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Collaborer plutôt que donner

L’époque où une entreprise présentait un beau gros chèque à un organisme de bienfaisance est révolue. De nos jours, les PME et les grandes entreprises s’y prennent différemment pour faire le bien autour d’elles. Commandites, bénévolat, activités à grand déploiement sont autant de tendances qui sont en train de redessiner la philanthropie de demain à un moment où l’État québécois s’apprête à sabrer le filet social.

Cette redéfinition de la philanthropie survient également à un moment où la valeur des dons est dans un creux depuis la crise financière. De 3 milliards en 2008, les dons destinés aux institutions et aux organismes de bienfaisance du Québec se situent aujourd’hui entre 2,4 et 2,5 milliards. Un manque à gagner de quelque 500 millions.

« Il y a moins d’argent de disponible, mais plus d’organismes qu’il y a six ans, explique Daniel Asselin, président de la firme Épisode et coauteur d’une étude sur les tendances en philanthropie au Québec. Par conséquent, les organismes qui réussissent à amasser plus d’argent que l’année précédente arrachent cet argent à d’autres organismes. »

Selon Danielle Poulin, membre du comité exécutif de l’Association des professionnels en gestion philanthropique, la nouvelle tendance est « de participer plutôt que de donner ». « De moins en moins de grandes entreprises font de grands dons, explique-t-elle. Elles vont plus agir dans un contexte de collaboration. »

Les entreprises agiront désormais comme vecteur, dit en substance Danielle Poulin. « La tarte des dons corporatifs n’augmente pas, dit-elle. L’argent est dans les mains des individus. Or, comme l’État est en décroissance, on a une culture philanthropique à développer au Québec.

« Avec une population à peine 30 % plus nombreuse que la nôtre, la philanthropie en Ontario récolte quatre fois plus d’argent. »

— Danielle Poulin, membre du comité exécutif de l’Association des professionnels en gestion philanthropique

« Les gens donnent, mais ils attendent quelque chose en échange, explique Diane Derome, directrice de la Fondation Desjardins. Il ne suffit plus de toucher les gens ; il doit y avoir un effet d’entraînement. L’Ice Bucket Challenge, Movember, le Défi Pierre Lavoie, les compétitions sportives, ce genre d’événement a de plus en plus la cote. Nous sommes sensibles à cela. »

Par le truchement de sa fondation, mais plus particulièrement de ses caisses, Desjardins verse quelque 60 millions par année en bourses, commandites et autres dons, ce qui en fait l’entreprise la plus généreuse au Québec.

MISER SUR SES EMPLOYÉS

À cet égard, la Banque Nationale ne se contente effectivement plus de faire des dons en argent sonnant. En avril dernier, une plateforme a été créée sur son intranet afin de comptabiliser les heures de bénévolat effectuées par les employés de la banque auprès de divers organismes.

Par la suite, la BN remet un chèque de 250 $ à un organisme où l’un de ses employés a fait 40 heures de bénévolat. Et pour chaque heure de bénévolat, la banque verse 1 $ dans une cagnotte dont va profiter un organisme jeunesse qu’il reste à choisir. L’objectif est de 100 000 heures, explique Véronique Lettre, directrice principale image de marque et présence dans la communauté.

Chez Deloitte, octobre est, depuis 2012, le « Mois national du partage ». Le coup d’envoi de cette période intense de philanthropie prend la forme de la « Journée impact », au cours de laquelle les quelque 8000 employés de Deloitte au Canada font du bénévolat (peinture, nettoyage, tri de denrées dans une banque alimentaire, etc.) ou offrent des ateliers gratuits de gestion à un OBNL.

Ce type d’intervention « sur le terrain » profite à tout le monde, croit Martin Goyette, directeur développement des dons et partenariats pour le Québec au Club des petits déjeuners. La tendance qu’il observe ces temps-ci est la mobilisation des employés par le truchement de la responsabilisation sociale. « C’est une formule gagnant-gagnant-gagnant, dit-il. Dans notre cas, les enfants en bénéficient, le Club des petits déjeuners en bénéficie, mais aussi les entreprises donatrices, car cela solidifie les liens entre les employés. »

Même si personne n’ose l’admettre, Daniel Asselin, de la firme Épisode, croit que la philanthropie devient intéressée en période de ralentissement économique.

« Les entreprises investissent dans leur image. Elles veulent rentabiliser leur commandite. D’ailleurs, elles se tournent plus vers la commandite que le don pur », explique celui qui ne se gêne pas pour parler « d’industrie de la philanthropie ». « C’est un milieu très compétitif ; les gens ont peur de le dire », soutient-il.

LE SAVIEZ-VOUS ?

Les services communautaires locaux, l’enfance et la jeunesse ainsi que la santé sont les trois secteurs les plus soutenus par les PME québécoises. Il en va de même pour les donateurs sur une base individuelle.

Environ 57 % des PME québécoises investissent moins de 0,25 % de leurs profits avant impôts dans la communauté par l’entremise d’OBNL. Ce pourcentage ne représente qu’une très faible partie de leurs bénéfices, ce qui laisse place à davantage de développement philanthropique.

Il en va autrement dans les grandes entreprises. Environ 31 % d’entre elles investissent entre 1 et 2 % de leurs profits dans la communauté en contribuant à des organismes de bienfaisance.

Source : Étude sur les tendances en philanthropie au Québec en 2014

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