Pourquoi frottons-nous encore autant ?

Ce n’est plus un secret pour personne : le virus responsable de la COVID-19 se transmet d’une personne infectée à d’autres par des gouttelettes et des aérosols. Le risque de contracter la maladie par contact avec des surfaces contaminées est extrêmement faible. Pourquoi alors frottons-nous encore autant, 15 mois après l’apparition de la pandémie ? Ne serait-il pas temps de troquer le désinfectant pour du bon vieux savon et de l’eau ?

Où en est la science ?

En jargon médical, on appelle fomite un objet inanimé contaminé par un agent pathogène, dans notre cas le virus associé à la COVID-19, et qui peut ainsi transférer la maladie à d’autres personnes.

Un article paru dans la revue médicale The Lancet en juillet 2020, signé par Emanuel Goldman, disait : « À mon avis, le risque de transmission à travers des surfaces inanimées est très faible, et uniquement dans les cas où une personne infectée tousse ou éternue sur la surface, et qu’une personne touche cette surface peu de temps après (dans les 1 à 2 heures). »

Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la transmission de la COVID-19 par fomite n’a pas été observée, 15 mois après le déclenchement de la pandémie. « À ce jour, peu d’études épidémiologiques soutiennent que les fomites constitueraient un mode de transmission de la COVID‑19 », indique-t-on.

Devrions-nous continuer à désinfecter les surfaces ?

Même si le risque d’attraper le virus en touchant des surfaces contaminées est extrêmement faible, les experts hésitent à recommander clairement d’abandonner cette mesure sanitaire, peut-être en appliquant le principe de précaution, ou par crainte d’introduire de la confusion dans les messages.

« Je pense qu’il faut rééquilibrer les mesures parce qu’effectivement, à la longue, on s’est aperçu que la transmission par des objets infectés n’a pas été documentée », nuance la Dre Marie-France Raynault, cheffe du service de médecine préventive et sociale du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). « C’est plausible, mais pas prouvé. »

Elle ajoute que la désinfection des surfaces « est appelée à être réservée seulement à des circonstances particulières ». Et par circonstances particulières, elle entend des endroits où des gens infectés ont circulé.

Richard Marchand, microbiologiste et infectiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, croit qu’on devrait tenir compte des risques et du rapport coût-avantage.

« Prenez le linge, lance-t-il. On sait qu’il n’y a pas de transmission par le linge. Alors, pourquoi forcer tout le personnel à changer, dans certains établissements, le linge deux, trois fois durant la journée ? »

Même chose pour la visière en plastique qui diminue de 0,01 % les risques de transmission, selon les modèles mathématiques. « On doit faire une analyse coût-avantage. Quand les ressources sont limitées, il faut mettre l’argent où ça compte », dit-il.

Le ton est différent quand on parle à un spécialiste qui n’est pas issu du monde de la santé. Éric Déziel, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), précise d’emblée qu’il n’est ni médecin ni employé de la Santé publique. « L’analyse de la littérature scientifique est sans équivoque, affirme-t-il. Le risque des fomites est tellement négligeable que ça ne vaut même pas la peine de s’en inquiéter. »

« Il ne faut pas se le cacher : des millions ont été investis en personnel et en produits pour nettoyer les surfaces. »

Le temps est-il venu de modifier les consignes ?

Y aurait-il donc un porte-à-faux entre les règles imposées par la Santé publique et les besoins réels pour combattre la propagation du virus ? Peut-être, parce que l’INSPQ serait sur le point de publier de nouvelles consignes à ce sujet, selon la Dre Marie-France Raynault.

Pour mémoire, les consignes que l’on peut trouver sur le site de l’INSPQ recommandent toujours de laver les surfaces et les objets, que ce soit à l’école ou en milieu de travail.

Lisez les consignes

« Un nettoyage suivi d’une désinfection est recommandé pour les objets et les surfaces fréquemment touchées (ex. : tables, poignées de portes, interrupteurs, comptoirs, poignées, bureaux, téléphones, accessoires informatiques, claviers d’ordinateurs, toilettes, robinets et éviers, photocopieuses, terminal de paiement), minimalement à chaque quart de travail et, lorsque pertinent, entre chaque utilisateur (ex. : téléphone) », peut-on lire.

C’est cette même philosophie de la crainte d’une contamination par contact avec des objets qui préside à une foule de pratiques. La liste est longue. Elle comprend, par exemple, des commerces qui nettoient les terminaux de paiement après chaque client, le rituel du nettoyage des paniers d’épicerie ou encore les caissiers de la SAQ qui ne touchent plus aux bouteilles au moment du paiement. C’est le client qui doit manipuler les bouteilles et présenter la face contenant le code-barre pour que le caissier puisse le scanner.

Y a-t-il des mesures plus utiles que le lavage des surfaces ?

Si les consignes de désinfection des surfaces risquent de tomber en désuétude, certaines mesures sanitaires, elles, restent toujours pertinentes.

L’une d’elles est le triage des gens infectés. « On frotte les planchers, mais on laisse entrer des gens qui sont symptomatiques, illustre la Dre Raynault. Je pense qu’il faudrait mettre moins d’énergie à frotter les planchers et plus d’énergie à trier les gens et à faire en sorte que les gens symptomatiques ou qui ont été des contacts de cas restent chez eux. Parce qu’on voit que tous ces gens-là circulent. »

Il y a aussi la qualité de l’air. « Ça serait regrettable que de l’énergie, du temps et de l’argent soient mis à nettoyer des surfaces, alors qu’on devrait plutôt améliorer l’aération et la qualité de l’air », dit Éric Déziel, de l’INRS.

Le lavage des mains est-il là pour de bon ?

Oui. Tous les experts consultés s’entendent sur ce point.

Benoît Mâsse, épidémiologiste à l’Université de Montréal, espère que cette pandémie « va en inciter plusieurs à rehausser leur hygiène de base. On va devoir continuer à se laver les mains même si on passe d’une zone rouge à une zone verte. C’est tout simplement l’hygiène de base. Certains sont nettement plus diligents à cet égard, d’autres moins ».

« Au début, rappelle André Veillette, immunologiste et professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, on nettoyait même nos légumes. Moi, j’ai arrêté de faire ça. Je ne nettoie plus mon sac de chips non plus, mais je me lave encore les mains. »

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