Montréal, cité interdite

Avez-vous vu la proposition de Balarama Holness qui veut imposer un « droit de congestion » aux non-résidants de la métropole ? Le chef qui prône une sorte d’autonomisme décomplexé de Montréal veut exiger une redevance de 5 $ à tous les véhicules appartenant à des non-résidants de sa ville qui entrent dans la métropole. Ce qui veut dire qu’un travailleur résidant en Montérégie qui se rend à Montréal cinq fois par semaine devrait débourser jusqu’à 1200 $ par année. Cette taxe permettrait de ramasser un pactole de 500 millions annuellement.

Oui, quand il baptisait son parti Bloc Montréal, on ne se doutait pas que c’était dans le but ultime de bloquer la ville. Comme si cela ne suffisait pas, il exigerait aussi un cinquième de la taxe de vente du Québec (TVQ), qu’il estime provenir de l’activité commerciale de la métropole. Une façon d’engranger 2 milliards supplémentaires pour le seul bonheur des Montréalais.

Comme quoi, Holness ne veut pas juste faire de Montréal une ville bilingue, mais aussi une sorte de territoire semi-autonome.

Sérieusement, est-ce qu’on peut empêcher les Québécois non résidants de Montréal d’entrer dans la ville quand ce qui fait Montréal, y compris le tunnel et les ponts qui y mènent, ont été aussi payé avec leurs taxes ? Imaginez si les régions du Québec décidaient de faire la même chose et d’imposer une redevance aux Montréalais qui débarquent, entre autres, à Québec, au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie ou aux Îles-de-la-Madeleine pendant l’été. Faut-il rappeler à ce monsieur que Montréal est une île avec une agriculture qui ne produit qu’un peu de légumes, des fleurs et du miel urbain ? L’électricité, les pommes de terre, le lait, le porc, le poulet, le bœuf, le poisson, le crabe, les crevettes, le homard, le blé, le maïs et tous les autres aliments d’origine québécoise consommés à Montréal viennent de l’extérieur de la métropole, qui a bien plus besoin du reste du Québec que ne le pense Balarama Holness !

Cela dit, c’est sur le fond de cette proposition insensée que je veux surtout m’attarder. Le fond, c’est le fossé entre les grandes métropoles et les régions qui s’agrandit dans toutes les démocraties libérales occidentales. Beaucoup de ces « citoyens du monde » des villes multiculturelles regardent les régions et la ruralité avec une certaine condescendance.

On voit ces endroits lointains comme des refuges de gens qui manquent d’ouverture ou craignent la différence. Cette vision citadine qui se réclame d’une ouverture, souvent de façade, carbure au préjugé en catégorisant ces endroits sans jamais y avoir mis le pied.

Il y a quelques années, un journaliste de la métropole qui voulait savoir si j’avais éprouvé des problèmes d’intégration en région a eu la surprise d’apprendre que c’est à Montréal que j’ai eu le plus de difficulté à trouver un appartement à cause de mon accent. J’ai tout de suite vu que ce n’était pas la réponse qu’il voulait entendre. Pourtant, c’est la réalité. Du moins, c’est ma réalité. Partout où il y avait un appartement, au son de ma voix au téléphone, la place n’était plus disponible. Chose que j’ai moins sentie en 17 années de présence dans l’Est-du-Québec.

Voilà ce que j’entends par ouverture de façade. Oui, il y a des problèmes d’intégration et de discrimination en région aussi. Ce que j’essaye de dire, c’est que, contrairement à un certain discours urbain, on n’y est pas plus raciste ou fermé à l’autre qu’à Montréal.

Il y a quelques années Stephen Harper, dont je ne m’ennuie pas vraiment, a mis en garde le Canada contre ce grand problème qui guette les démocraties libérales.

Cette fracture de plus en plus large qui sépare les grandes villes multiculturalistes et dites ouvertes sur le monde et la réalité des régions ressources est très préoccupante.

Au Québec, depuis quelques années, ce désir de statut particulier pour Montréal se fait sentir dans les milieux politiques. Denis Coderre avait flirté avec cette idée. Souvenons-nous aussi des levées de boucliers de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) sur la place du drapeau du Québec au début du règne de Valérie Plante. L’absence du fanion national devant une bonne partie des établissements relevant de la mairie de Montréal était alors décriée sans réponse. En 2018, la Ville de Montréal a même été sommée par le ministère québécois de la Justice de redonner au drapeau la place qui lui revient, comme l’exige une vieille loi provinciale datant de 1950. Pourquoi la mairie de Montréal hésitait-elle à célébrer le drapeau du Québec ? Pour une raison pas très loin du projet « autonomiste » de Balarama Holness. Il y a une partie de la population montréalaise qui ne se reconnaît pas vraiment dans ces couleurs, surtout lorsqu’on commence à parler de nations, d’identité, de langue et d’exception culturelle.

Aussi, depuis l’élection de François Legault, la frontière est de plus en plus claire entre Montréal et le reste du Québec. C’est pour cette raison que malgré sa grande majorité parlementaire, la CAQ y est aussi absente que le PLQ a été pratiquement rayé de la carte à l’extérieur des régions de Montréal et de l’Outaouais.

Je crois qu’il est temps que le gouvernement s’implique plus activement dans les affaires de Montréal. Il faut le faire pour endiguer cette partition silencieuse dont les libéraux ont toujours fait un fonds de commerce.

Du moins jusqu’à ce que Dominique Anglade commence son virage nationaliste qui a mené son parti à ce double rejet par le vote francophone, mais aussi par une grande partie du vote anglophone et allophone.

Il faut être naïf pour ne pas réaliser que Montréal est devenu une enclave de plus en plus distante du reste du Québec. Pour cette raison, la possibilité qu’a François Legault de garder le pouvoir en tournant le dos au vote de la métropole demeure un cadeau hautement empoisonné. Elle nourrit un sentiment d’exclusion et alimente cet embryon « autonomiste » qui aura un jour, les moyens de ses ambitions. Je parle du jour où il faudra accepter les conditions de la communauté métropolitaine de Montréal avant de pouvoir devenir premier ministre au Québec. Un peu comme c’est déjà le cas pour devenir maire ou mairesse de Montréal. Aujourd’hui, si vous vous présentez comme candidat à la mairie de Montréal en mentionnant dans votre programme la nécessité de défendre la langue française, de militer pour un renforcement la loi 101 ou que vous osez critiquer les dérives de l’idéologie multiculturaliste canadienne, vos chances de devenir maire sont nulles.

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