Un Dubois mineur

Cinq ans après avoir remporté le Goncourt avec Tous les hommes n’habitent pas le même monde, Jean-Paul Dubois est de retour tel qu’en lui-même. L’origine des larmes est en effet une comédie noire qui raconte sur un ton doux-amer le spleen d’un homme solitaire et mélancolique qui préfère les chiens aux humains et qui s’appelle Paul (son alter ego d’un livre à l’autre), des motifs qu’on pourrait qualifier de récurrents chez l’auteur français.

Paul vient de tuer son père… qui est déjà mort depuis deux semaines. Un juge lui ordonne de suivre une thérapie pendant un an, et c’est le chemin que prendra le roman, chaque chapitre étant le récit d’une rencontre avec son psychiatre, Frédéric Guzman.

Les larmes ici sont multiples : ce sont celles du médecin, qui souffre d’une maladie qui le fait pleurer constamment de l’œil droit, et il y a celles de Paul, plus profondes, dont la mère et le frère jumeau sont morts à sa naissance. À 51 ans, il est convaincu que sa vie aurait été différente s’ils avaient survécu, et qu’elle n’aurait pas a été gâchée par son père, filou manipulateur à qui il voue une haine infinie, et dont il dévoilera peu à peu tous les tentacules. Seules la bonté et la douceur de sa belle-mère Rebecca, propriétaire d’une entreprise de housses funéraires, auront été un rempart contre ce père toxique.

« Il pleut tellement. » Cette première phrase donne le ton à cette dystopie – l’action se déroule en 2031. Les dérèglements climatiques créent une toile de fond anxiogène à ce livre qui parle de famille et d’héritage, qu’on choisit ou qu’on refuse.

Les niveaux de lecture sont nombreux et les apartés passionnants, comme toujours, par contre on a déjà vu Dubois plus drôle dans le drame. Il y a ici plus de lourdeur, et son livre est malheureusement souvent répétitif.

Le nombre de fois où Guzman interrompt la séance pour s’éponger les yeux, par exemple, plutôt qu’être amusant, est fort agaçant.

On se demande aussi comment Rebecca, qui a élevé Paul, a pu être à ce point amoureuse d’un homme aussi malveillant. Cela reste la grande incongruité du livre, et si la haine de Paul devant le mal incarné qu’est son père est absolument légitime, autant la méchanceté de l’un que le ressassement de l’autre semblent un peu « trop ».

Ce sont ces accrocs qui font qu’on semble ici devant un Dubois mineur. Il y a tout de même des moments de grâce, particulièrement lorsque le personnage est seul, quand il réfléchit à l’altérité ou qu’il discute avec l’intelligence artificielle. Et bien sûr, tout le rapport obsessionnel avec la mort ressort, fil rouge aussi angoissant que drôle – l’entreprise de housses funéraires, dont Paul hérite, est certainement ce qui donne lieu au meilleur de l’humour noir de l’auteur.

C’est ainsi qu’on retrouve avec une certaine jubilation son regard désabusé sur le monde, tout comme l’élégance de son écriture : un Dubois moins réussi sera toujours au-dessus de la moyenne.

L’origine des larmes

Jean-Paul Dubois

Éditions de l’Olivier

245 pages

6/10

Perdre le fil

J’aime beaucoup Véronique Ovaldé que je lis depuis ses débuts. J’ai eu un coup de foudre dès le premier roman, Ce que je sais de Vera Candida (2009). Son écriture vive, ses personnages féminins forts, ses réflexions sur la famille… Cette autrice, que j’ai eu le bonheur d’interviewer en 2016, avait tout pour me plaire.

La magie n’a toutefois pas opéré à la lecture de ce recueil de huit nouvelles paru récemment au Québec. Ces nouvelles ont toutes un lien entre elles, un fil qui les traverse : le personnage principal d’une histoire devient le personnage secondaire de l’histoire suivante.

Dans ma nouvelle préférée, « L’homme du futur et la fille-barbelés », on découvre Rachel, une femme qu’on imagine début soixantaine. Nouvellement veuve, elle se retrouve soudainement dans une situation périlleuse qui connaîtra un dénouement désopilant. Rachel est de loin le personnage le plus incarné du recueil et cette nouvelle est parfaitement maîtrisée. Les autres nouvelles ne sont pas aussi réussies. Les personnages sont unidimensionnels, et on n’arrive jamais à s’intéresser à ce qui leur arrive. Quant à la narratrice qui fait le lien entre les nouvelles, je l’ai trouvée plutôt ennuyante. Où est la fantaisie d’Ovaldé ? L’écriture est fine et élégante, mais il manque le rythme, l’énergie contagieuse qui happerait le lecteur ou la lectrice.

Cela dit, Ovaldé a remporté le Goncourt de la nouvelle avec ce recueil, comme quoi l’appréciation d’un livre demeure très personnelle.

