Montréal

LA RÉVOLUTION DES RUELLES

Elles étaient autrefois l’envers des rues de Montréal, le gris royaume des poubelles cabossées et des chats errants. Les enfants y jouaient non pas parce que c’était joli ou agréable, mais bien parce qu’il n’y avait nulle part ailleurs où le faire. Une petite révolution est toutefois en train de s’opérer.

UN DOSSIER DE FABIENNE COUTURIER

Montréal

Une oasis fantaisiste

Commencé au début des années 80 dans le Plateau-Mont-Royal, le verdissement des ruelles se répand de façon exponentielle. Incursion dans un Montréal de plus en plus vert et convivial.

Quand on l’aborde, on ne saisit pas tout de suite ce que cette ruelle a de particulier.

À l’est de la rue Fabre, entre les rues Bélanger et Jean-Talon, elle semble étirer comme toutes les autres son ruban bétonné entre deux rangées de cours plus ou moins fleuries. Des cordes à linge traversent son ciel, où la lessive du jour claque joyeusement au vent.

Mais quand on l’emprunte par son extrémité sud, on est frappé par un joli jardin en coin, abondamment fleuri, en hommage à un certain Michel.

Puis on aperçoit des bancs, des bacs à roulettes débordants de fleurs, des massifs d’hémérocalles, des clôtures couvertes de vigne vierge. Des pots de peinture, recyclés en pots à fleurs et peints de dessins enfantins aux couleurs vives, sont accrochés aux poteaux.

Au bout de quelques mètres, une cour particulièrement fantaisiste attire l’œil. « Bienvenue chez nous », clame le mur de la « shed » en lettres noires drolatiques.

Par la porte entrouverte de la maison, on aperçoit un mannequin de couturier habillé d’une élégante robe noire à demi terminée. Sur la table de la cuisine trône une machine à coudre. C’est ici que vit et travaille Jean Blanchette, costumier qui a exercé son art pendant 25 ans aux États-Unis avant de rentrer à Montréal en 1986. Son compagnon, Alain Duchesneau, est auteur-compositeur-interprète et comédien. Les deux, affables, truculents, colorés, semblent directement sortis d’une pièce de Michel Tremblay ou d’un roman d’Yves Beauchemin.

« Ah ! notre ruelle, elle est belle, hein ? s’exclame M. Duchesneau, questionné par La Presse. On la doit à un voisin, Michel St-Pierre. C’est lui, l’instigateur de tout ça. Malheureusement, il est mort d’un cancer il y a peu de temps. Le jardin que vous avez vu au coin, c’est pour lui rendre hommage. Aujourd’hui, de jeunes familles ont pris la relève, dont beaucoup de Français de France – ce sont les plus impliqués. »

« Depuis qu’on a verdi la ruelle, il y a moins de voitures, et celles qui passent roulent plus lentement. »

— Alain Duchesneau 

« Les enfants peuvent jouer en sécurité. D’ailleurs, il y en a de plus en plus, ça met de la vie, c’est vraiment l’fun ! poursuit-il. C’est comme une continuité de la cour. Et ça a beaucoup rapproché les gens. Les voisins se connaissent, se parlent… Il y en a bien quelques-uns qui ne veulent rien savoir, mais ils ne participent pas aux corvées, c’est tout. »

Son compagnon reprend : « Chaque année, en juillet, nous organisons une grande fête. Alain monte sur le toit de la remise pour faire de la musique. On installe des tables avec de la nourriture, les gens apportent leurs boissons, c’est très convivial. Tout le monde est invité. »

Tout le monde peut venir ? Même ceux qui liront l’invitation dans La Presse ? « Mais bien sûr ! », s’exclament les deux à l’unisson. Avis aux intéressés : la fête a lieu demain 10 juillet, à compter de 16 h.

RUELLE POÉTIQUE

Un peu plus bas, au sud de la rue Bélanger, aussi à l’est de la rue Fabre, David Gaudreault a activement contribué à la métamorphose de sa ruelle. Il y habite depuis 20 ans, sa fille y a grandi, et il voit maintenant les nouvelles générations s’approprier l’espace.

Ici, des poèmes et des fresques ornent les murs, on a peint au sol des jeux de marelle, placé des cuisinettes-jouets ici et là. De jolis bancs alternent avec des bacs à fleurs tous différents, dans une harmonie continue. De fins pétales neigent doucement sur cette oasis tout en longueur où la ville semble ne plus vouloir entrer. Non plus que les voitures, d’ailleurs. « C’est la beauté de la chose, dit M. Gaudreault. Les enfants et les chats sont rois ! »

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Un village dans la ville

Entre les rues Bennett et William-David, en plein quartier Hochelaga-Maisonneuve, juste au sud de la rue Ontario, il y a un village. Oh, c’est un tout petit village. Un microcosme, en fait. Le résultat d’une symbiose inattendue en ville, encore plus dans ce quartier longtemps déshérité. Il y a 20 ans, comme partout, la ruelle servait essentiellement à déposer les ordures, qui s’y amoncelaient en permanence. Avec le soutien de divers organismes communautaires, les riverains en ont fait un terrain de jeux, un jardin, un milieu de vie.

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Petite histoire des ruelles

« On croit à tort que les ruelles sont caractéristiques des quartiers ouvriers, dit Marie-Dominique Lahaise, recherchiste et animatrice à l’organisme L’Autre Montréal. En réalité, elles ont été créées vers 1850 dans les quartiers riches, par exemple dans le Golden Square Mile, notamment pour que les gens de la bonne société n’aient pas à croiser les domestiques dans la rue. »

« Ce n’est qu’au tournant du XIXe siècle qu’on voit apparaître la ruelle typiquement montréalaise dans les quartiers ouvriers comme Hochelaga, le Plateau ou Rosemont. »

Le phénomène du verdissement des ruelles est né vers le début des années 80, sous l’administration du maire Jean Drapeau. La Ville de Montréal avait mis sur pied deux programmes : l’Opération Tournesol, qui visait la démolition des remises, souvent vétustes et causes d’incendies, et l’Opération Place au soleil, qui permettait, après l’élimination des remises, d’améliorer l’aménagement des ruelles afin d’en faire un milieu de vie plus agréable.

Cinquante-huit ruelles ont été aménagées grâce à ce programme, abandonné en 1986 pour des raisons budgétaires.

Depuis 1995, des projets de ruelles vertes à saveur résolument écologiste et portés par les éco-quartiers, ont été réalisés notamment sur le Plateau-Mont-Royal, dans Rosemont–La Petite-Patrie (devenu le champion toutes catégories en la matière), Centre-Sud et Hochelaga-Maisonneuve. En tout, on en compte plus de 230 à ce jour.

VISITER LES RUELLES

L’organisme L’Autre Montréal offre depuis plusieurs années des visites commentées de la ville, avec un angle social et historique des plus intéressants. Au programme le 10 septembre prochain, une tournée des ruelles du quartier Saint-Henri avec Marie-Dominique Lahaise, qui connaît son sujet comme pas une. Selon elle, les ruelles vertes de Saint-Henri revêtent un intérêt tout particulier parce que plusieurs, nées d’initiatives citoyennes, ont été réalisées sans l’aide des programmes officiels.

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