Fusion nucléaire

Une avancée qui fait rêver

Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à produire en laboratoire de l’énergie avec la fusion nucléaire. Une percée qui suscite beaucoup d’espoir. Mais la production à grande échelle d’une énergie zéro-carbone n’est pas pour demain.

Hyperbole

Découverte digne des « livres d’histoire ». Une « percée scientifique monumentale ». « Une étape vers de l’énergie zéro-carbone abondante. » L’enthousiasme était palpable durant la conférence de presse du département de l’Énergie, mardi matin. Des chercheurs de la National Ignition Facility (NIF) du laboratoire fédéral Lawrence Livermore, en Californie, ont réussi pour la première fois à produire plus d’énergie avec la fusion nucléaire qu’ils n’en ont injecté dans le réacteur avec des lasers. Ils ont plus précisément produit 3,15 mégajoules d’énergie en injectant avec 192 lasers 2,05 mégajoules d’énergie sous forme de rayons ultraviolets. Émile Knystautas, un physicien de l’Université Laval, qui a travaillé sur la fusion nucléaire, salue l’annonce, mais regrette le ton « un peu malhonnête » des commentaires lors de la conférence de presse. « Oui, c’est la première fois, mais on est très, très loin du but. »

Gain scientifique et d’ingénierie

Le problème, note M. Knystautas, c’est que pour produire 2,05 mégajoules en rayons UV, il a fallu 100 fois plus d’énergie. « On a un gain net scientifique, mais si on regarde tout le processus, qu’on évalue le “gain d’ingénierie”, on est très loin d’un gain », explique Elliot Claveau, un diplômé de Polytechnique Montréal qui fait son post-doctorat en fusion nucléaire au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il y a un an, la même équipe de la NIF avait annoncé avoir créé 1,3 mégajoule en injectant 1,8 mégajoule. À ce rythme, il faudra 20 ans pour arriver à un gain d’ingénierie net. « En fait, les lasers de la NIF sont très vieux, dit M. Claveau. C’est un laboratoire qui teste les bombes nucléaires. Les lasers actuels sont 20 fois plus efficaces. Mais il faudra aussi régler un autre problème : on peut faire ce test à la NIF une fois par jour, alors que pour produire de l’électricité commercialement, il faudrait faire l’opération avec les lasers une à dix fois par seconde. »

L’a b c de la fusion

La fusion nucléaire fait rêver les physiciens parce qu’elle ne produit pas de déchets nucléaires, contrairement aux réacteurs nucléaires actuels, basés sur la fission de noyaux atomiques, et non leur fusion. Le risque d’explosion est pratiquement nul. Mais les défis sont immenses : il faut recréer un processus qui a lieu au cœur du Soleil, là où règnent des pressions impossibles à atteindre sur Terre. « L’humanité a réussi la fusion nucléaire avec les bombes thermonucléaires, mais ce n’est pas contrôlé », dit M. Claveau.

Deux confinements

L’expérience dont les résultats ont été annoncés mardi a eu lieu le 5 décembre dernier. Elle utilisait une technique différente de la plupart des autres réacteurs. « Les noyaux d’isotopes d’hydrogène qu’on veut fusionner sont naturellement tentés de s’éloigner l’un de l’autre, parce qu’ils ont tous deux une charge positive, dit M. Knystautas. Il faut les confiner pour qu’ils restent proches l’un de l’autre et finalement qu’ils fusionnent à de très hautes températures. À la NIF on fait un confinement inertiel. Au départ, les isotopes d’hydrogène sont sous forme solide, à des températures très froides. On les chauffe très, très rapidement. Ailleurs, il y a un confinement magnétique. » Le tokamak de Varennes, un réacteur de fusion qui a fonctionné jusqu’à la fin des années 1990, utilisait un confinement magnétique, tout comme le mégaprojet européen de fusion ITER, à Marseille.

La fusion privée

Plusieurs groupes privés, dont l’un est financé par Bill Gates et Jeff Bezos, planchent aux États-Unis sur des projets de fusion nucléaire. « Il y a une trentaine de projets privés de fusion nucléaire », dit M. Claveau. Utilisent-ils le confinement magnétique ou inertiel ? « C’est soit le confinement magnétique ou une forme hybride », dit M. Claveau.

150 millions de degrés Celsius

Température atteinte lors de l’expérience de fusion nucléaire à la National Ignition Facility

SOURCE : National Ignition Facility

- 255 °C

Température des isotopes d’hydrogène au début de l’expérience de fusion

SOURCE : National Ignition Facility

3 milliards US

Montant de l’investissement privé dans la fusion nucléaire depuis 2010

source : forbes

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