Afrique de l’Ouest

« Les malades mentaux sont les oubliés des oubliés »

C’était en 1994, mais le souvenir que Grégoire Ahongbonon garde de cette journée est intact. Une femme est venue le voir au centre d’accueil qu’il venait de fonder pour aider les gens atteints de maladie mentale à Bouaké, en Côte d’Ivoire. Elle a demandé de l’aide pour son frère, qui se trouvait dans un village situé à une vingtaine de kilomètres de là.

Lorsque Grégoire Ahongbonon et son équipe sont arrivés au village, le père de la femme a commencé à crier, se souvient M. Ahongbonon. « Pourquoi as-tu envoyé des gens ici ? Ce n’est pas la peine, il est déjà pourri », leur a lancé le père. Malgré la résistance de ce dernier, Grégoire Ahongbonon a pu entrer et apercevoir le jeune homme malade.

Rencontré la semaine dernière à Montréal alors qu’il était de passage au Québec, Grégoire Ahongbonon nous a tendu son téléphone, où l’on peut voir la photo de l’homme couché au sol, enchaîné, le corps noirci.

« Les deux pieds étaient sur un tronc, les deux bras étaient attachés avec un fil de fer. Il était totalement pourri, avec des asticots partout, mais il n’était pas mort », se souvient Grégoire Ahongbonon, invité à Montréal par les Amis de la Saint-Camille, une organisation sans but lucratif qui vise à amasser des fonds pour soutenir ses actions et celles de son équipe en Afrique.

Ce n’est que le lendemain, à l’aide de cisailles empruntées à un ferrailleur, qu’ils ont réussi à libérer le jeune homme des fils de fer encastrés dans sa chair et à le conduire au centre d’accueil. Une fois lavé, il a remercié Dieu et les a remerciés. « Est-ce que je peux encore guérir ? », leur a-t-il demandé.

« Vous voyez, il avait encore le désir de vivre », dit Grégoire Ahongbonon, ému malgré le fait qu’il a sans doute raconté cette histoire des centaines de fois. Le jeune homme, qui avait à peine 22 ans, est mort une semaine plus tard. « Mais au moins, il est mort dignement, comme un homme. »

La misère sous toutes ses formes

Au cours de ces 25 dernières années consacrées à venir en aide aux malades mentaux d’Afrique de l’Ouest, Grégoire Ahongbonon a côtoyé la misère humaine sous toutes ses formes. Des gens enchaînés chez eux ou encore attachés par dizaines, parfois par centaines, aux arbres des « centres de prières ». Avec la prière des leurs comme seul espoir de guérison.

« Les malades mentaux, en Afrique, sont les oubliés des oubliés. Ils sont abandonnés de tout le monde, dit Grégoire Ahongbonon. Vous les voyez dans la rue, ils mangent dans les poubelles et ils sont livrés à eux-mêmes. » 

« Tout le monde a peur d’eux. Ils sont considérés comme des gens possédés par le diable, frappés par les sorciers. »

— Grégoire Ahongbonon

C’est d’ailleurs ce que Grégoire Ahongbonon croyait aussi avant qu’il fasse lui-même une dépression après le déclin de son entreprise, au début des années 80, qu’il retrouve le chemin de l’Église et choisisse de se consacrer à cette cause.

Fondée au début des années 90, l’Association Saint-Camille-de-Lellis compte aujourd’hui quatre centres d’accueil en Côte d’Ivoire, quatre au Bénin, un au Burkina Faso et elle en ouvrira un autre au Togo le mois prochain. Les gens malades y sont accueillis par des intervenants (des malades rétablis) et reçoivent un diagnostic d'un psychiatre. Et ils reçoivent – gratuitement et aussi longtemps que nécessaire – des médicaments psychiatriques adaptés à leur condition.

Après quelques mois, ils sont dirigés dans l’un des neuf centres d’apprentissage pour y apprendre un métier dans le but de réintégrer la vie sociale.

« Chaque fois que je trouve un homme enchaîné, c’est notre image et c’est l’image de l’humanité qui est bafouée. Et c’est ensemble qu’on pourra arrêter ça un jour », conclut Grégoire Ahongbonon.

Soirée-bénéfice

Les Amis de la Saint-Camille organisent leur première soirée-bénéfice le 1er novembre en présence de Grégoire Ahongbonon, au restaurant le Robin des Bois, à Montréal.

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