Consommation

Cinq leviers secrets pour nous faire dépenser

Il y a des raisons évidentes pour préférer un produit à un autre : son prix, sa qualité ou son utilité. Et il y a d’autres mécanismes plus subtils, découverts par des chercheurs ou des experts en marketing, qui n’ont souvent rien de rationnel, mais s’avèrent terriblement efficaces. En voici cinq.

Interaction

La décision d’acheter ou non en magasin n’est pas qu’affaire de prix : l’interaction avec les employés est essentielle. La firme de recherche marketing Léger a même réussi à quantifier cet aspect dans son étude d’expérience client WOW menée l’automne dernier. Premier exemple : se faire servir un « Bonjour ! » à l’entrée. « S’il est suivi d’un bon service en magasin, il peut augmenter les ventes de jusqu’à 10 % », note Jean-Marc Léger, président.

C’est avec un constat semblable établi par Léger que le président de la Société des alcools du Québec, Gaétan Frigon, avait effectué le virage commercial de la société d’État entre 1998 et 2003. « Nous avions démontré qu’un client qui entre à la SAQ et qui ne parle à personne achetait en moyenne 32 $ de vins, indique M. Léger. S’il demandait de l’information, l’achat moyen augmentait à 45 $ et si le personnel proposait de façon proactive de nouvelles bouteilles, la vente grimpait à 64 $. »

Autre constat insolite : les clients achètent dans une proportion de 76 % quand ils perçoivent que les employés sont heureux, engagés et passionnés par leur travail. Sans cette perception, le taux de conversion baisse à 64 %. Ces découvertes sont particulièrement importantes au Québec, précise le président de Léger, où les deux tiers des achats au supermarché sont spontanés, contre le tiers dans le reste du Canada. « L’influence du marketing en magasin est nettement plus efficace auprès du consommateur québécois que de celui du reste du Canada », estime-t-il.

Ancrage

Qui achète un maïs soufflé de format moyen au cinéma qui coûte 7,50 $, alors que le gros format est offert à 8,50 $ ? Pourquoi cette bouteille de vin à 150 $ au restaurant, alors que la plupart des bouteilles se vendent entre 40 et 60 $ ?

Dans ces deux exemples, on ne vise pas réellement à vendre le popcorn de format moyen et la bouteille hors de prix. Ils sont ce qu’on appelle en marketing des « leurres », appliqués dans un concept psychologique décrit dès 1974 comme « l’ancrage ». Il s’agit de la difficulté de se débarrasser d’une première impression – le gros format de maïs soufflé est vraiment une bonne affaire, les autres bouteilles de vin semblent bon marché – qui influera fortement sur notre décision d’achat.

En 2003, un chercheur du Massachusetts Institute of Technology, Drazen Prelec, a démontré ce biais psychologique jusqu’à l’absurde : 55 étudiants étaient invités à une vente aux enchères où ils devaient écrire leurs deux derniers numéros de sécurité sociale, puis le prix qu’ils étaient prêts à payer pour un des objets. Plus leurs deux derniers numéros de sécurité sociale étaient élevés, plus ils étaient prêts à payer cher à l’encan, jusqu’à 346 % de plus.

Labyrinthe

Vous vous perdez facilement dans les centres commerciaux ? Ne vous inquiétez pas, c’est voulu, et le phénomène porte même le nom d’« effet Gruen », ou « transfert de Gruen ». On doit à l’architecte autrichien Victor Gruen le premier centre commercial intérieur, fermé et climatisé au Minnesota en 1956. Le concept d’un espace clos et labyrinthique, comprenant autant des attractions et de la restauration que des boutiques, a survécu jusqu’à aujourd’hui. Il a l’effet de désorienter le client au point où il ne se souvient plus de son intention d’achat de départ, d’où cette notion de transfert. Victor Gruen, en passant, a publiquement désavoué sa création en 1978, estimant qu’on l’avait « abâtardie », lui qui prévoyait à l’origine en faire un lieu communautaire où les magasins auraient été intégrés à des habitations, des cliniques, des écoles et des parcs.

