Télémédecine

Sauver la vue des patients à distance

La Dre Marie Carole Boucher en avait assez. Assez de voir des patients perdre la vue à cause d’une maladie pourtant facile à soigner. Pour que ces malades ne tombent plus entre les mailles du filet, elle a mis sur pied un programme de télémédecine qui confie à des caméras et à des infirmières des tâches auparavant exécutées par les médecins. Et elle rêve maintenant de l’implanter à l’échelle de la province. La Presse est allée voir comment ça fonctionne.

De son bureau de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la Dre Marie Carole Boucher ouvre un dossier d’un clic de souris. Une grosse boule orange striée de rouge apparaît à l’écran. La photo ne montre pas une planète, comme on pourrait le croire, mais l’intérieur de l’œil d’un patient.

Cette photo a été prise par une caméra spéciale installée à Chisasibi, communauté crie de la Baie-James située à plus de 1000 kilomètres d’ici. La Dre Boucher en agrandit une zone à l’écran.

« Regardez ici, dit-elle en pointant une tache rougeâtre. Il y a une hémorragie. Cette personne ne le sait pas, mais si elle n’est pas traitée d’ici un mois, sa vision sera touchée de façon irréversible. » La spécialiste consulte les informations du patient affichées à l’écran, puis tape quelques directives au clavier.

« Avec ça, il va être traité. Un corridor de services qui fonctionne, c’est ça », dit-elle avec une satisfaction évidente. En tout, l’intervention de la Dre Boucher a duré moins de deux minutes. Nouveau clic de souris, nouvelle boule orange à l’écran.

Voilà comment fonctionnent les dépistage, triage et prise en charge de la rétinopathie diabétique avec la technologie moderne. Le domaine, souligne Dre Boucher, est « en pleine ébullition », avec quelques programmes et projets pilotes déployés au Québec (voir capsule).

Un fléau sournois

La rétinopathie diabétique est la principale cause de cécité chez les gens de moins de 60 ans. Elle se produit quand le diabète s’attaque aux vaisseaux sanguins qui irriguent l’œil. Les vaisseaux endommagés laissent échapper du sang qui s’accumule sur la rétine. Pour compenser le manque de vascularisation, l’œil peut aussi réagir en stimulant la prolifération de vaisseaux anormaux, qui finissent par saigner et menacer eux aussi la vision.

La maladie se traite efficacement par des interventions au laser ou des médicaments. Le hic : les cas de diabète sont en explosion et le système peine à suivre tous les patients à risque.

« Le problème de cette maladie est qu’il n’y a pas de signes avant-coureurs. La personne n’a absolument aucun symptôme avant de se rendre au stade avancé et de constater que sa vision est atteinte. »

— La Dre Marie Carole Boucher

Elle-même dit voir débarquer dans son bureau des patients sévèrement atteints. « Ces cas ne devraient jamais se rendre à ce stade. Le système ne fonctionne pas, il n’a jamais fonctionné », dénonce-t-elle.

Le bon patient au bon moment

Sa solution : des caméras déployées dans les cliniques, les CLSC, les pharmacies. Chacune coûte environ 35 000 $, peut être manipulée par un technicien ou une infirmière et peut prendre une photo de la rétine des patients en moins de dix minutes.

« L’idée est de placer les caméras sur le chemin des patients », dit-elle.

Les photos des yeux sont transmises automatiquement aux spécialistes de la santé. Des infirmières formées peuvent les analyser, ne renvoyant que les cas problématiques aux médecins. « Sur 100 lectures de dépistage, le médecin finit par n’en voir que 10. Et quand il voit les patients, c’est exactement au moment propice », dit-elle. Elle martèle son mantra comme un slogan : « Le bon patient, au bon endroit, au bon moment. »

Le système, insiste-t-elle aussi, ne fait pas que dépister la maladie. Il assure automatiquement le suivi des patients. Les gains sont particulièrement importants pour les habitants des régions éloignées – notamment les autochtones, très touchés par le diabète.

Parce que son diagnostic est fiable et que les traitements sont efficaces et peu coûteux, la Dre Boucher estime que la rétinopathie diabétique est la « maladie idéale pour la télémédecine ». Façon de faire révolutionnaire ? Pas aux yeux de la Dre Boucher, qui trouve au contraire qu’il est drôlement temps qu’on s’y mette.

« Regardez autour : tout le monde s’échange des photos et des images depuis des années, remarque-t-elle. C’est tellement facile ! Comment ça se fait qu’on n’ait pas intégré ça dans notre système de santé ? Ça n’a absolument aucun sens. »

Les programmes en place

Le Centre universitaire d’ophtalmologie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont a été le premier au Québec à déployer un programme de détection et suivi de la rétinopathie par caméra. Une caméra est installée à l’hôpital, et le programme couvre tout l’est de l’île de Montréal. Il a été financé par la philanthropie (le président de Perseus Capital, Jean Turmel, et la Fondation J.-Louis Lévesque ont fait chacun un don de 120 000 $).

Un deuxième programme officiel, qui relève du Réseau universitaire intégré de santé (RUIS) de l’Université McGill et du ministère de la Santé et des Services sociaux, couvre la région de la Baie-James avec neuf caméras déployées dans chacune des communautés.

Deux projets pilotes, gérés par le RUIS de McGill et le RUIS de l’Université de Montréal et soutenus par le Ministère, ont conduit à l’installation d’une caméra au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montagne (dans Côte-des-Neiges) et d’une autre à celui de la Pointe-de-l’Île, dans l’est de Montréal.

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