La route de la relance

Le Royaume de l’aluminium et des technos

Le Québec tout entier est engagé vers la reprise économique et chacune de ses régions, chacun de ses secteurs industriels la vivent de différentes façons. Notre chroniqueur est parti sur la route pour témoigner de la vitalité de nos régions et des difficultés avec lesquelles elles doivent composer.

Saguenay — Le Saguenay évolue et sa trame industrielle se modifie. Si après 100 ans d’exploitation, l’aluminium trône toujours au sommet de l’activité économique du Royaume, les technologies de l’information y prennent de plus en plus de place et le développement d’une nouvelle technologie d’électrolyse pourrait très prochainement contribuer à reverdir la Vallée de l’aluminium.

En cette période de sortie de convalescence post-pandémie, venir au Saguenay pour y prendre le pouls de l’économie implique nécessairement une visite dans le monde de l’aluminium, qui occupe une place prépondérante ici et au Lac-Saint-Jean.

Les quatre alumineries et la raffinerie d’alumine qu’exploite Rio Tinto assurent à la région le tiers de la production d’aluminium au Canada avec près de 1 million de tonnes métriques produites annuellement. Avec ses activités reliées à la transformation du métal, Rio Tinto emploie directement 4000 personnes dans la région et y est responsable de quelque 15 000 emplois indirects.

Les complexes de Jonquière, d’Alma et de Grande-Baie sont de véritables cathédrales industrielles encastrées dans les communautés environnantes. L’aluminium fait partie intégrante du paysage et de la vie de la région.

Mais mon intérêt premier – et bien égoïste – en arrivant au Saguenay était avant tout de prendre des nouvelles des travaux de construction du centre de recherche et développement de l’entreprise Elysis, qui a développé un nouveau procédé révolutionnaire d’électrolyse de l’aluminium qui éliminera totalement les émissions de CO2.

Je pensais pouvoir visiter le centre d’Elysis, qui produira ses premières coulées d’aluminium dans un bâtiment attenant au complexe Jonquière de Rio Tinto sans recourir à une anode de carbone, mais en utilisant une anode inerte, mais la rencontre avec le PDG d’Elysis et des trois principaux responsables du centre s’est déroulée dans une salle de réunion de l’hôtel Delta de Jonquière.

« C’est le secret industriel qui nous interdit toute visite. On ne veut pas que nos concurrents profitent d’informations qui fuiteraient. Les contrôles sont rigoureux. »

— Vincent Christ, PDG d’Elysis

Elysis est née d’un partenariat entre Alcoa et Rio Tinto, qui ont formé une coentreprise et partagé leurs innovations respectives dans le développement d’un nouveau procédé d’électrolyse. Le géant Apple participe financièrement à la création de cette nouvelle filière verte.

« On a le procédé et on va le transformer en solution industrielle. Les tests vont débuter bientôt et on va commencer la production d’ici la fin de l’année », précise François Beaudoin, chef des opérations d’Elysis. Au cours des prochains mois, Elysis configurera la nouvelle technologie pour qu’elle soit commercialisable d’ici 2024.

« On a des alumineries intéressées qui veulent réduire leur empreinte carbone parce que leurs clients l’exigent. Je ne serais pas surpris de voir de gros utilisateurs comme des constructeurs automobiles financer des coentreprises avec des alumineries », anticipe Vincent Christ.

Si toutes les alumineries québécoises utilisaient la nouvelle technologie d’Elysis, ce sont 20 % de toutes les émissions industrielles québécoises de CO2 qui seraient éliminées d’un coup.

Cela dit, les alumineries de Rio Tinto au Saguenay–Lac-Saint-Jean ont réussi à passer à travers la crise sans trop de dommages, estime Donat Pearson, président du Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida.

« La pandémie a fait chuter la demande d’aluminium. Toutes les usines d’assemblage automobile et les fabricants de pièces d’Amérique du Nord ont été forcés de fermer. Mais une aluminerie, ça ne se ferme pas comme ça. Rio Tinto a continué de produire et n’a pas fermé d’usines. Les effectifs ont été réduits, mais tout le monde a été payé. On ne le dit pas souvent, mais là, [Rio Tinto a] eu un comportement exemplaire. »

Centre d’excellence mondial en TI

C’est d’ailleurs un peu l’aluminium qui a amené CGI à ouvrir son premier bureau à Chicoutimi, en 1984, lorsque l’entreprise a décroché ses premiers contrats de TI avec Alcan.

Guylaine Tremblay, vice-présidente, services-conseils de CGI, s’est jointe au bureau de Chicoutimi en 1993 alors que l’entreprise comptait une trentaine de professionnels des TI. Elle est aujourd’hui à la tête d’une équipe de plus de 700 spécialistes qui font partie du groupe sélect des centres d’excellence mondiaux de la multinationale québécoise.

L’équipe de Saguenay s’est bonifiée au fil des ans au même rythme où CGI a réalisé sa forte expansion mondiale. « Quand je suis arrivée à Chicoutimi, en 1993, CGI comptait 1300 employés ; aujourd’hui, on est plus de 78 000 professionnels dans le monde et 700 au Saguenay », souligne l’informaticienne qui a amorcé sa carrière à Montréal comme programmeuse.

À l’époque, le noyau dur de CGI à Chicoutimi gravitait autour des contrats avec Alcan. Lorsque le producteur d’aluminium a connu des difficultés dans les années 90, l’équipe de CGI a commencé à démarcher des contrats à l’extérieur. Aujourd’hui, le bureau de Saguenay dessert plus de 130 grandes entreprises du Québec, du Canada, de l’Europe – dont les multinationales Michelin et le groupe Total – et même d’Australie.

« Chez CGI, on travaille en collaboration avec nos clients et nos bureaux à l’étranger. On développe des liens qui permettent à nos employés d’avoir des carrières internationales à partir de Chicoutimi. »

— Guylaine Tremblay, vice-présidente de CGI Saguenay

Pour cette région-ressource, cette percée dans le domaine des technologies de l’information permet une diversification économique bénéfique et le développement de compétences professionnelles et d’horizons de carrière qui n’existaient pas avant au Saguenay.

Et cette forte présence de CGI en TI a créé de l’émulation, puisqu’Ubisoft a décidé il y a trois ans de créer une nouvelle division, Ubisoft Saguenay, afin de profiter du talent et de l’effervescence en programmation informatique de la région.

Comment une région tellement identifiée aux ressources naturelles a-t-elle pu réaliser un tel repositionnement stratégique ?

« On peut compter sur quatre cégeps dans la région et sur l’Université du Québec à Chicoutimi, qui ont tous d’excellents programmes. Il y a eu Ubisoft et il y a de nombreuses start-up qui se développent dans la région.

« On n’hésite pas à intégrer des jeunes pour les former au sein de nos équipes. Chaque année, on embauche 30 stagiaires et on les couple à des mentors et ils restent avec nous.

« On a aussi ouvert nos portes aux professionnels de l’étranger. On a aujourd’hui quelque 80 employés qui viennent de 25 pays et qui ont tous adopté le Saguenay pour y vivre », avance fièrement Guylaine Tremblay.

Le Saguenay a pris le virage des technologies et de la diversification et la région s’enrichit pour le plus grand bien du Québec tout entier.

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