Réforme du mode de scrutin

Difficile et pourtant inévitable

Réformer notre mode de scrutin est une tâche difficile

1) Dans une démocratie bien établie, le mode de scrutin est inscrit dans une loi et non dans des coutumes. Pour changer cette loi, on a besoin de politiciens élus. Mais ceux-ci sont nécessairement en conflit d’intérêts puisqu’il y va des conditions de leur avenir politique. La première chose à laquelle on serait en droit de s’attendre de leur part, c’est qu’ils déclarent cette situation qui ne fait pas d’eux les meilleures personnes pour se prononcer sur la question. Il leur sera plus facile, par la suite, de s’attaquer aux autres difficultés avec humilité et distanciation.

2) Le choix d’un nouveau mode de scrutin renferme un certain nombre de difficultés théoriques et pratiques, certes d’un grand intérêt intellectuel, mais qui peuvent facilement décourager des personnes bien intentionnées, mais peu habituées à toutes ces nuances. Ces difficultés n’ont rien d’insurmontable, mais elles nécessitent que l’on ne cherche pas à embrouiller inutilement la population avec des considérations secondaires ou des solutions parfaitement alambiquées.

3) Un compromis doit être réalisé entre la représentation la plus équitable possible et la formation de gouvernements assez stables pour réaliser un programme politique que leurs citoyens reconnaîtront et sur lequel ils pourront effectuer un jugement le temps venu. Ce compromis est seulement envisageable si les partisans de la proportionnalité la plus pure mettent un peu d’eau dans leur vin tout comme ceux qui croient qu’en dehors d’un gouvernement majoritaire, il n’existe point de salut.

Cette réforme demeure pourtant inévitable

A) Les sondages indiquent que la population endosse le principe de juste représentation des choix politiques au sein du Parlement et qu’elle craint moins les gouvernements de coalition que nos élus. Il lui manque cependant cruellement le niveau d’information qui peut lui permettre d’apprécier les solutions possibles. D’autres sociétés avec des populations pas plus instruites que la nôtre ont réussi ce changement et leurs citoyens ne s’en plaignent pas.

B) Des solutions existent pour aider la classe politique dans la tâche de choisir un meilleur mode de scrutin. Ce peut être un comité de « sages », d’experts ou, comme je le privilégie, une assemblée délibérative de citoyens. On peut aussi espérer que les partis politiques s’entendent entre eux, mais on risque d’attendre encore longtemps et le résultat du compromis qu’ils réaliseront sera inévitablement marqué du sceau du rapport de force qu’ils réussiront à instaurer. C’est dans la nature des choses. Rien ne sert de le leur reprocher, car c’est nous qui les mettons en compétition pour l’exercice du pouvoir.

C) Il a fallu beaucoup de temps pour en arriver à l’universalité du droit de vote, il en faudra aussi pour que l’égalité de cette première étape démocratique se reflète dans une seconde : celle d’un poids égal d’influence pour chaque citoyen dans la formation d’un Parlement. Cette deuxième exigence d’égalité n’est pas du tout acquise avec notre mode de scrutin, car trop de votes ne sont pas considérés pour des raisons parfaitement contingentes du point de vue moral, notamment le lieu où est inscrit un électeur.

Les obstacles pratiques peuvent bien être réels, et je n’en sous-estime aucun, je ne vois pas d’arguments qui puissent bloquer à long terme la requête pour un scrutin plus égalitaire que le nôtre, scrutin créé à une époque lointaine, rappelons-le, où l’égalité politique constituait le moindre des soucis.

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