Clin d'oeil de Stéphane Laporte 0911

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Drapeau hindou devant le Parlement

Des nuances pour ce symbole politiquement chargé

Le mardi 1er novembre dernier, Chandra Arya, député fédéral de Nepean, en Ontario, publiait un gazouilli, indiquant (en anglais) « Aujourd’hui, je marque le début historique du Mois du patrimoine national hindou du Canada (MPH) en hissant un drapeau portant le symbole sacré hindou aum sur la colline parlementaire. Le MPH est l’occasion de reconnaître les contributions de 830 000 Canadiens hindous à notre pays et du patrimoine hindou à l’humanité ».

Le même jour, Ahmed Hussen, ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion, reconnaissait la contribution des personnes hindoues au pays par une déclaration sur le site du gouvernement canadien. Alors que nous sommes d’avis qu’il est effectivement important de reconnaître la contribution substantielle des personnes canadiennes d’origine indienne et sud-asiatique à notre pays, nous voulons apporter ici des nuances importantes quant à la signification de ce drapeau qui est chargé politiquement.

Ce drapeau, auquel on ajoute souvent le svastika ou le symbole « aum », est la bannière officielle du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation paramilitaire d’extrême droite hindoue créée en 1925 et encore très active aujourd’hui : elle est étroitement associée au Bharatiya Janata Party (BJP), le parti politique dirigé par Narendra Modi au pouvoir en Inde depuis 2014.

Comme l’explique le chercheur Christophe Jaffrelot dans son ouvrage L’Inde de Modi, c’est une organisation qui fait la promotion d’un nationalisme hindou exclusif centré autour de la notion d’hindutvā (ou hindouïté) et de l’idée selon laquelle le peuple hindou serait descendant des premières personnes ayant habité le sous-continent. L’ambition du RSS est la transformation de l’Inde en un « hindu rastrā » (État hindou). Ce projet hégémonique hindou va à l’encontre de la mosaïque de cultures et de religions qui compose le sous-continent indien.

Au cours des dernières années, le gouvernement Modi et la « famille d’organisations faisant la promotion de l’hindutvā » (le Sangh Parivar) ont été étroitement associés à l’augmentation des actes de violence commis à l’encontre des minorités religieuses du pays et des communautés autochtones indiennes.

Selon les plus récents rapports de Human Rights Watch et d’Amnistie internationale, la situation des droits humains, la protection des groupes minoritaires et la liberté d’expression, d’association et de la presse en Inde sont de plus en plus menacées par ce gouvernement.

Le rapport 2022 d’Amnistie internationale souligne le fait que « les défenseurs(es) des droits humains, parmi lesquels des militants(es), des journalistes, des étudiants(es), des avocats(es) et des acteurs et actrices, étaient toujours en butte à des actes d’intimidation et de harcèlement ».

En juillet dernier, au Canada, la cinéaste indienne Leena Manimekalai devait présenter son documentaire Kaali dans le cadre du festival Under the Tent : A creative exploration of multiculturalism, un festival organisé en collaboration entre l’Université métropolitaine de Toronto (TMU) et le Musée Aga Khan, mais à cause de nombreuses pressions, la projection fut annulée. L’affiche du documentaire, qui représente une personne habillée en Kali, une déesse hindoue, brandissant le drapeau LGBTQ+ et fumant une cigarette, a suscité l’indignation autant en Inde qu’au sein de la diaspora hindoue qui s’est notamment traduite en menaces de mort envers la cinéaste. Cette violence est le résultat direct de la montée de la politique de l’hindutvā.

L’idéologie de l’hindutvā doit d’ailleurs être distanciée de l’hindouisme. Les critiques qui accusent le film de faire preuve d’hinduphobie (relayée abondamment par le #Hindophobia en Inde) ne sont par exemple pas hégémoniques au sein de la communauté hindoue nord-américaine. L’organisation américaine Hindus for Human Rights (HfHR), fondée par le militant Sunita Viswanath, a exprimé son soutien à la réalisatrice. Pour cette organisation, qui s’affiche sans gêne contre le nationalisme hindou d’extrême droite, la force de l’hindouisme « réside dans le fait que les différentes communautés ont trouvé leur inspiration spirituelle de différentes manières ».

Le monde politique canadien s’était aussi prononcé sur le film de Manimekalai, dont le député Arya qui y voyait le résultat du travail des groupes « anti-Inde » et « anti-hindous » au Canada. Sa réaction sur Twitter émergeait d’un contexte où il y a effectivement une augmentation de la haine envers les personnes de confession hindoue au Canada. En septembre dernier, le Shri Swaminarayan Mandir, un temple hindou de Toronto, a par exemple fait l’objet de vandalisme.

Bien qu’il soit urgent de dénoncer toute violence intercommunautaire et d’entraver celles-ci à travers des actions concrètes, il faut également faire acte d’une grande prudence avec les symboles que l’on érige devant le parlement canadien.

De plus, il convient de faire attention à l’impact que peut avoir l’association réductrice des personnes indiennes au Canada ou Canado-Indiennes avec une allégeance religieuse distincte et surtout avec une orthodoxie hindoue particulière et fortement critiquée par les personnes qui défendent le sécularisme et la démocratie indienne.

* Catherine Viens et Marwan Attalah sont candidats au doctorat à l’UQAM ; Mathieu Boisvert est professeur à l’UQAM

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