Vous connaissez bien Gregory Charles, l’animateur. Le musicien. Le chanteur. L’homme-orchestre, qui a présenté 43 spectacles au Centre Bell et participé à la tournée mondiale de Céline Dion. Sa carrière est tellement éblouissante qu’on a oublié la constante dans son parcours : l’enseignement.
Il a commencé à l’adolescence, comme directeur de chœur. Puis il a été moniteur dans des camps scientifiques. Vulgarisateur aux Débrouillards. Enseignant auprès de raccrocheurs. Professeur à Virtuose, à Mélomaniaques et à Star Académie – dont la saison prend fin ce dimanche. Il a fondé l’Académie Gregory, où il forme des centaines de pianistes. En 2007, il a même tenté d’ouvrir une nouvelle école primaire à Laval. Son plan : n’enseigner qu’une seule matière. L’histoire. « On a enfoui pas mal d’argent là-dedans », confie-t-il.
Le projet a été abandonné à la dernière minute. Mais Gregory Charles, lui, a continué de s’intéresser à l’éducation.
Un peu.
Beaucoup.
Énormément.
Tellement que lors de notre rencontre à son bureau, près du bassin Peel, il m’en a parlé pendant deux heures et demie. Sans pause. Ce fut d’ailleurs l’unique sujet de la conversation.
Il en parle avec des étoiles dans les yeux, lorsqu’il évoque des lunettes pour aveugles construites par ses élèves raccrocheurs. Avec admiration, lorsqu’il est question des professeurs, pour lesquels il a « le plus grand respect ». Mais surtout, avec découragement. Et parfois même de la colère. Plusieurs fois pendant l’entrevue, il frappe la table avec son poing, exaspéré.
« Il y a des éléments que je ne comprends pas dans notre façon de faire. Prends la méthode bibliothéconomique. La programmation de l’enseignement. C’est une antithèse. Aucun enfant que je côtoie ne pense comme ça. Surtout pas les garçons ! Ils pensent de façon aléatoire. Désorganisée. Chaotique. Mais il n’y a pas un enfant sain d’esprit qui, lors d’une playdate, dit : moi, j’ai pensé à mon affaire. À 9 h, on fait ceci. À 9 h 30, on fait cela. Et en passant, il faut absolument se rendre à 150 coups de corde à danser. Voyons donc ! On traite l’enseignement comme si c’était un plan d’affaires. »
Gregory Charles ne comprend pas non plus notre obsession de vouloir enseigner aux garçons et aux filles dans la même classe. « Encore là, personne de sain d’esprit ne va te dire qu’à 16 ans, les garçons et les filles ont la même maturité. […] J’ai enseigné aux garçons seulement. Aux filles seulement. Aux deux en même temps. C’est d’ailleurs le cas à Star Académie cette saison. Les différences, je les vois ! »
« Je trouve ça horrible que, pendant des générations, on ait interdit aux filles de s’émanciper. D’aller chercher de l’éducation. C’est horrible, horrible, horrible. Mais je ne peux pas croire que maintenant, reconnaissant cette erreur gigantesque, on se revire de bord et on se dit : on va se faire un programme d’enseignement […], on va faire ch**r les garçons à fond, et ils vont décrocher. »
— Gregory Charles
Il ne jette le blâme sur aucun parti politique en particulier. Il reproche toutefois aux élus, collectivement, de sous-investir en éducation. « Ça devrait être notre priorité aaaaaabsolue. Je comprends que c’est déjà un poste [de dépenses] important au gouvernement. Mais il y a une grosse partie de l’argent qui est investie dans la brique. »
« Quand on a décidé de sortir les communautés religieuses de l’enseignement, poursuit-il, c’était une décision correcte. Après la Grande Noirceur, et une espèce de conservatisme du milieu religieux, je comprends ça. Sauf que [les gouvernements] ont mal calculé leur affaire. Tes édifices ne te coûtaient rien. Tes profs ne te coûtaient rien. En plus, ils étaient disponibles 20 heures sur 24. Oui, ils ont fait des affaires croches. C’est vrai. Mais les édifices… Le personnel… Je pense que le calcul n’était pas tout à fait clair. »
Des griefs comme ceux-ci, Gregory Charles en exprime une demi-douzaine. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il critique notre système d’éducation. Il l’a aussi fait lors d’une entrevue au Téléjournal, en 2003, ainsi qu’aux Francs-Tireurs, en 2016. Cette fois, sa critique se veut constructive. Il enchaîne les idées, inspirées de trois décennies sur le terrain.
Des exemples ?
Intégrer les camps de jour aux écoles.
Fermer l’école en janvier.
Commencer les cours en août.
Permettre aux élèves doués de dépasser la note de 100 %.
Remettre en question la gratuité scolaire. (Voir l’onglet suivant)
Plus Gregory Charles parle, plus il m’apparaît clair qu’il souhaite faire partie de la solution.
« Songez-vous à aller en politique ? »
Il recule dans sa chaise et balance légèrement sa tête vers l’arrière. La question lui a déjà été posée, il y a 20 ans. Il avait alors répondu : « Là où on fait la plus grande différence, ce n’est pas comme ministre de l’Éducation, c’est comme prof. » Depuis, son discours a évolué.
« Ma réponse à ça est toujours weird et ambiguë. Je ne suis pas contre l’idée d’aller en politique. Je ne dis pas cela parce que j’ai l’ambition d’aller en politique. J’ai zéro ambition d’aller en politique. Mais je ne suis pas contre l’idée. Si quelqu’un me disait : c’est absolument toi que ça prend pour ça, je ne résisterais pas pour des raisons commerciales ou personnelles. »
« On a vraiment besoin d’une confrontation d’idées. Et clairement, je serais en confrontation d’idées. En plus, mes idées ne sont pas basées juste sur des lectures, mais sur des décennies à enseigner. Est-ce que je dirais non [à la politique] par principe ? Non. Je dirais oui, par principe. Le seul dossier qui m’intéresse, c’est celui-là. Pas que je n’ai pas d’autres idées pour d’autres portefeuilles. J’en ai. Mais qu’est-ce qui nous éduque sur l’environnement, si ce n’est pas l’éducation ? Qu’est-ce qui nous mène à des décisions plus sages en économie, si ce n’est pas l’éducation ? »
Pas besoin de le relancer, il poursuit son envolée.
« Je trouve ça intéressant, ce que j’ai fait dans la vie. Des disques. Des spectacles. De la télé. L’enseignement. Il y a de la valeur d’avoir pu agir sur la vie d’une seule personne. Mais la portée totale de tout ça ? Elle est limitée. Si on me convainquait totalement que that’s it, tu amènes ton point de vue, on peut faire évoluer les choses – et pas juste pour virer ça à l’envers –, je ne résisterais pas à cette idée-là. »