Au plus creux de son histoire difficile, Kim l’avoue : il lui est arrivé de frapper sa fille.
La petite avait alors 3 ans.
Kim avait quitté la maison de sa mère, où elle habitait depuis la naissance de la petite Laurianne, en 2014. Elle était tombée amoureuse et était allée vivre avec son nouveau conjoint dans une autre ville, loin de sa famille et de ses amis.
« Au début, ça allait bien. Puis, il a commencé à me frapper, à me crier après. Je n’avais plus le droit de voir ma famille et mes amis, raconte Kim. J’ai fait une dépression et une tentative de suicide. »
Et au plus sombre de cette période noire, elle le dit franchement : elle a porté la main sur sa fille. « Ça me fait tellement mal d’en parler. Je n’étais plus là. J’étais malade. Je la tapais. Mais je ne m’en souviens plus. »
Kim finit par aboutir aux urgences. Elle passe des semaines à l’hôpital psychiatrique. Après son retour à la maison, des membres de son entourage signalent son cas à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ).
« On avait une enfant pleine de fragilité. Une mère fragile également. Et les membres de sa famille étaient inquiets pour elle. À cause de ce nouveau conjoint, elle n’avait plus accès à l’aide de ses proches. »
— Pascale Daudelin, sa travailleuse sociale
La DPJ a donc retiré à Kim la garde de sa fille, qui a été confiée à sa propre mère. Motifs du placement : les mauvais traitements physiques infligés à l’enfant, l’état psychologique détérioré de la mère et le fait que l’enfant n’avait pas vu de pédiatre depuis six mois.
« On la trouvait tellement vulnérable qu’on se demandait si elle pourrait retrouver la garde un jour », résume Mme Daudelin.
« Au début, j’étais soulagée, admet Kim. Ça a duré deux mois. Après, j’ai commencé à m’ennuyer. Ma fille me manquait. La médication faisait effet, j’étais suivie par un psychiatre. J’allais mieux. »
Le chemin pour ramener la petite Laurianne chez elle n’a pas été simple. Il a duré 18 mois. « Kim en avait beaucoup sur sa table de travail », résume Pascale Daudelin.
Il y a d’abord eu une séparation. « Si je voulais retrouver la garde, je devais me séparer de mon conjoint. » C’est ce qu’elle a fait. Kim est partie vivre seule, en appartement. Elle est allée suivre une thérapie destinée aux femmes violentées. Par la suite, elle a été suivie par une travailleuse sociale de son CLSC toutes les semaines. Puis, elle s’est mise à fréquenter L’Envol, un groupe communautaire qui offre le programme Je tisse des liens gagnants, destiné aux parents à risque (voir capsule). À cause de son handicap, la jeune femme est aussi suivie par le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI).
« Il fallait reconstruire son réseau à elle. Nous, on est là pour l’enfant, mais si on veut que ça fonctionne, il faut que la mère ait des suivis », explique Mme Daudelin
Bref, une armée d’intervenants s’est mise en branle pour soutenir la mère et son enfant. Car la petite Laurianne était également suivie de près par les intervenants de la DPJ, ainsi que par l’hôpital Sainte-Justine, pour divers problèmes de santé.
Kim l’avoue, elle a encore beaucoup de limitations. Elle a parfois du mal à déchiffrer son courrier. Elle a dû apprendre à utiliser un agenda. Elle a encore peu de mémoire à court terme. Elle a beaucoup travaillé pour vaincre ces crises de panique qui la paralysaient. « Maintenant, je suis capable de prendre le dessus. »
« Avoir un enfant, c’est beaucoup de travail, de temps, de patience. Grâce à l’aide que j’ai eue, j’ai pu apprendre tout ça. » — Kim
En octobre 2017, le tribunal lui accorde officiellement la garde de sa fille. « Quand ils ont vu tout le travail que j’avais fait, ils ont décidé de me redonner la garde un mois avant. J’étais tellement fière. »
Ce serait bien de vous dire que l’histoire se termine là et que tout va bien depuis. Mais ce serait faux.
Un « filtre à chums pas au point »
Dans l’histoire de Kim et de Laurianne, il y a eu, très rapidement, de nouveaux cahots.
