Hockey sonore

Thomas Raymond, le persévérant

Le hockey sonore ? Les Hiboux, un organisme à but non lucratif, offrent la possibilité aux personnes vivant avec une déficience visuelle de jouer au hockey. Ce qui a été une bouée de sauvetage pour Thomas Raymond.

Thomas Raymond a 15 ans et joue midget Espoir avec le Noir et Or De Mortagne. Après avoir encaissé une mise en échec au centre de la patinoire pendant un match, il tombe et se relève. Sur le coup, il se sent bien. Mais quelques jours plus tard, une tache trouble sa vue dans son œil gauche.

« J’ai dit à ma mère : “Il faudrait qu’on aille chez l’optométriste, il me semble que je ne vois pas bien” », raconte le jeune homme qui a aujourd’hui 19 ans.

Là-bas, il s’installe pour son examen de la vue, le même que vous et moi avons tous déjà fait. Mais quelque chose cloche.

« La grosse lettre, le E, je ne la voyais pas bien », se souvient-il.

« Au début, j’étais sûr que j’aurais seulement besoin de lunettes et que ça allait passer, poursuit-il. Quand j’ai vu que je n’étais pas capable de lire la grosse lettre, j’ai eu de petites inquiétudes. »

Les jours et les semaines passent, et sa vue, tant dans son œil gauche que dans son œil droit, ne fait qu’empirer pendant deux mois. Assez pour qu’il décide d’arrêter l’école en novembre de cette année-là. Il consulte différents spécialistes, multiplie les tests, sans succès.

« Quand les médecins regardaient dans mon œil, ils ne voyaient rien, relate-t-il. Ils pensaient que je faisais semblant, parce que ça prend du temps avant que les symptômes apparaissent dans l’œil. »

En janvier, trois mois après avoir arrêté l’école, Thomas passe un test de génétique qui permet enfin de mettre le doigt sur le problème : il est atteint de la neuropathie optique héréditaire de Leber. Toute sa famille du côté de sa mère est porteuse, mais il est le seul à l’avoir développée.

« C’est comme si je voyais à travers un léger nuage, mais juste dans la vision centrale. Sur les côtés, je suis encore correct, au moins. La comparaison que je fais, c’est que c’est comme quand tu vas sous l’eau et que tu ouvres tes yeux. C’est tout embrouillé. Moi, c’est ça [quand je regarde] au centre. »

— Thomas Raymond

« Quand je l’ai appris, c’était un choc, se souvient-il. Le moral a droppé cette journée-là, mais il a remonté après. J’ai toujours été un persévérant, peu importe la situation. »

Hockey sonore

Comme bien des jeunes hockeyeurs, Thomas Raymond est un passionné. « Je suis quasiment né avec des patins dans les pieds ! », lance-t-il en riant.

Natif de Sainte-Julie, il a fait du sport-études tout son secondaire à l’école De Mortagne à Boucherville, évoluant dans le pee-wee AA, puis le bantam AA avant d’atteindre le midget Espoir. C’est à sa première saison dans ce calibre qu’il a perdu la vue. Naturellement, en apprenant son diagnostic, il a pensé au hockey.

« Je me disais toujours : je vais pouvoir jouer au hockey quand même. »

Et il avait raison.

Pendant un an, il a reçu l’aide de l’Institut de Nazareth et Louis-Braille, le seul centre de réadaptation québécois qui se spécialise uniquement en déficience visuelle. Il s’est adapté à sa nouvelle réalité, avant de retourner à l’école De Mortagne pour recommencer sa quatrième secondaire. L’établissement d’enseignement lui a permis de rester dans son programme sport-études.

« Je ne pouvais pas faire du gros contact, donc je faisais juste les pratiques avec certaines équipes », se souvient le jeune homme.

Puis, on lui a parlé du Club de hockey sonore des Hiboux de Montréal.

Le hockey sonore ? C’est exact.

