Grande entrevue : les 100 premiers jours de Christian Dubé

« satisfait », mais pas encore « content »

Christian Dubé a franchi cette semaine le cap des 100 jours à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux. Arrivé en poste en pleine crise, il a déposé en août un plan de préparation à la deuxième vague de COVID-19. Il se donnait jusqu’au 30 septembre pour atteindre ses objectifs, comme embaucher un gestionnaire par CHSLD. Dans une grande entrevue à La Presse, le ministre se réjouit dans l’ensemble des performances de son réseau, même si certains aspects méritent d’être améliorés. « Je suis satisfait, mais je ne suis pas content encore », dit-il.

Grande entrevue : les 100 premiers jours de Christian Dubé

Un « registre des exceptions » pour encadrer la mobilité du personnel

Même s’il a reconnu la semaine dernière qu’il ne pourrait finalement pas interdire la mobilité du personnel dans le réseau de la santé comme prévu, le ministre de la Santé, Christian Dubé, veut l’encadrer sérieusement. Il mettra prochainement en place un « registre des exceptions » qui obligera tout directeur d’établissement ayant recours à la mobilité de personnel à en informer le ministère de la Santé et des Services sociaux.

« Si vous n’êtes pas capable d’assurer la non-mobilité, vous devez me dire dans quel contexte vous le faites, et si ça respecte le contrôle et la prévention des infections », explique le ministre. Un arrêté ministériel est en préparation. « On va encadrer la mobilité », promet M. Dubé.

Cent jours après avoir pris la tête du ministère de la Santé, Christian Dubé a accepté de dresser un premier bilan de ses performances avec La Presse. Dans son plan en prévision d’une deuxième vague de COVID-19 déposé le 18 août, M. Dubé s’était fixé neuf objectifs à atteindre pour le 30 septembre. Il voulait notamment doter chaque CHSLD d’un gestionnaire local et interdire la mobilité de main-d’œuvre. « Je ne vous dis pas qu’on est à 100 % dans nos neuf axes, mais je vous dirais qu’aujourd’hui, je suis très satisfait », dit-il.

Le ministre estime que « la deuxième vague est arrivée vite ». « Une chance qu’on s’était préparés […] Les PDG ont travaillé très fort. »

Les échos des PDG

L’un des principaux enjeux qu’a voulu améliorer le ministre en prévision de cette deuxième vague a été « la communication avec le réseau ». Lors de la première vague, « il y avait beaucoup de directives qui étaient faites par le Ministère, qui étaient envoyées au réseau ». Mais aujourd’hui, M. Dubé veut s’assurer d’obtenir l’opinion des établissements de santé.

« C’est beau, du top down, excusez l’anglicisme, mais il faut qu’il y ait du bottom up aussi. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec

Le ministre cite l’exemple de la mobilité de la main-d’œuvre. Lors du dépôt de son plan de deuxième vague en août, il promettait d’interdire le déplacement de personnel entre plusieurs établissements. Il a dû reculer sur cette promesse. Dimanche dernier à Tout le monde en parle, il a reconnu qu’il continuerait à y avoir de la mobilité.

M. Dubé dit que lorsque les PDG des établissements de santé lui ont indiqué qu’il serait impossible d’éliminer la mobilité de main-d’œuvre pour les infirmières et les infirmières auxiliaires au risque de vivre des ruptures de services, il leur a demandé de revenir avec des solutions. Aujourd’hui, le grand principe de limiter la mobilité reste, assure M. Dubé. Mais si un établissement doit avoir recours à la mobilité de main-d’œuvre, il devra en informer le ministère de la Santé, qui conservera un « registre des exceptions » sur le sujet. « Ça demande une responsabilité et une [reddition de comptes]. […] Quand on fait ça, les gens font un petit effort de plus », note-t-il.

M. Dubé a accepté d’abdiquer sur la mobilité du personnel, car il ne veut pas « se retrouver avec un autre Herron » où des patients n’ont pas été traités. En tout, 38 résidants sont morts de la COVID-19 au CHSLD Herron au printemps et plusieurs avaient été laissés sans soins.

« J’aime mieux faire un peu de mobilité dans un environnement qu’on maîtrise. Notre réalité du manque de personnel, elle est là. Il faut trouver des solutions. C’est ce qu’on a fait. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec

Lors de la présentation de son plan pour la deuxième vague, le ministre avait expliqué que les dirigeants devraient maintenant répondre de leurs actes. « Il fallait que les règles soient claires avant de faire des sanctions », dit-il. M. Dubé veut rassurer ses PDG : il dit « ne pas être dans les sanctions » actuellement. « Par contre, dans les prochaines semaines, maintenant que les règles sont claires, là, on va pouvoir en parler. »

Embauche massive de gestionnaires dans les CHSLD

M. Dubé estime que plusieurs bons coups ont été réalisés par son ministère. Notamment du côté de la prévention et du contrôle des infections. « C’est là qu’on s’est le plus améliorés », dit-il. Le ministre Dubé estime que la prévention et le contrôle des infections étaient « très bons » en milieu hospitalier, « mais en milieu de vie, on n’était pas là du tout ». Une situation aujourd’hui corrigée.

