UberX

Une structure internationale pour éviter l'impôt

Les revenus d’UberX, un service jugé illégal par le ministère des Transports, échappent-ils en grande partie au fisc ? Des experts en fiscalité internationale consultés par La Presse croient que c’est le cas.

Au Canada, toutes les sociétés qui ont un établissement stable sont soumises à des impôts avoisinant les 30 %. Mais grâce à une structure complexe de filiales internationales basées aux Pays-Bas et aux Bermudes, Uber semble être exemptée des impôts sur les revenus qu’elle tire du service UberX.

« C’est une structure assez typique qui permet, à travers différents véhicules hollandais, de faire circuler du profit sans imposition, et éventuellement de le rapatrier jusqu’à l’actionnaire », indique le consultant en fiscalité internationale Yves Coallier, qui s’est penché sur le dossier à la demande de La Presse.

« Il n’y a rien, à première vue, qui apparaît illégitime ou boiteux dans cette façon de faire. Disons qu’ils font un bon arbitrage de ce que la législation canadienne leur permet. »

— Yves Coallier, consultant en fiscalité internationale

Selon nos vérifications, les transactions effectuées lors de l’utilisation de l’application UberX à Montréal sont facturées par Uber B.V., une filiale néerlandaise d’Uber incorporée à Amsterdam. L’argent est débité par carte de crédit à partir des Pays-Bas.

Les chauffeurs d’UberX sont aussi payés par Uber B.V., par transferts bancaires faits à partir des Pays-Bas.

La filiale néerlandaise d’Uber appartient quant à elle à 100 % à Uber international C.V., une entité enregistrée aux Bermudes, un paradis fiscal qui offre un taux d’imposition nul et qui garantit le secret bancaire.

Pour éviter de payer l’impôt des sociétés au Canada, Uber devrait cependant démontrer que sa filiale néerlandaise n’a pas d’« établissement stable » au Canada, comme le prévoit la convention fiscale entre le Canada et les Pays-Bas.

Or, Uber B.V. n’a aucun bureau connu au Canada. Elle n’est pas non plus inscrite aux registres canadien et québécois des entreprises. À Montréal, les chauffeurs sont rencontrés dans une salle de conférence d’un hôtel du boulevard René-Lévesque. Et la seule façon de contacter les administrateurs de l’entreprise est de passer par le courriel ; aucun numéro de téléphone local n’est connu.

Qui plus est, l’application pour téléphones intelligents d’Uber, qui met en relation les chauffeurs et les clients, utilise des serveurs informatiques qui semblent se trouver aux États-Unis, selon des vérifications réalisées par La Presse avec un renifleur de données (un logiciel qui indique où vont et d’où proviennent les données informatiques échangées par l’application).

Il s’agit là d’une information importante, puisque l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) considère que la localisation physique d’un serveur informatique est cruciale pour déterminer si une entreprise a un établissement stable dans un pays donné.

« Un établissement stable, c’est de beaucoup attaché à l’occupation d’un espace physique. Et là, comme on est sur le web, on tombe dans des logiques interprétatives du commerce électronique. Les conventions sont un petit peu moins claires sur ces questions-là ; on n’est pas dans un cas de figure qui est clair comme de l’eau de roche », constate M. Coallier.

SEUL LE COMPTABLE ET LE FISC LE SAVENT

Il n’y a actuellement aucun moyen de savoir si Uber utilise ou pas cette stratégie fiscale auprès de Revenu Canada ou de Revenu Québec. Seul un mandataire dûment autorisé par l’entreprise peut obtenir cette information.

Chose certaine, « comme ils [Uber B.V.] fonctionnent avec des sous-traitants indépendants, qu’ils n’ont pas d’employés salariés ni de bureaux et pas de place d’affaires, ils pourraient être exemptés d’impôt au Canada », suggère M. Coallier.

« Une entreprise qui n’a pas d’établissement stable au Canada n’a même pas à déposer de déclaration de revenus. » 

— André Lareau, professeur de fiscalité à la Faculté de droit de l’Université Laval

RÉACTION D’UBER

Lorsque nous avons demandé à Uber si sa filiale Uber B.V. possède un établissement stable et paie des impôts d’entreprise au Canada, son porte-parole Xavier Van Chau nous a répondu ceci : « Je comprends votre niveau d’intérêt, mais je n’ai rien à ajouter au-delà de ce que nous avons déjà déclaré : Uber se conforme à toutes les lois fiscales et paie ses impôts en conséquence, dans toutes les juridictions où elle est en affaires, incluant le Canada. »

Pour Allison Christians, professeure de droit fiscal à l’Université McGill, cette réponse d’Uber « est la réponse standard de l’industrie à toutes les demandes médiatiques concernant l’évitement fiscal ».

« Les administrateurs ne révèlent pas ce que leurs entreprises paient, sauf lorsque la loi les force à le faire. Et dans l’état actuel des choses, les lois en vigueur ne requièrent pas suffisamment de transparence », soutient-elle.

L’Agence du revenu du Canada affirme ne pas pouvoir commenter le cas spécifique d’Uber. « Toute compagnie qui vend un produit doit déclarer ses revenus pour verser la TPS et la TVH [la taxe provinciale] », indique le porte-parole Philippe Brideau. Vérification faite, Uber B.V. récolte bien la TPS et la TVQ au nom des chauffeurs, mais il demeure impossible de savoir si elle paie des impôts sur les sociétés sur les revenus qu’elle déclare.

BOMBARDIER, APPLE ET GOOGLE FONT PAREIL

Les structures internationales semblables à celle qu’utilise Uber ne sont pas rares. Bombardier, Apple et Google, pour ne nommer que celles-là, utilisent des structures fiscales internationales comparables pour réduire leurs impôts d’entreprise au Canada et aux États-Unis.

Mme Christians se montre très critique à l’égard de ce type de structure fiscale. « Nous avons des règles terribles qui ont été faites en 1923 et quand vous faites des affaires en 2015, c’est précisément le genre de distorsion qu’elles produisent », déplore-t-elle.

« C’est le problème avec la nouvelle économie : les entreprises peuvent opérer de partout et de nulle part à la fois, et les lois ne sont pas adaptées. Soit les législateurs ne sont pas capables d’adapter les règles, soit ils ne savent tout simplement pas qu’elles ne fonctionnent pas, soit ils s’en fichent carrément », ajoute Mme Christians.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.