Avro Arrow

Histoire d’un avion  – et d’un échec – emblématique

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada fait un pari audacieux : concevoir et construire un avion de chasse entièrement canadien. Pendant 10 ans, en pleine guerre froide, l’entreprise Avro tentera de développer un avion de chasse destiné à intercepter les appareils soviétiques. L’aventure prendra fin abruptement en 1959. Retour sur ce qui a bien failli faire naître une industrie aéronautique militaire canadienne.

Seconde Guerre mondiale

Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada avait l’une des plus grandes aviations militaires au monde. Ottawa, qui assemblait des avions étrangers au pays, décide alors de tenter de concevoir et de construire un avion militaire au Canada. « Le gouvernement libéral veut alors sa propre industrie aéronautique », dit Randall Wakelam, professeur d’histoire militaire au Collège militaire royal de Kingston.

CF-100

Avec la guerre froide qui s’intensifie vers 1947, la demande pour les avions de chasse « devient plus importante », précise Randall Wakelam. Ottawa demande alors à la compagnie Avro de construire un chasseur canadien. Le premier modèle, le CF-100, est prêt en 1950. « Avro n’avait jamais dessiné un avion, dit le professeur Wakelam. L’avion est excellent, mais on a eu certains problèmes de fabrication. Il est construit en petit nombre, jamais assez pour le vendre à l’extérieur. Il y a un certain intérêt de la part des Américains et des Britanniques, mais avec tous les problèmes de fabrication… » Les deux pays décident de ne pas l’acheter.

Avro Arrow

On repart donc de la case départ en 1953 avec un autre avion, alors que le gouvernement libéral de Louis Saint-Laurent lance officiellement le programme Avro Arrow (le F-105). Cet avion militaire a comme fonction principale d’intercepter les avions soviétiques qui pourraient lancer des bombes nucléaires en Amérique du Nord à partir de l’Arctique.

2240 km/h

Vitesse de l’Avro Arrow (CF-105), soit deux fois la vitesse du son. À l’époque, il était l’avion de chasse le plus performant au monde, selon Radio-Canada.

1959

Le gouvernement conservateur de Diefenbaker décide de mettre fin au programme Avro Arrow, principalement pour des raisons économiques. L’entreprise a licencié ses employés quelques heures plus tard.

40 000

C’est le nombre d’emplois directs et indirects (chez les fournisseurs) qui ont été perdus au pays à la suite de l’abandon du programme Avro Arrow. À titre comparatif, c’est l’équivalent de 123 000 emplois perdus en 2016. C’est un peu comme si l’industrie aéronautique au pays (89 000 emplois directs en 2016) cessait ses activités d’un seul coup.

3e

Lors de l’annulation du programme, en 1959, Avro Arrow était la troisième entreprise privée en importance au Canada. L’entreprise, qui avait d’autres activités que l’aviation militaire, a fermé ses portes officiellement trois ans plus tard, en 1962.

400 millions

Fonds du gouvernement fédéral engagés dans le programme Avro Arrow, selon CBC. En dollars de 2017, cette somme représente environ 3,4 milliards.

Un échec, quatre raisons

1. Les missiles Bomarc

En 1957, alors que l’Avro Arrow était en conception, une nouvelle technologie militaire vient changer la donne : les missiles sont désormais lancés du sol et non par avion, ce qui rend les avions intercepteurs comme l’Avro Arrow beaucoup moins importants. Pour se défendre, les États-Unis achètent ainsi des missiles américains Bomarc.

2. Les autres dépenses du Canada

Selon Michel Fortmann, professeur en science politique à l’Université de Montréal, il faut analyser l’échec de l’Avro Arrow « dans un contexte de défense de l’Amérique du Nord ». Le professeur Fortmann rappelle qu’entre la décision de développer l’Avro Arrow en 1953 et l’annulation du programme en 1959, Ottawa a dû faire face à des dépenses supplémentaires de centaines de millions de dollars pour acheter des radars et des missiles. « Il n’y avait plus d’argent pour acheter des avions », dit Michel Fortmann.

3. Pas de contrats à l’étranger

Les États-Unis et la Grande-Bretagne n’ont jamais été preneurs non plus. En 1954, les Américains ont commencé à développer un avion similaire. « L’Avro n’a pas pu trouver un marché international pour vendre cet avion », dit Alex Souchen, étudiant au postdoctorat au Centre Laurier sur les études militaires, stratégiques et de désarmement.

4. Le retard du CF-100

Au fond, la meilleure chance du Canada de produire des avions militaires aurait été de réussir avec la version précédente de l'Avro Arrow, le CF-100. Mais le Canada n’avait jamais produit d’avion militaire, et cette inexpérience a coûté cher en définitive. « Quand le programme roule assez bien, les autres pays ont déjà trouvé leurs propres solutions », dit le professeur Randall Wakelam.

Les avions détruits

Ottawa a exigé de l’entreprise Avro qu'elle détruise toute trace de l’avion, ainsi que les chaînes de montage et le matériel de production. Selon CBC, les métaux des cinq avions qui faisaient des essais ont été vendus à un ferrailleur d’Hamilton pour 300 000 $. Quelques petites pièces ont été retrouvées au fil des ans, mais aucun avion au complet – d’où l’intérêt de l’expédition de sauvetage qui commence lundi prochain.

4

Aujourd’hui, les avions militaires sont construits essentiellement par quatre pays/régions : la Russie, la Chine, l’Europe et les États-Unis. L’Inde produit aussi quelques avions militaires.

Griffons, Caribous et Buffalos

Après l’Avro Arrow, le Canada n’a plus jamais tenté de concevoir un avion de chasse. Il a toutefois produit quelques avions militaires de transport, dont les Caribous et les Buffalos de l’entreprise de Havilland dans les années 50 et 60. Les avions Buffalo sont toujours en service pour du sauvetage sur la côte Ouest, mais seront bientôt remplacés. En 1995, le Canada a acheté l’hélicoptère militaire Griffon de Bell Helicopter, construit à Mirabel et toujours en service. Sinon, pour l’achat d’avions, le Canada accorde ses contrats à des entreprises étrangères, mais en imposant des conditions sur l’achat de pièces et de contrats au Canada.

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