— Nathalie Collard, La Presse

À nos vies imparfaites

Véronique Ovaldé

Flammarion

160 pages

6,5/10

Une suite moins réussie

La liste de mes envies de Grégoire Delacourt, histoire réconfortante d’une femme qui remporte un gros lot qu’elle choisit de ne pas dépenser, a été il y a 12 ans un immense succès d’édition. L’auteur, qui a publié de nombreux romans depuis, a décidé de faire revivre Jocelyne, son personnage porte-bonheur, qu’on retrouve trois ans après la mort de son mari Jocelyn, qui s’était enfui avec le chèque et qui avait dépensé une partie du magot.

Il reste maintenant à Jocelyne 15 millions d’euros sur les 18 qu’elle avait remportés, et surtout, beaucoup d’amertume dans son cœur. Elle fréquente le groupe de soutien Gagnants anonymes, où tous les participants doivent gérer les effets tragi-comiques de l’argent dans leur vie. Ces rencontres seront le fil de ce roman plein de bons sentiments, mais qui n’a pas le charme du premier.

C’est que même si on comprend que l’argent ne fait pas le bonheur, on a un certain malaise à voir ces personnages regretter l’époque où ils n’étaient pas riches, alors que les temps sont durs et que beaucoup de gens, dans la vraie vie, cumulent les emplois pour joindre les deux bouts.

Le résultat est un livre qui, malgré son indéniable empathie et son humour, semble déconnecté. Même le personnage de Jocelyne, qui essaie de trouver le moyen de faire profiter les autres de son argent, est moins incarné, trop lyrique tant dans le positif que le négatif. Il serait bien surprenant que cette suite connaisse le même succès que le premier.

— Josée Lapointe, La Presse

La liste 2 mes envies

Grégoire Delacourt

Albin Michel

256 pages

5,5/10

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

La septième sorcière

Cherie Dimaline

Boréal

464 pages

Cherie Dimaline est une écrivaine métisse originaire de la baie Georgienne, en Ontario, qui a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général pour son premier roman pour adolescents, Pilleurs de rêves (Boréal, 2019), et signé plusieurs titres pour adultes, dont Rougarou (Boréal, 2020). Dans La septième sorcière, qui vient tout juste d’être traduit, elle poursuit son œuvre empreinte de fantastique. Tout commence lorsqu’une orpheline d’une mère métisse, sur le point de se faire expulser de l’appartement de Toronto où elle vit avec sa grand-mère, fait une découverte qui réveille l’une des sorcières les plus puissantes d’Amérique du Nord. Un livre intelligent et absolument passionnant, selon le Toronto Star, en plus d’être « un page turner du plus haut niveau ».

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

Un été italien

Rebecca Serle (traduit par Typhaine Ducellier)

Saint-Jean

280 pages

Voilà le genre de lecture d’été par excellence, un roman sur l’amour et la perte dont on dit qu’il est lumineux, tout en étant à la fois bouleversant et réconfortant. À la mort de sa mère, Katy se retrouve à devoir faire seule un voyage à Positano, sur la côte amalfitaine, qu’elles avaient prévu à deux. Elle sera pourtant plongée dans une aventure incroyable qui la laissera transformée.

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

Rendez-vous au bord du lac

Carley Fortune

Robert Laffont

392 pages

Ce best-seller du New York Times, de l’autrice du roman Tous nos étés (qui paraît simultanément avec cette nouveauté en format poche), nous transporte dans une journée décisive pour la trentenaire Fern Brookbanks. Alors que sa vie vient de prendre un tournant inattendu, un vieil ami débarque avec une offre difficile à refuser.

Fraîchement arrivés chez le libraire

Parmi tous les livres qui sont arrivés récemment en librairie, en voici quelques-uns qui ont attiré notre attention.

Le nom sur le mur

Hervé Le Tellier

Gallimard

176 pages

Le Prix Goncourt 2020 pour L’anomalie peint ici le portrait d’André Chaix, résistant français mort il y a près de 80 ans. Un récit sur un personnage dont la vie est en elle-même romanesque – et qui donne la parole aux idéaux pour lesquels il est mort, d’après l’auteur.

Mythomane – Contes et légendes de la Grèce antique

Thomas Hellman

Varia

104 pages

Il y a eu le spectacle, la semaine dernière au Cabaret Lion d’Or, mais il y a aussi l’album et ce livre, illustré par Louise Marois. L’auteur-compositeur-interprète raconte la création de l’univers et la naissance des dieux et des humains dans cette réflexion sur la mémoire et la création, qui se veut également une célébration de la parole à travers les millénaires.

La vie intime

Nicolò Ammaniti

Grasset

374 pages

L’écrivain italien, qui a écrit les sublimes Moi et toi et Je n’ai pas peur, construit dans ce roman une comédie de mœurs teintée d’ironie, sur fond de scandale politique. À Rome, la première dame doit se débarrasser d’images compromettantes qui pourraient avoir des conséquences dévastatrices sur la carrière de son mari, le président du Conseil italien. Un roman sur l’image et la politique, qui évoque l’univers de Paolo Sorrentino.

Tu nous manques

Jan J. Dominique

Remue-Ménage

192 pages

L’autrice haïtienne, qui vit aujourd’hui à Montréal, nous entraîne dans ce roman à Port-au-Prince, en 1957. Entre les souvenirs familiaux, elle suit le destin de femmes vaillantes qui ont appartenu à une famille haïtienne marquée par la violence politique, les mensonges et la résistance.

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