Le ministre peut aussi se vanter d’être parvenu en quelques semaines à embaucher un gestionnaire local pour tous les CHSLD de la province, faisant passer le nombre de ces gestionnaires de 39 à 412.

Le ministre est aussi très satisfait de la question des équipements de protection individuelle (EPI), qui ont manqué lors de la première vague.

« On a une réserve provinciale et dans chaque établissement […] On a le bon EPI au bon endroit. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec

M. Dubé est heureux d’avoir augmenté l’apport des fournisseurs québécois d’équipements. « On ne peut pas tout avoir au Québec, mais il y a eu une grosse amélioration », souligne-t-il.

Il est particulièrement fier que tous les enjeux de gouvernance, notamment ceux soulevés dans le rapport Savoie qui revenait sur la gestion de la première vague à Montréal, aient été réglés. « C’est vraiment un accomplissement qui va continuer de s’améliorer », dit-il.

Le ministre indique travailler sans relâche à améliorer la communication avec le réseau. Il ne veut pas changer les structures. Les CISSS et les CIUSSS*, ces entités administratives qui gèrent les soins de santé de chaque région, sont là pour de bon. Car ce principe d’avoir des centres régionaux « est bon ». « Mais quelle flexibilité leur donne-t-on pour les enjeux qui sont plus importants ? […] Tout le monde n’a pas la même population. Je veux leur donner cette flexibilité-là », dit le ministre. M. Dubé annonce toutefois qu’il changera le nom des CISSS et des CIUSSS, qu’il n’aime pas. Mais le changement est du côté de la gouvernance. « C’est une question de culture. C’est une question de gouvernance. Ce n’est pas une question de structure », dit le ministre.

* Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS)

Des cibles atteintes… ou pas ?

À la mi-août, le ministre Christian Dubé a pris un certain nombre d’engagements en vue d’une seconde vague de COVID-19. Il a fixé, pour certains d’entre eux, une date cible, celle du 30 septembre. Sur le terrain, ces engagements se sont-ils matérialisés ? La Presse a cherché à le vérifier.

Notre démarche

Lundi, deux jours avant la date limite fixée par le ministre, nous avons contacté 19 CISSS et CIUSSS du Québec. Quatre jours plus tard, au moment de mettre la dernière main à ces lignes, seuls neuf établissements avaient – partiellement – répondu à nos questions. Des entrevues sur le terrain, avec le ministre de la Santé et avec des spécialistes ont aussi permis de répondre à certaines interrogations.

ENGAGEMENT 1

Avoir un gestionnaire responsable pour chaque CHSLD

ATTEINT

Les gestionnaires sont en place, ou en voie de l’être au cours des deux prochaines semaines, dans la plupart des CHSLD du Québec. En fin de journée jeudi, le ministre Christian Dubé affirmait sur Twitter que chacun des 412 postes de gestionnaire de CHSLD avait été pourvu. Cela dit, ces nominations ont parfois été faites de façon chaotique. Certains postulants, qui s’attendaient à être nommés dans le CHSLD où ils travaillent depuis des années, ont plutôt été mutés dans un autre établissement, qu’ils ne connaissent pas du tout. C’est le cas notamment à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, frappé de plein fouet par la pandémie au printemps, où l’annonce du départ d’une employée expérimentée, envoyée comme gestionnaire ailleurs, a causé une commotion. Notons qu’avant la réforme Barrette, survenue en 2015, un gestionnaire était en poste dans chaque CHSLD.

ENGAGEMENT 2

Embaucher 1000 employés en santé publique

IMPOSSIBLE DE RÉPONDRE

Mis à part la Direction de la santé publique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui nous a précisé avoir embauché 42 personnes depuis le 1er août, nous n’avons reçu aucune réponse de la part des différentes directions de santé publique du territoire québécois. Impossible, donc, de chiffrer précisément les embauches réalisées. Cependant, les nombreux ratés dans le dépistage et le retraçage, ainsi que les appels à plusieurs catégories de professionnels, dont des policiers retraités, semblent montrer qu’on manque encore cruellement de personnel. Pourquoi ? En partie à cause du retard de plusieurs semaines dans l’attribution des fonds qui devaient financer ces embauches, a indiqué Isabelle Samson, présidente de l’Association des spécialistes en médecine préventive du Québec, dans nos pages samedi. Pourtant, tous les experts s’entendent sur le caractère capital de ces enquêtes de santé publique dans la lutte contre le coronavirus. « Alors oui, c’est vraiment très important d’avoir la force de travail nécessaire à la mise en place de ces processus », résume Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

