Harlem Shuffle

Prends l’oseille et tire-toi

Harlem Shuffle

Colson Whitehead, traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé

Albin Michel

400 pages

7/10

Colson Whitehead a déjà confié en entrevue qu’il adorait les films de cambriolage (heist movies en anglais) et c’est ce qui l’a inspiré à écrire Harlem Shuffle : l’histoire de Ray Carney, fils d’un petit bandit sans envergure qui rêve d’une vie respectable, mais dont le passé et les mœurs familiales finissent par le rattraper.

Marié, père de famille, Ray rêve de gagner le respect de ses beaux-parents qui le considèrent comme un plouc. Il voudrait pouvoir offrir à sa famille un appartement plus grand dans une des belles rues de Harlem.

En surface, il est le propriétaire respectable d’un magasin de meubles, mais dans l’arrière-boutique, il se passe des choses de plus en plus louches qui arrivent par l’entremise du cousin Freddie. Ce dernier convaincra Ray d’embarquer dans un grand coup : le vol des coffrets de sécurité de l’Hôtel Theresa, qu’on appelait à l’époque le « Waldorf Astoria » de Harlem, et où sont débarqués plusieurs personnages mythiques tels Louis Armstrong, Muhammad Ali ou Duke Ellington. Pour Ray, qui rêve de s’extirper de sa médiocrité, l’offre est trop tentante. Son héritage familial est plus fort que tout.

On retrouve dans ce polar les thèmes chers à Whitehead, même s’ils sont enrobés d’humour.

L’action se déroule au début des années 1960 dans un Harlem mythique, et culmine en juillet 1964, au lendemain de l’assassinat de James Powell, un jeune Afro-Américain de 15 ans abattu par un policier blanc qui n’était pas en service. L’évènement déclenchera une série d’émeutes dans les rues de Harlem qui se répandront comme une traînée de poudre aux États-Unis.

Mais Ray, Freddie et la galerie de personnages truculents imaginés par Whitehead ratent complètement ce rendez-vous avec l’histoire des droits civiques américains. Pire encore, ils ont prévu commettre leur cambriolage le 19 juin (Juneteenth), jour de commémoration de l’émancipation des esclaves afro-américains.

On le voit, l’humour de Colson Whitehead est teinté d’un certain cynisme, ce qui ne l’empêche pas d’aborder des questions sérieuses : les liens familiaux, les droits civiques, la lutte des classes, le racisme...

Ceux qui l’avaient découvert avec Underground Railroad ou Nickel Boys, deux romans puissants qui lui ont valu deux prix Pulitzer (!), seront peut-être déstabilisés par cet humour grinçant, mais ceux qui ont lu ses premiers livres retrouveront l’ironie qui permet à Whitehead de traiter des grands déchirements de l’histoire américaine sans se sentir obligé d’appuyer à gros traits.

Une histoire vraie

Thriller météorologique

Une histoire vraie

Erik Larson

Le Cherche midi

416 pages

8/10

Une histoire vraie est le récit dramatique du terrible ouragan qui a détruit la ville de Galveston, au Texas, en 1900. Ce qu’on y découvre est plus d’actualité que jamais, surtout en cette période de changements climatiques où les catastrophes naturelles s’enchaînent. Il y a des choses qui ne changent pas, comme l’arrogance des humains face à la nature.

Une histoire vraie suit le météorologue en chef de Galveston, Isaac Cline, alors qu’un énorme ouragan se développe à l’est, dans l’Atlantique. Le US Weather Bureau, le tout jeune service météorologique des États-Unis, minimise les inquiétants signes avant-coureurs de la tempête et fait même taire les météorologues cubains, qui, pourtant, s’y connaissent en fait de tempêtes tropicales. Lorsque l’ouragan touche terre à Galveston, c’est la surprise, puis la terreur.

Erik Larson s’est basé sur de nombreuses sources historiques pour raconter cette histoire : des rapports, des mémoires, des lettres, des télégrammes, des photos. Il se place donc au ras du sol, les pieds dans l’eau, pour décrire le vent qui arrache les ardoises des toits, l’eau qui monte, les maisons arrachées de leurs fondations, qui s’effondrent alors que les gens, à l’intérieur, tentent de trouver une issue.

Les victimes ont des noms, un passé. Mais pour un grand nombre d’entre elles, il n’y aura pas d’avenir. La tragédie de Galveston demeure la catastrophe naturelle la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis.

Le récit est haletant, angoissant. Qui survivra ? Dans quel état ?

Au-delà du thriller, le récit d’Erik Larson esquisse une histoire de la météorologie et dresse un portrait de la société américaine au tournant du siècle dernier, optimiste au point d’en être arrogante, confiante dans la toute-puissance de la science. Or, la science météorologique était, et demeure, bien imparfaite.

— Marie Tison, La Presse

Cabale

Les manques des hommes

Cabale

Michael Delisle

Boréal

136 pages

6,5/10

Au retour d’un père qui a été trop souvent et trop longtemps absent, Paul se méfie. Son frère Louis ouvre les bras. Ce décalage entre les deux frères est le creuset dans lequel Michael Delisle façonne son roman, qui tient essentiellement aux relations ponctuées de distance, de connivence presque silencieuse, de sentiments incompris et d’émotions le plus souvent retenues. Paul, comme son père, est seul, arrivant à peine à tisser des liens avec ses élèves (il est prof au cégep) et souffrant du rejet d’un autre enseignant qu’il a momentanément pris comme un substitut de figure fraternelle ou même paternelle.

Cabale, court roman d’une centaine de pages, raconte sans trop dire tout ce qui manque à ces hommes et interroge par le fait même ce que c’est que d’être un père, un ami, un frère. Ce que c’est que d’être un professeur, aussi, puisque Paul enseigne la littérature au collégial, où il cherche à « allumer des lampions », à « répandre la lumière » dans l’esprit de jeunes dont certains lui semblent des « crétins certifiés à qui on a fait miroiter une carrière de pilote de ligne ».

Ce que Michael Delisle donne à voir n’a rien de réjouissant, qu’il peigne le portrait d’un père bonimenteur ou de la solitude d’un collègue dont « l’érudition n’a pas plus de valeur aujourd’hui qu’un cabinet de curiosités qui sent le moisi ». Il pose dans Cabale un regard désenchanté, voire désespéré sur le monde. Il le fait toutefois avec une certaine tendresse et un humour parfois féroce, qui donnent du caractère à un récit pourtant ancré dans des choses banales, mené à coups de courts chapitres ciselés.

— Alexandre Vigneault, La Presse

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