Chronique

Comment imposer le patrimoine des riches

L’entrepreneur Mitch Garber en a parlé, comme le milliardaire de la finance Warren Buffett et l’économiste de gauche Thomas Piketty. L’idée de Québec solidaire d’imposer le patrimoine des riches n’est donc pas déconnectée.

Certains y voient une solution pour financer le redressement post-pandémie, alors que d’autres jugent que ce genre d’impôt, permanent, est incontournable pour mettre un frein aux inégalités. Ces inégalités, source de tension sociale et de populisme, se sont accrues significativement dans les pays industrialisés depuis 50 ans, constatent la plupart des économistes, davantage dans des pays comme les États-Unis.

Mais un impôt sur le patrimoine est-il une bonne idée ? Sinon, quelle forme prendrait un impôt pour réduire les inégalités ? Et au fait, un impôt sur le patrimoine n’existe-t-il pas déjà, au Québec ?

100 milliardaires

Québec solidaire voudrait récolter 5 milliards au Québec avec un impôt sur le patrimoine des riches. Son calcul est basé sur une étude du Directeur parlementaire du budget (DPB), à Ottawa, faite dans la foulée d’une suggestion d’un député du NPD, en 2019, d’instaurer un impôt de 1 % sur l’avoir des riches qui excède 20 millions de dollars.

Selon le DPB, 18 000 contribuables possèdent plus de 20 millions au Canada et un tel impôt rapporterait 5,6 milliards par année au fédéral. Cette somme tient compte de la contre-réaction des riches (le DPB réduit leur patrimoine de 35 % pour en tenir compte).

Toujours selon le DPB, 3,1 millions de familles canadiennes ont un patrimoine de plus de 1 million de dollars et une centaine ont plus de 1 milliard.

Inutile de dire qu’une somme de 5,6 milliards, bien que considérable, serait nettement insuffisante pour régler le monstrueux déficit du gouvernement fédéral, de quelque 400 milliards cette année.

Maintenant, comment QS parvient-il à obtenir 5 milliards avec les seuls Québécois, plutôt que les 5,6 milliards du NPD pour l’ensemble des Canadiens ? En élargissant la base d’imposition et en dopant les taux.

QS propose des taux d’imposition de 0,1 % du patrimoine pour ceux détenant entre 1 million et 10 millions, 1 % pour les 10 millions à 100 millions, 2 % pour les 100 millions à 1 milliard, et enfin, 3 % pour les contribuables dont l’avoir net excède 1 milliard1. C’est costaud !

En refaisant les calculs de QS avec les paramètres du DPB, j’obtiens un ordre de grandeur proche de 5 milliards pour le Québec. Cependant, il est bien probable qu’en élargissant ainsi l’assiette du NPD, ces revenus fiscaux seraient davantage dégonflés par la fuite des riches, d’autant plus que les contribuables peuvent aisément quitter le Québec pour une autre province. Plusieurs lecteurs me l’ont d’ailleurs écrit lundi matin après avoir lu ma première chronique sur les idées de QS…

Cela dit, l’impôt sur l’actif net des particuliers (exclusion faite de l’immobilier) est de moins en moins populaire. Seulement 5 pays de l’OCDE sur 37 y ont encore recours (France, Colombie, Espagne, Norvège et Suisse), indique le professeur Luc Godbout, économiste-fiscaliste de l’Université de Sherbrooke.

L’un des problèmes a trait au fait que les riches devraient payer l’impôt à partir d’actifs qui ne sont souvent pas liquides (actions d’entreprises privées, fermes, etc.).

En France, le gouvernement Macron a transformé son Impôt sur les grandes fortunes (IGF) en un Impôt sur les fortunes immobilières (IFI), en 2018. On a invoqué, comme ce fut le cas dans d’autres pays pour justifier l’abandon, que l’IGF avait comme effet de faire fuir certaines fortunes créatrices de richesse.

Le Québec, 6e au monde

Justement, l’impôt sur les immeubles est la taxe la plus importante qui vise le patrimoine. Et, fait méconnu, cet impôt foncier est très élevé ici et fait du Québec l’un des territoires où l’impôt sur le patrimoine, tout pris en compte (actif net, successions, immobilier, etc.) est parmi les plus élevés dans le monde.

Le Québec figure même au 6e rang mondial à ce chapitre, à 3,4 % du PIB, derrière le Royaume-Uni (4,1 %), la France (4 %) et le reste du Canada (3,8 %), entre autres. Des pays comme la Suède (0,9 % du PIB) ou la Norvège (1,3 % du PIB) sont peu friands de ce genre de taxe, contrairement à ce qu’on pourrait penser, selon une analyse de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

En 2018, des économistes de l’OCDE ont fait le tour de la question dans une excellente analyse de 114 pages, constatant l’accroissement important des inégalités. Et ils concluent trois choses sur l’impôt sur le patrimoine, essentiellement.

D’abord, l’impôt sur l’actif net des particuliers est une mauvaise idée s’il est imposé dans des pays où il y a déjà un impôt sur le capital (gains et dividendes). Non seulement on impose alors la même assiette deux fois, indirectement, mais une taxe sur le capital vient réduire le capital et donc les impôts tirés des revenus de ce capital.

Ensuite, s’il faut imposer le patrimoine, il serait préférable de le faire au décès (héritage) et non chaque année, disent-ils. Ce serait plus simple administrativement et cela contournerait les problèmes de liquidités annuels. Un impôt sur l’héritage peut se justifier par le fait que les riches héritiers n’ont pas mérité, par leur travail ou leur génie, la fortune qu’ils reçoivent, rappellent-ils.

Enfin, la meilleure façon d’imposer les riches pour réduire les inégalités est probablement d’instaurer un impôt progressif sur le capital, comme on le fait pour les revenus, suggèrent-ils. Ainsi, au-delà d’un certain haut niveau de gain en capital (ou de dividendes), le taux d’imposition augmenterait progressivement, comme c’est le cas pour les revenus.

Intéressant, mais si le Québec instaurait seul un tel système, il en subirait les contrecoups économiques.

1. Québec solidaire ne donne pas ces détails dans son plan écrit, mais son co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois m’en a fait part.

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