ENGAGEMENT 3

Embaucher 10 000 préposés aux bénéficiaires

PARTIELLEMENT ATTEINT

En date du 23 septembre dernier, 3424 préposés avaient terminé leur formation et œuvraient dans le réseau et 3536 préposés finalisaient leur formation, indique le ministère de la Santé. La seconde cohorte commencera à suivre sa formation sous peu. « À terme des cohortes, 10 000 préposés supplémentaires auront été formés », souligne Marie-Claude Lacasse, porte-porte du Ministère. Cela s’est traduit par des centaines d’embauches dans certains établissements. Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, plus de 250 nouveaux préposés sont en poste depuis le 20 septembre, au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, on parle de plus de 580 nouveaux préposés. Pour la première fois en 30 ans, il n’y a pas de pénurie de préposés au CISSS de Laval, souligne Marjolaine Aubé, présidente du syndicat CSN du CISSS. « Je n’ai jamais vu ça de ma vie. » Cela dit, ces nouveaux préposés n’ont eu qu’une formation de base et devront compléter leurs apprentissages sur le tas. « Il y a des centaines de nouveaux préposés qui sont arrivés chez nous. Ils sont très motivés, mais ils ont besoin d’énormément de coaching et ça demande du temps. Trois mois, c’est rapide pour se former », observe la docteure Sophie Zhang, du CIUSSS Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, qui travaille en CHSLD.

ENGAGEMENT 4

Mettre fin à la mobilité du personnel, tout en respectant de façon stricte les règles de prévention et de contrôle des infections (PCI)

ÉCHEC

Les établissements ne sont de toute évidence pas en mesure de remplir cet engagement phare de Québec. Dimanche dernier, sur le plateau de Tout le monde en parle, le ministre Christian Dubé a lui-même admis que la mobilité de personnel se poursuivrait, notamment pour les infirmières et les infirmières auxiliaires. Sans cette soupape, de nombreux établissements risqueraient l’interruption de service. À peu près tous les établissements qui nous ont répondu indiquent avoir toujours recours aux services des agences de placement. Dans d’autres provinces, la Colombie-Britannique, par exemple, on a mis fin aux mouvements de personnel dès le début de la première vague. Le ministre Dubé encadrera toutefois la pratique en créant un « registre des exceptions », a-t-il expliqué à La Presse en entrevue.

ENGAGEMENT 5

Avoir des employés responsables de la prévention des infections dans chaque établissement

PARTIELLEMENT ATTEINT

Les établissements ont tenté de se conformer à cet engagement de diverses façons. Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal dit avoir formé la totalité de son personnel clinique et administratif en prévention et contrôle des infections (PCI). Au CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, on a formé dans chaque point de service des « champions » en PCI chargés d’augmenter la vigilance de leurs collègues sur la question. Au CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal, on a créé cinq nouveaux postes « pour assurer une bonne couverture dans l’ensemble de nos installations », fait valoir la porte-parole Séléna Champagne. Des équipes de choc, déjà à l’œuvre au printemps, sauteront également dans la mêlée si nécessaire, ajoute-t-elle. Le ministre Dubé assure pour sa part que l’amélioration du côté de la prévention et du contrôle des infections, particulièrement dans les CHSLD, a été notable par rapport au printemps. « C’est là qu’on s’est le plus amélioré », dit-il.

ENGAGEMENT 6

Délester le moins possible le personnel travaillant en services sociaux

PARTIELLEMENT ATTEINT

Dans la plupart des établissements, l’immense majorité des employés qui travaillent dans le secteur des services sociaux sont retournés à leurs fonctions normales, estime Mathieu Leblanc, porte-parole de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux. Des témoignages recueillis cette semaine nous montrent que le délestage a cependant toujours cours dans certaines régions particulièrement touchées au cours des dernières semaines. Cela dit, une dizaine d’ordres professionnels dont les membres travaillent dans le secteur des services sociaux ont été sollicités par Québec afin que leurs membres puissent être éventuellement autorisés à participer à des opérations de vaccination et de dépistage.

ENGAGEMENT 7

Soutenir une offre de service optimale en chirurgie

IMPOSSIBLE DE RÉPONDRE

Atteindre cet objectif n’est pas facile, puisque les retards avaient atteint une ampleur colossale après la première vague. En juin, la liste d’attente pour les interventions chirurgicales comptait 75 000 noms ; au début de septembre, ce chiffre avait grimpé à 92 000. S’il est impossible d’obtenir une donnée à jour sur l’ampleur des retards en chirurgie, comme l’écrivait La Presse cette semaine, les témoignages se multiplient pour souligner la lenteur de la reprise des activités chirurgicales. Les pénuries de personnel limitent l’utilisation optimale des blocs opératoires.

Engagement 8

Assurer l’approvisionnement en équipement de protection individuelle (EPI) en concluant des ententes avec des fabricants québécois pour la production de produits stratégiques

ATTEINT

Le ministre Dubé assure que l’ensemble du matériel de protection est actuellement disponible dans le réseau.

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