Analyse

Le monde d’hier

Dans la pièce aux lumières tamisées, le monde d’hier parlait. En entrevue, chez lui, d’une voix désormais mal assurée, Pierre Paradis reconnaît sans ambages qu’il a demandé à sa chef de cabinet Valérie Roy de lui appliquer dans le dos un onguent analgésique.

Ce sera son seul aveu touchant la liste des allégations d’inconduite de sa collaboratrice. Car ce n’était assurément pas dans la description de tâches de cette dernière. On ne saurait mieux illustrer la fin d’une époque, marquée par l’éradication des « mononcles ». Politicien roublard, Paradis a semé bien des premiers coups fourrés, en 37 ans de carrière. Il a forcé la main du gouvernement pour avoir son ami de toujours, Fernand Archambault, comme sous-ministre, quitte à éjecter celui qui était en poste. Mais en même temps, reconnaît un adversaire, il savait se faire apprécier. Il était capable d’aller rencontrer des députés de l’opposition dans leur bureau au parlement pour régler les problèmes dans leur circonscription.

À l’opposé, élu depuis 1976, le péquiste François Gendron part, lui, avec des hommages bien mérités. Bien sûr, lui aussi incarne le monde d’hier. Ministre des Ressources naturelles, il a pu accepter des voyages de pêche exceptionnels, dans le Nord, payés par les papetières. Comme un baron, il transmet son fief à un ami, Sylvain Vachon, qui sera candidat du PQ dans Abitibi-Ouest.

Un autre écho du passé, les réceptions de Jacques Chagnon, président de l’Assemblée nationale, cruellement traîné dans la fange pour avoir trop bien reçu, il est vrai, avec les fonds publics.

Tous ces gestes étaient acceptés, il y a quelques années, mais c’était un autre siècle, une autre époque. Une période où l’Assemblée nationale fonctionnait dans un aquarium, siégeait régulièrement tard le soir, souvent la nuit.

C’était l’ère où le jurisconsulte de l’Assemblée nationale – le poste de Commissaire à l’éthique n’existait pas – écrivait des rapports complaisants sur les membres délinquants de la grande famille des parlementaires. « Que voulez-vous dans le rapport ? », a-t-il déjà demandé à un chef de cabinet, avant de se prononcer sur les gestes d’un député à problèmes.

Il y a des relents de cette époque, dans la décision du gouvernement Couillard de demander un avis juridique pour faire contrepoids au constat de la nouvelle commissaire à l’éthique sur l’utilisation de l’indemnité de résidence – 15 000 $ par année, non imposables. La majorité libérale était bien suffisante pour éviter à Pierre Paradis, député de Brome-Missisquoi, son amende de 24 400 $. Jean-Marc Fournier appartient aussi au monde d’hier. Cette indemnité deviendra imposable l’an prochain – les élus en parleront bientôt comme d’une pratique du « bon vieux temps ».

La plupart ont pleuré

Ils étaient une vingtaine, hier, à faire leurs adieux à l’Assemblée nationale – des vétérans comme Claude Cousineau et Geoffrey Kelly, de plus jeunes comme Alexandre Cloutier et Stéphanie Vallée. Une relève de la garde sans précédent, même s’il y a déjà eu de ces départs groupés dans le passé. Hier, la plupart ont pleuré.

Pour tous les partis, les chefs ont fait hier leur bilan parlementaire… Des propos convenus : Philippe Couillard mise sur l’économie, Legault promet le changement, Jean-François Lisée, avec assurance, promet de garder le cap. 

Le gouvernement laisse sur la table une longue liste de projets de loi qui n’ont pas été adoptés, telle la réforme de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, qui prévoyait des pouvoirs accrus au DGE relativement à l’utilisation des données personnelles.

La génération qui monte

Cela a déjà été écrit : « Je vois une génération qui monte et je vois une génération qui descend. » Dans chaque parti, de nouveaux visages se démarquent, laissant entrevoir qu’ils seront ceux qui annonceront aussi leur départ… dans une vingtaine d’années.

Chez les libéraux, André Fortin, le ministre des Transports, a réalisé un sans-faute avec un portefeuille où ses prédécesseurs, Robert Poëti, Jacques Daoust et Laurent Lessard, ont eu passablement de problèmes. Député de l’Outaouais, il a toutes les chances de traverser plusieurs élections comme candidat du PLQ. Des disciples voient déjà en lui un avatar de Robert Bourassa. À Québec, Sébastien Proulx est un nouvel élu aux réflexes de vétéran. S’il traverse la prochaine élection, il sera aussi longtemps à l’Assemblée nationale.

Au PQ, Pascal Bérubé est probablement celui qui a le plus de chances de durer. Question de géographie d’abord : Matane restera une forteresse imprenable pour le Parti québécois. Mais aussi question d’attitude : un mélange de roublardise partisane et de complicité avec les collègues, quel que soit le parti. Un autre élu du monde d’hier… mais avec un long avenir. Chez les jeunes au PQ, Mathieu Traversy a aussi montré toutes les aptitudes nécessaires, mais là encore, la géographie fait loi. Le 1er octobre, le maître-nageur de Terrebonne aura du mal à traverser la vague caquiste.

À la Coalition avenir Québec, Simon Jolin-Barrette a toutes les cartes en main.

Borduas, sa circonscription, ancien bastion péquiste, devrait, comme le reste de la couronne de Montréal, basculé dans le giron de la CAQ, dans un avenir prévisible. Parlementaire studieux, politicien prudent, il fera longtemps partie du paysage politique. Gentleman, il avait les larmes aux yeux, hier, non parce qu’il quittait la politique, mais parce qu’il faisait ses adieux à son adversaire habituelle, la titulaire de la Justice, Stéphanie Vallée, qui tirait un trait sur sa carrière de députée.

Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, sera encore longtemps au Salon bleu. Un autre qui, sous une apparence de jeune élu, a vite compris les règles non écrites de l’Assemblée nationale. Pour longtemps, il saura tenir le cap pour le tiers parti, une main sûre, nécessaire après les départs de Françoise David et d’Amir Khadir.

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