015.

Selon deux fiscalistes, cette hausse attendue a vraisemblablement incité des contribuables bien nantis, notamment des entrepreneurs, à déclencher le versement de dividendes et autres revenus en 2015. Statistique Canada me confirme d’ailleurs que les trois quarts de la hausse des revenus des très riches en 2015 s’expliquent par un boom dans le versement de dividendes.

Plus précisément, les 2710 très riches Canadiens, figurant parmi les 0,01 % les plus fortunés, ont déclaré des revenus moyens de 7,45 millions de dollars en 2015, en hausse de 1,93 million (35,2 %) par rapport à l’année précédente. Selon Statistique Canada, près des trois quarts de cette augmentation s’expliquent par la hausse du versement de dividendes.

Près de 200 millions d’impôts évités

En clair, de très riches ont possiblement évité le paiement de 4 points de pourcentage d’impôts sur une grande part de cette hausse de 1,93 million, économisant en moyenne environ 71 000 $ chacun. Globalement, l’impôt qui aurait ainsi été évité par les très riches pourrait atteindre les 192 millions de dollars au Canada.

En 2015, les économistes, notamment l’Institut CD Howe, avaient d’ailleurs averti le ministre des Finances, Bill Morneau, que la hausse des impôts envisagée entraînerait une fuite fiscale.

On saura l’an prochain si cette hausse de revenus en 2015 des très riches était exceptionnelle et liée à l’impôt Trudeau ou non.

Quoi qu’il en soit, cette hausse subite a fait augmenter la part de revenus globaux qu’accaparent les contribuables riches appartenant au 1 % en 2015, ce qui ne s’était pas vu depuis 10 ans au Canada.

De fait, les 1 % les plus riches ont recueilli à eux seuls 11,2 % de tous les revenus des particuliers avant impôts en 2015, un bond de 0,9 point de pourcentage par rapport à 2014. Un tel niveau ne s’était pas vu depuis la crise, en 2008.

Au Québec, où l’écart entre les riches et les pauvres est moindre, la part accaparée par le 1 % s’est élevée à 9,3 % en 2015, en hausse de 0,5 point sur 2014. Ce niveau est à peu près stable depuis 1999, soit 16 ans.

Statistique Canada mesure également l’accaparement des revenus après impôts de la classe de 1 %. Une fois pris en compte l’effet redistributif de notre système d’imposition, la part des 1 % tombe à 9 % au Canada et à 7,4 % au Québec.

Autre constat : depuis 10 ans, ce sont les revenus des plus pauvres qui ont augmenté le plus rapidement au Canada. Plus précisément, les contribuables gagnant moins de 31 700 $ – soit la tranche de 50 % de revenus inférieurs – ont vu leurs revenus augmenter de 3,1 % par année depuis 10 ans au Canada, davantage que les très riches (3 %). Au Québec, la hausse est aussi de 3,1 %, mais celle des très riches a été de 4 %.

Et il faut être conscient, bien sûr, qu’une hausse de 3,1 % est bien supérieure en valeur absolue pour les riches. Il faut aussi retrancher à cette augmentation, qui est en dollars courants, les effets de l’inflation.

Des données de Statistique Canada, il ressort également que la classe, disons, moyenne voit ses revenus augmenter moins rapidement que les autres. En effet, ceux figurant entre le 50e et le 99e percentile des contribuables ont vu leurs revenus augmenter de 2,6 % par année depuis 10 ans au Québec, en moyenne, ce qui constitue la plus faible hausse des groupes québécois que j’ai répertoriés.

Il ne s’agit pas spécifiquement de la classe moyenne, cela dit, puisque les particuliers qui en font partie ont des revenus oscillant entre 31 700 et 190 700 $. En moyenne, les gens de ce groupe avaient un revenu de 60 565 $ au Québec.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.