En bref, Kim a rencontré un autre homme. « Quand on l’a vu pour la première fois, il nous a dit qu’ils allaient prendre leur temps. Une semaine plus tard, il avait emménagé chez elle », relate Mme Daudelin. Sur le tableau de bord de tous les organismes qui suivaient la mère et l’enfant, les voyants rouges se sont allumés.
« L’information a rapidement circulé entre tous les intervenants : Kim est retombée en amour. Ça a fait lever un drapeau parce que son filtre à chums n’est pas tout à fait au point. C’est toujours un piège qui la guette : la manipulation », résume la travailleuse sociale. De fait, malgré tout le soutien dont elle bénéficiait, Kim a replongé dans le cycle de la violence conjugale.
En théorie, le suivi de la DPJ aurait dû se terminer en juin 2018. « Mais quand on a vu la situation avec le conjoint, qui était fragile, on a continué le suivi. Kim se fragilisait. Si on avait fermé le dossier, elle aurait probablement perdu la garde de nouveau. » Bref, si la DPJ s’était retirée, l’histoire ne se serait pas bien terminée ? « Non, ça ne se serait pas bien terminé », s’exclame spontanément Kim.
La jeune femme a fini par quitter ce nouveau conjoint six mois plus tard. Depuis, elle vit seule avec Laurianne dans leur petit appartement, situé au bout d’une rue qui se termine par un cul-de-sac, et juste devant un parc. L’idéal pour une petite fille de 5 ans qui aime bouger. Laurianne a commencé la première année. À l’école, elle est suivie par un ergothérapeute et un orthophoniste.
Où Kim se voit-elle dans cinq ans ? « J’aimerais avoir recommencé à travailler. Et j’aimerais que la petite continue à aller dans le droit chemin. »
Kim sait qu’elle va avoir besoin de soutien toute sa vie. Et pour Pascale Daudelin, c’est là sa grande qualité, celle qui lui a permis de retrouver sa fille. « Elle accepte l’aide. »
Pourquoi donner une chance à Kim ? Pourquoi prendre un risque pour la petite Laurianne ? Pascale Daudelin fait une pause avant de répondre. « J’aurais envie de dire : et pourquoi pas ? Cette enfant-là a le droit à ses parents, s’ils sont capables de s’en occuper. »
DES GROUPES QUI ont un effet positif
Depuis 2011, partout au Québec, deux programmes de suivi intensif sont offerts aux parents à risque. Et leur approche semble donner des résultats.
JE TISSE DES LIENS GAGNANTS
On vise les familles qui se retrouvent dans un contexte de négligence. Le programme est volontaire, et comporte un suivi individualisé du parent et de l’enfant ainsi que des activités de groupe. On parle aux parents de compétences parentales, de relations conjugales, d’estime de soi. La durée totale du suivi est de 24 mois. L’idée du programme est d’intervenir rapidement, avant que la négligence soit vraiment installée. Et, selon Marie-Josée Tremblay, coordonnatrice des services à l’enfance au CISSS de la Montérégie-Est, ça fonctionne. « C’est clair qu’il y a eu plusieurs situations prises en charge par le CLSC où on en est arrivé à ne pas avoir de signalement en négligence. On a pu éviter le retrait des enfants ou fermer le dossier de DPJ parce qu’il y avait un bon suivi. Et ce sont des situations qu’on n’a pas vues réapparaître. »
MA FAMILLE, MA COMMUNAUTÉ
La clientèle visée, ce sont les enfants à risque d’être placés en famille d’accueil, ou qui tentent un retour dans leur famille biologique après un placement. L’idée est d’instaurer un processus décisionnel en équipe, qui vise la mise sur pied d’un « plan de sécurité » pour l’enfant. Dans ce groupe, on retrouve évidemment les parents, mais aussi des membres de la famille élargie qui pourraient éventuellement recueillir l’enfant. La DPJ est également présente, tout comme d’autres intervenants, médecins, intervenants en toxicomanie, professeurs ou éducatrices en garderie. Les différents partenaires se rencontrent quatre fois l’an. Un facilitateur dirige les rencontres. « Tout le monde est expert autour de la table. Et tout le monde réfléchit ensemble à la situation. On tente de faire en sorte que l’enfant demeure chez lui, mais avec un filet de sécurité. Le parent sait que son enfant risque d’être placé. On discute très franchement des situations », explique Martine Cabana, responsable de l’implantation du programme au CISSS de la Montérégie-Est.