SCIENCE

Le Québec peut-il atteindre l’indépendance pharmaceutique ?

À l’heure où des pénuries de médicaments menacent le Québec, un chimiste propose de miser sur une nouvelle technique de production afin d’assurer l’approvisionnement de la province en molécules essentielles. La Presse s’est entretenue avec André Charette, chercheur en chimie organique et pharmaceutique et directeur du département de chimie de l’Université de Montréal.

L’idée de produire des médicaments dans la province est surtout associée à la formation politique Québec solidaire. Vous croyez que le Québec peut atteindre l’indépendance pharmaceutique ?

Indépendance est un bien grand mot, mais je pense qu’on devrait avoir les capacités de produire des médicaments qui sont essentiels en cas de crise. On ne peut pas se mettre à synthétiser des milliers de médicaments, mais il serait important d’en cibler certains. Ça fait plusieurs années qu’on dit qu’il y a de potentielles pénuries de certains médicaments. On le voit très bien ces jours-ci avec le propofol, c’est la panique [le propofol est un anesthésique notamment utilisé chez les patients gravement atteints par la COVID-19 et dont l’approvisionnement mondial est devenu très difficile].

Pourtant, le propofol n’est pas une molécule très compliquée à fabriquer – d’autant plus que depuis quelques années, une technique est apparue dans l’industrie pharmaceutique, qui s’appelle la synthèse en flux continu.

En quoi consiste exactement cette technique ?

Traditionnellement, les ingrédients actifs qui entrent dans la fabrication des médicaments sont synthétisés en lots, dans un réacteur qui peut avoir 50, 100 ou 500 litres. C’est comme le druide dans Astérix – on met tout dans une marmite et les réactions chimiques se produisent.

Avec le flux continu, on mélange plutôt les réactifs par pompage. La solution passe dans un tuyau et on obtient l’ingrédient actif pharmaceutique à la sortie. Bref, plutôt que de produire de grandes quantités de molécules actives d’un seul coup dans d’immenses réacteurs, dont certains ont la grosseur d’un édifice de deux ou trois étages, on en produit dans de petites installations pas plus grosses qu’un réfrigérateur. Si on veut beaucoup de produit, on laisse simplement aller les pompes plus longtemps.

Cette technique pourrait-elle produire des volumes suffisants pour fournir le Québec en cas de crise ?

La première étape est de faire des recherches pour avoir une voie de synthèse compatible avec le flux continu – trouver la recette, si on veut. L’avantage est que tous les médicaments qui causent des inquiétudes ces jours-ci sont des génériques. Ils sont connus et on part avec un bagage. On peut très rapidement convertir une synthèse par réacteur en une synthèse qui peut se faire par voie continue. Dès que le confinement sera terminé, je vais mettre deux chercheurs pour trouver une voie de synthèse compatible avec le flux continu pour le propofol – et je ne me m’attends pas à ce que ça prenne plus de deux ou trois semaines. Une fois qu’on a la recette, oui, on peut répondre à une demande soudaine parce que c’est un interrupteur qu’on allume ou qu’on éteint. On n’a qu’à acheter les produits de départ et à les mettre dans le réacteur à flux continu.

L’un des problèmes de l’industrie pharmaceutique est que les ingrédients actifs qui entrent dans la composition des médicaments proviennent souvent de la Chine. Lorsque la Chine a un problème de production ou décide de garder les ingrédients pour elle, on se retrouve incapables de fabriquer des médicaments. Est-ce que votre technique permet de contourner ce problème ?

Oui. Pour faire une analogie, moi, je pars des « 2x4 » pour fabriquer la maison. Les entreprises de génériques, pour la plupart, achètent des panneaux préfabriqués. Et des 2x4, il n’en manque pas. Ce sont des matières qui sont faciles à trouver en grande quantité.

Dans votre vision, qui fabriquerait ces médicaments ? L’État ou l’entreprise privée ?

Ça prend quand même plusieurs acteurs. Dans les universités, nous sommes des spécialistes pour optimiser des voies de synthèse. La mise à l’échelle, ce n’est pas notre tasse de thé, mais c’est relativement facile à faire. En ce moment, au Québec, on n’a pas l’infrastructure nécessaire, mais ce n’est pas une infrastructure très coûteuse par rapport aux gros réacteurs classiques. La première chose à déterminer est sans doute le nombre de produits qu’on veut fabriquer ici. Puis on verra quels acteurs veulent s’impliquer là-dedans. Il y aussi des aspects réglementaires importants. Quand on va injecter du propofol à quelqu’un, il va falloir s’assurer qu’il soit parfait.

Il reste donc bien du travail à faire avant que le Québec ne produise ses propres médicaments.

Oui. Mais le message que je veux passer, c’est qu’au Québec, on a toute l’expertise nécessaire pour faire ça. Depuis 2012 ou 2013, on a formé facilement une cinquantaine de chercheurs et d’étudiants aux cycles supérieurs en flux continu. Je pense qu’il faut réfléchir à l’idée de se donner une capacité de réponse en temps de crise.

Note : certains propos ont été légèrement édités pour en faciliter la lecture.

COVID-19

En bref

Un test de salive dépisterait le virus

Deux chercheurs de l’Université Yale ont détecté la présence du virus SARS-CoV-2 dans la salive de sujets non seulement asymptomatiques, mais aussi chez qui le test de dépistage habituel n’avait pas décelé la maladie, rapporte le journal scientifique Nature. Le test de dépistage normalement utilisé implique le recours à un long coton-tige frotté à l’arrière du nez et de la gorge du patient. Ces tests sont toutefois parfois offerts en quantité limitée. De plus, ils peuvent provoquer des éternuements ou de la toux chez le patient, ce qui est bien évidemment problématique chez une personne infectée.

— D’après La Presse canadienne

Combattre la tempête inflammatoire 

Le médicament immuno-modulateur tocilizumab a montré son efficacité pour prévenir « l’orage inflammatoire » chez les patients souffrant de COVID-19 dans un état grave, a montré une étude française qui n’a pas encore été publiée, dont les premiers résultats ont été dévoilés lundi. Ce traitement a réduit « significativement » la proportion de patients ayant dû être transférés en réanimation ou morts, par rapport à ceux ayant reçu un traitement standard, a indiqué l’Assistance publique– hôpitaux de Paris. Ces « orages cytokiniques » se traduisent par la libération dans l’organisme de molécules qui favorisent l’inflammation appelées « interleukines ».

— D’après l’Agence France-Presse

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