Ces femmes qui font trembler Pékin

Le cas de Peng Shuai, cette joueuse de tennis chinoise qui a subi de lourdes pressions après avoir accusé de viol un haut placé du Parti communiste chinois, est révélateur de l’attitude de ce gouvernement.

Alors qu’au Québec et dans le monde, le mouvement #metoo continue de faire des vagues, en Chine, l’étau se resserre sur le féminisme. L’affaire de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai – qui a subi de lourdes pressions après avoir accusé de viol un haut placé du Parti communiste chinois (PCC) – met en lumière à la fois le mouvement féministe en Chine et les tactiques autoritaires du gouvernement de ce pays.

Les porte-parole du régime chinois, des diplomates ou encore les responsables de grands médias ont démontré à quel point le système de propagande et de censure chinois est bien ficelé : tout a été mis en œuvre pour démonter l’histoire propagée par la sportive. Sur les réseaux sociaux occidentaux, les messages étaient minutieusement chorégraphiés, leurs instigateurs allant même jusqu’à se servir du Comité international olympique pour le partage de vidéos et de photos. Sur le territoire chinois, là où les citoyens n’ont pas accès à Twitter et à Facebook, une vingtaine de minutes ont suffi aux censeurs pour purger les accusations de la joueuse de plateformes comme Weibo. Selon le New York Times, des centaines de mots plus ou moins liés à ce sujet sensible ont carrément été bannis. Bien que les internautes chinois regorgent de créativité pour déjouer la censure, les tactiques déployées par Pékin étaient particulièrement combatives.

Le cas de Peng Shuai est ainsi révélateur de l’attitude du gouvernement chinois envers toute mobilisation qui, selon lui, remettrait sa légitimité en question et, par conséquent, la stabilité du pays. C’est pourquoi, depuis des années, les mouvements féministes font les frais de cette politique rigide.

Pourtant, malgré les risques de s’opposer publiquement au PCC et de clamer haut et fort des revendications, le mouvement féministe agit depuis longtemps, combattant les disparités induites par des retombées économiques très inégalitaires. Alors que Mao semblait prôner l’égalité des genres, Xi Jinping met l’accent sur les valeurs patriarcales. Le monde du travail reste discriminatoire envers les femmes, les violences conjugales sont courantes et le harcèlement sexuel est répandu, entre autres sur les campus universitaires et les lieux de travail. Au palmarès des inégalités liées au genre, la Chine fait piètre figure.

Depuis le début des années 2010, les femmes de la nouvelle génération revendiquent plus de droits et d’égalité, à la fois en ligne et hors ligne. Mais l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013 a rendu cette tâche compliquée. Tolérant mal ces demandes, le gouvernement a frappé un grand coup le 6 mars 2015, arrêtant plusieurs jeunes militantes féministes qui planifiaient des actions dénonçant les abus sexuels : 5 d’entre elles ont été détenues pendant 37 jours pour « provocations et troubles à l’ordre public », un crime fréquemment invoqué pour réduire au silence la dissidence en Chine. Loin de freiner son élan, cet évènement a été un réel tremplin pour le mouvement féministe : certaines de ces jeunes femmes sont encore mobilisées aujourd’hui.

En 2017, le mouvement #metoo aux États-Unis insuffle du courage à de nombreuses Chinoises, qui dénoncent alors, comme leurs consœurs américaines, le harcèlement sexuel et les inégalités dont elles sont victimes. On a cependant affaire en Chine à un mouvement plus populaire, à une convergence de divers mouvements féministes. Ce militantisme est bien entendu vu d’un mauvais œil par Pékin, qui s’oppose à tout mouvement social défiant les discours et la position hégémonique du Parti.

Que cela concerne Hong Kong, les Ouïghours ou le virus de la COVID-19, le PCC veut museler toute voix divergente, particulièrement sur les réseaux sociaux où les nouvelles se répandent comme une traînée de poudre.

Pour ce faire, les censeurs chinois ont banni des mots-clics tels que #metoo depuis longtemps, et de nombreux comptes de jeunes femmes influentes sur les réseaux ont été effacés par Weibo, Douban ainsi que sur d’autres plateformes.

Mais d’autres techniques de contrôle et d’oppression émergent. L’une d’elles consiste à collaborer avec des internautes nationalistes et misogynes, trop heureux de s’en prendre à de jeunes femmes revendicatrices. Au moyen du « doxxing » et du « trollage »1 sur Weibo, Kuaishou ou Douyin (TikTok), ils s’attaquent à la réputation de celles qui osent parler, les traînant dans la boue. Ce cyberharcèlement a pour but de forcer les militantes féministes à l’autocensure. De plus, comme sur Twitter et Facebook, les messages haineux et la misogynie sont rarement mis au ban, car, générant facilement des clics, ils sont lucratifs.

Cette coordination croissante entre les censeurs chinois, certains internautes et les plateformes profite donc à tous… à part aux femmes et à la liberté d’expression en général.

Le but ultime de ce cyberharcèlement, exercé au nom de la loi et l’ordre, ainsi que du patriarcat, est d’isoler les membres du mouvement féministe et de s’attaquer à la nature même des réseaux sociaux : la formation de communautés de soutien. Or, il est crucial pour les victimes d’abus sexuels de pouvoir s’exprimer et d’être entendues : c’est l’essence même du mouvement #metoo, qui permet aux victimes de ne plus être seules. Pourront-elles, malgré les stratégies du régime chinois, se faire entendre ?

1. Le « doxxing » consiste à recueillir des informations personnelles sur une personne pour les publier ensuite sur l’internet, dans un but malveillant. Le « trolling » vise à créer intentionnellement des polémiques.

* L'auteure est aussi coordonnatrice de projets au Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies de l’Université Concordia

Plus près qu’on pense

L’affaire Peng Shuai et l’autoritarisme croissant en Chine sous la présidence de Xi Jinping concernent directement les Québécois et Québécoises. En effet, la censure et la propagande déployées par Pékin et ses acolytes sur les réseaux sociaux chinois et occidentaux sont emblématiques d’un régime qui souhaite de plus en plus étendre son influence dans des pays étrangers. D’un point de vue humain, il est également essentiel d’ouvrir l’œil sur ces pratiques et de se soucier du sort des militantes chinoises, dont l’objectif est simplement d’obtenir un peu plus d’égalité et de mettre fin aux abus sexuels et aux violences envers les femmes dans leur pays.

Pour aller plus loin

• Le livre de Joanna Chiu China Unbound, A New World Disorder

• Camille Brugier, « La diplomatie des “loups guerrier” ou la nouvelle politique de légitimation du Parti communiste chinois », Note de recherche, n° 115, IRSEM, 12 avril 2021

• Le livre de Te-Ping Chen Land of Big Numbers : Stories, Mariner Books, 2021

• Nü Voices – collectif international d’expertes (autrices, journalistes, traductrices et artistes) sur la Chine

• Feminisms with Chinese Characteristics, édité by Ping Zhu, Hui Faye Xiao, Syracuse University Press

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