Les Hiboux, un organisme à but non lucratif, offrent la possibilité aux personnes vivant avec une déficience visuelle de la région métropolitaine de jouer au hockey. Les joueurs utilisent une rondelle plus volumineuse faite d’une coquille d’acier peinte en noir. Des billes métalliques à l’intérieur produisent un son lorsque la rondelle est en mouvement, permettant aux joueurs de la repérer plus facilement.

Thomas a donc disputé un premier match. Il a rapidement vu chez les Hiboux l’occasion de continuer à pratiquer le sport qu’il aime. C’est justement avant un de ses matchs qu’il s’est entretenu avec La Presse, en novembre.

« C’est du monde qui vit pas mal la même chose que moi. C’est réconfortant de savoir que je ne suis pas seul. Ils vivent leur vie et ils ne sont pas malheureux. »

Thomas, qui compare son style de jeu à celui de l’attaquant du Canadien Josh Anderson, a même fait sa place au sein de l’équipe nationale de hockey sonore en 2019.

« Mais c’est correct »

Présentement, Thomas Raymond étudie en sciences humaines au cégep. Il utilise un ordinateur spécialisé, évidemment. Son objectif professionnel est de devenir conseiller en conditionnement physique.

Il est heureux, même si « c’est sûr qu’il y a des journées plus difficiles, comme pour la plupart du monde ».

Il a dû faire le deuil du hockey avec contact tel qu’il le connaissait. « Mais c’est correct », assure-t-il.

Cette phrase, il la répète à plusieurs reprises au cours de l’entrevue. Comme quand il parle du fait qu’il n’aura jamais son permis de conduire. Ou que sa vie sociale en a « pris un coup » puisqu’il ne reconnaît pas les personnes qui se trouvent devant lui.

Mais c’est correct. Il est bien entouré de sa famille et de ses amis, il étudie et il joue au hockey.

Thomas ignore encore s’il a perdu la vue en raison de la mise en échec dont on parlait au début de ce papier, mais « [les médecins] disent que ça peut être déclenché par un trauma ou l’abus d’alcool ou de drogue ». Le jeune homme élimine la deuxième option.

« Je dis toujours que si je pouvais retourner dans le passé, c’est à ce moment-là que je retournerais, pour essayer d’éviter la mise en échec », évoque-t-il.

La possibilité qu’il recouvre la vue un jour demeure, mais rien n’est garanti. Il fait d’ailleurs partie d’un programme de recherche depuis deux ans et demi.

Préfères-tu apprendre à vivre avec la maladie, ou gardes-tu espoir que ta vue revienne ? lui demande-t-on.

« Un peu des deux, admet-il. Je garde toujours espoir que ça va revenir, mais en même temps, je me dis que je vais m’habituer. »

Après tout, comme il le dit si bien : dans la vie, « tu peux faire le choix de t’apitoyer sur ton sort ou de te relever ».

Thomas s’est relevé.

Hockey sonore

Hiboux de Montréal : « Ça change des vies »

Lundi soir de novembre. Sur la patinoire de l’aréna Francis-Bouillon, à Montréal, il n’y a que des sourires et du plaisir. Le puissant « ding » de la rondelle de hockey sonore qui passe d’un bâton à l’autre résonne dans l’enceinte.

C’est au début des années 1970 que le hockey sonore a vu le jour au Canada. En 1979 naissait le Club de hockey sonore des Hiboux de Montréal, toujours bien actif à ce jour. Tous les lundis soir, deux équipes s’affrontent dans le plaisir à l’aréna Francis-Bouillon.

« Nous avons une mission sociale, qui est d’intégrer les handicapés visuels au hockey sonore », explique le président de l’organisme à but non lucratif, Gilles Ouellet, qui joue avec les Hiboux depuis de nombreuses années.

« On aime bien dire que les Hiboux, ça change des vies. »

— Gilles Ouellet, président du Club de hockey sonore des Hiboux de Montréal

« Un jeune comme Thomas [Raymond], qui a joué au hockey toute sa vie et qui, à 15 ans, perd la vision, il pense que c’est fini. Qu’il ne pourra plus jouer au hockey avec ses chums qui vont plus vite que lui ou aussi vite que lui, mais qui voient la rondelle. Avec nous, il est le meilleur joueur », donne en exemple M. Ouellet.