La mécanique de l’effet Gruen s’apparente à ce qui se produit dans les supermarchés, note Jean-Marc Léger. « La majorité des consommateurs suivent le même parcours client en magasin, vont dans les mêmes allées et s’arrêtent aux mêmes endroits à chaque magasinage. La clé est de déranger le consommateur et l’attirer dans une autre section du magasin pour lui montrer d’autres produits. »

Son et lumière

En 1999, trois chercheurs, North, Hargreaves et McKendrick, ont publié une étude déconcertante, The effect of in-store music on wine selections. De façon expérimentale, ils ont établi que le fait de mettre de la musique française ou allemande influençait grandement le choix des clients dans une boutique spécialisée en vins : ils avaient alors plus tendance à choisir un vin du pays dont on jouait une chanson. Interrogés, les clients ont soutenu qu’ils n’avaient même pas remarqué la provenance de la musique diffusée.

Ronald Milliman, professeur de marketing retraité de la Western Kentucky University, a découvert dès 1982 qu’une musique lente jouée dans un supermarché faisait en sorte que les clients marchaient plus lentement et achetaient plus. À l’inverse, la musique rythmée rend les clients plus pressés et ils s’attarderont moins longtemps dans un établissement de restauration rapide.

Et le fait est bien établi, « la musique de Noël fait augmenter les ventes, et c’est chiffré », précise Luis Areas, vice-président, stratégie de canaux et développement des affaires, à l’agence Cartier.

Il note par ailleurs, sur un autre plan sensoriel, que le choix de l’éclairage est très important pour le client, même s’il ne le réalise pas. « Par expérience, on le sait. L’angle des faisceaux lumineux va mettre en valeur certains produits. Une lumière plus froide va te donner un air plus fatigué. Et les lumières sont plus tamisées en restauration, pour donner plus de place à l’odorat et à la saveur. Tout est calculé. »

Nostalgie

Une des plus solides techniques de marketing est l’utilisation de la nostalgie, estime Arnaud Granata, président du groupe Infopresse. « Les rassemblements en famille, le rappel à l’enfance, le père Noël, tout ça est utilisé pour inciter à acheter. On le voit beaucoup dans la publicité, c’est une technique qui revient année après année. »

Le fait que la nostalgie est payante semble difficile à démontrer. Des chercheurs de l’École de management de Grenoble, en France, y sont pourtant parvenus en 2014. Ils ont mené six expériences, demandant par exemple à leurs sujets de penser à des souvenirs heureux ou de décrire un évènement de leur passé. Ceux qui étaient plongés dans un état nostalgique se sont révélés moins attachés à l’argent et, ainsi, plus dépensiers.

La nostalgie, c’est aussi et souvent dans le temps des Fêtes de replonger dans de vieux films dans lesquels, combinaison payante, le placement publicitaire est parfois loin d’être subtil. « Ce genre de placement n’est pas laissé au hasard, le pouvoir d’influence d’un film sur nos achats est énorme », estime Luis Areas, de l’agence Cartier.

5 %

C’est la proportion des décisions d’achat qui sont prises consciemment, selon l’auteur spécialisé en neuromarketing Roger Dooley. Le reste relèverait de l’inconscient.

Source : 100 ways to persuade and convince consumers with neuromarketing, Brainfluence, 2011

84 %

Proportion des clients prêts à payer 10 $ de plus pour des chaussures Nike quand ils se trouvaient dans une salle au parfum agréable, d'après une étude célèbre menée par le neurologue Alan Hirsch.

Source : Preliminary Results of Olfaction Nike Study, 1990

3,70 $

Au restaurant, le fait d’enlever le signe « $ » des prix au menu rendaient les clients plus dépensiers de 3,70 $ US par repas, en moyenne, selon une étude de la Cornell University School of Hotel Administration.

Source : Effects of Menu-price Formats on Restaurant Checks, 2009

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