Présentement, une trentaine de joueurs évoluent avec le club. Leur handicap visuel varie : certains sont atteints de la maladie de Leber, comme M. Ouellet et Thomas Raymond, alors que d’autres ont perdu la vue en raison de la rétinite pigmentaire, de la dégénérescence maculaire, d’un décollement de la rétine ou d’un choc post-traumatique, par exemple.

Si, un soir donné, il n’y a pas suffisamment de personnes ayant un handicap visuel pour disputer le match, des personnes voyantes remplissent des chandails. Mais en temps normal, seuls les arbitres sont entièrement voyants.

À l’aréna, tout le monde fait sa petite affaire, est autonome. Une ambiance amicale règne dans les vestiaires et les couloirs avant les matchs. « Il y a un nouveau ce soir, je vais le présenter aux autres au centre de la glace, évoque M. Ouellet. Là, je l’ai amené de l’entrée [de l’aréna] à la chambre, mais je lui ai dit que je ne l’amènerais pas chaque soir. »

« Il y a des gens qui sont complètement non voyants et ils viennent tout seuls, poursuit-il. Tu dois être autonome. Tu n’auras pas de pitié de nous. »

Gilles Ouellet a 53 ans et est atteint de la neuropathie optique héréditaire de Leber depuis 37 ans.

« Malgré que tu vis bien avec ça, tu as des moments de frustration, soutient-il. [Comme] quand tu attends l’autobus et qu’il fait - 30 oC, mais que tu as déjà conduit. »

« Je pense que ce qui aide beaucoup, c’est ton niveau de résilience, ajoute-t-il. Si la personne qui vit ça a un bon niveau de résilience et un bon entourage, elle va réussir à passer au travers. »

Chez les Hiboux, les joueurs trouvent plus que des coéquipiers.

« Tout le monde se soutient. On est ici pour avoir du fun. Personne n’est meilleur que les autres. C’est vraiment une famille et on avance ensemble. »

— Thomas Raymond, à propos du Club de hockey sonore des Hiboux

Les règlements

Initialement, le hockey sonore se jouait avec une boîte de conserve de 48 oz, vide et peinte en noir, en guise de rondelle.

Aujourd’hui, les joueurs utilisent plutôt une rondelle faite d’acier et peinte en noir dont le diamètre et l’épaisseur sont deux fois plus grands que ceux d’une rondelle standard. Elle contient des billes métalliques qui produisent un son quand elle est en mouvement. Ça se complique cependant quand elle s’immobilise dans un coin de patinoire.

« On a des chercheurs et on essaie d’en développer un modèle électronique », note Gilles Ouellet.

Les règlements diffèrent de ceux du hockey « classique ». Par exemple, le match consiste en quatre périodes de 15 minutes en temps continu. La principale différence se remarque en entrée de zone : un joueur ne peut pas traverser la patinoire d’un bout à l’autre pour inscrire un but. Il doit obligatoirement faire une passe après avoir traversé la ligne bleue adverse avec la rondelle. Les gardiens, eux, sont les seuls entièrement non-voyants.

« Des fois, on fait des matchs amicaux contre des équipes de voyants. Une équipe de garage de niveau E, on les bat. On est capables de les suivre. »

— Gilles Ouellet, président du Club de hockey sonore des Hiboux de Montréal

Hockey sonore Canada

En 2018, Hockey sonore Canada a mis sur pied une première équipe nationale. Des joueurs et entraîneurs de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario et du Québec en font partie.

À ce jour, seuls le Canada et les États-Unis ont un programme national, mais « c’est en plein développement dans le monde », selon Gilles Ouellet.

L’objectif de la Fédération internationale de hockey sonore, fondée par Hockey sonore Canada, est de développer le sport dans plusieurs pays afin qu’il fasse un jour son entrée au sein du programme des Jeux paralympiques.

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