« Un gros manque de respect »
Hugo Houle ne mâche pas ses mots pour dénoncer la décision de Cyclisme Canada
Hugo Houle était déjà remonté après les Championnats du monde d’Imola, à la fin de septembre. Il jugeait que Cyclisme Canada avait lamentablement failli à sa tâche en fournissant des vêtements inadéquats aux athlètes.
« On avait l’air de clowns », avait-il raillé, soulignant que des coureurs avaient dû payer de leur poche une combinaison sur mesure, cousue en catastrophe chez un indépendant à 300 euros pièce.
Avant le départ de la course sur route, Houle n’avait pas reçu la sienne, expédiée de toute urgence du Mexique par le fabricant Louis Garneau, un ami qui l’habille depuis des années et connaît ses mensurations « au millimètre ». Il s’était donc contenté du maillot envoyé par la fédération.
« Même mon père ne met pas ça pour aller faire un gran fondo le dimanche après-midi, avait-il ironisé quelques jours après l’épreuve. J’avais l’air d’un Pinocchio avec ça. Les manches n’arrêtaient pas de remonter. Je pognais dans le vent au boutte. »
« Tellement fâché » par ce « manque de professionnalisme », le seul Canadien au dernier Tour de France s’était fendu d’une lettre au directeur général de la fédération, Matthew Jeffries, avec copie conforme au président du conseil d’administration, Pierre Laflamme. À son initiative, il s’était ensuite entretenu avec les deux hommes, sans recevoir d’explications à sa satisfaction. « C’était du pipeau », a-t-il résumé.
Un mois et demi plus tard, Houle ne décolère pas. La goutte qui a fait déborder le vase est un communiqué publié par la fédération mercredi. Cyclisme Canada a annoncé le nom des 47 athlètes choisis pour les programmes NextGen l’an prochain, en vue du prochain cycle vers les Jeux olympiques de 2024 à Paris. Aucun cycliste sur route n’en fait partie.
« Il y a une sélection pour le BMX, pour le vélo de montagne, pour le paracyclisme, pour la piste sprint, pour l’endurance masculine piste et l’endurance féminine piste. Je ne vois pas de cyclisme sur route là-dedans. »
— Hugo Houle
« C’est quand même assez bizarre qu’une fédération nationale ne mette aucun programme de développement pour le cyclisme sur route, qui est probablement le sport pour lequel il y a le plus de licenciés, a déploré Houle depuis sa résidence de Monaco, mercredi. Pour moi, c’est un gros de manque de respect. »
Les candidatures de cyclistes sur route ont-elles été considérées ? « Je ne sais pas, je ne suis pas consulté et je ne m’en occupe pas trop parce qu’ils sont tellement incompétents que je ne perds pas mon énergie avec eux, a-t-il asséné. Mais quand ils annoncent [dans] un communiqué officiel qu’aucun athlète n’est choisi pour un programme de route, ils n’ont aucun plan pour la route, pour moi, ça ne fait pas de sens. […] La discipline de route n’existe plus à Cyclisme Canada. »
Le natif de Sainte-Perpétue a néanmoins écrit à MM. Jeffries et Laflamme pour s’enquérir de la situation.
Dans le communiqué, la fédération précise qu’un « nouveau programme d’entraînement pour les athlètes de route sera lancé prochainement ». Quatre cyclistes seront sélectionnés pour la « version pilote » du programme, appelé à s’élargir.
Départ inquiétant
Houle n’y croit pas ou n’y croit plus. Il s’inquiète du départ de Kevin Field, l’homme qui, de l’avis général, tenait à bout de bras le secteur route au sein de l’organisation. Nommé chef de la stratégie de performance lors d’une rationalisation en 2018, il a décidé de ne pas renouveler son contrat qui s’est terminé à la fin du mois dernier.
Field, qui a préféré s’abstenir de commenter, a travaillé deux ans pour monter le nouveau programme sur route. Il a également assuré la logistique des Mondiaux d’Imola à partir du Canada, en raison des contraintes liées à la COVID-19. Le choix des maillots n’était pas de son ressort.
« C’est un gars qui se bat corps et âme pour nous et à la fin, ce qu’il récolte, c’est minime », a souligné Houle, qui le connaît depuis l’époque de l’équipe SpiderTech, disparue après la saison 2012.
« C’est la seule personne que j’ai vue se dévouer pour sauver la route à Cyclisme Canada. Au jour de son départ, c’est sûr que c’est la fin de la route. »
— Hugo Houle, à propos de Kevin Field
Le fiasco des Mondiaux
Aux yeux du cycliste québécois, le désengagement de la fédération s’est également fait sentir aux Mondiaux, où l’essentiel de l’encadrement était assuré par l’équipe professionnelle Israel Start-Up National (ISUN), codétenue par l’homme d’affaires d’origine montréalaise Sylvan Adams. L’ex-champion Steve Bauer, à l’emploi de CCC, s’est chargé de la direction sportive.
Houle relève aussi le travail de gestion « discret » de Paulo Saldanha, directeur de la performance d’ISUN et entraîneur personnel de Michael Woods, 12e de la course sur route en Italie.
« Merci à Paulo Saldanha et Sylvan Adams qui ont mis tout le staff d’Israel [à notre disposition] et à Steve Bauer, qui est venu nous aider. Tout le monde a la passion pour le Canada et ils trouvent que ça fait pitié, que ça n’a pas de sens. Que veux-tu, ils tendent la main, ça fait tellement pitié. »
Sans cette contribution, prétend Houle, le Canada n’aurait pas d’équipe aux Mondiaux depuis « trois, quatre ans ».
« C’est pas mal grâce à eux [Paulo Saldanha et Sylvan Adams] qu’il y a du personnel adéquat et des véhicules. Cette année, on avait le bus et les véhicules d’Israel. On avait un gros soutien de ce côté-là. Comme il n’y a pas de programme, les gars pallient les manques à gagner. »
— Hugo Houle
Cette interprétation des faits est contestée par Cyclisme Canada, qui dit assumer les coûts de l’encadrement et des voyages pour les Mondiaux (voir onglet suivant).
Hugo Houle concluait sa lettre de septembre par ce constat : « […] Cyclisme Canada est mûr pour du changement dans l’organisation. »
Désabusé par les réponses obtenues et par un processus décisionnel qu’il juge opaque, le membre de l’équipe Astana n’attend pas grand-chose après son coup de gueule. L’ancien représentant des athlètes à la fédération sent cependant la nécessité de parler.
« Depuis que je suis arrivé à Cyclisme Canada, ça a toujours été difficile. Ça fait 10 ans que je suis professionnel, personne ne m’appelle. Je n’en ai pas besoin, hein, zéro pis une barre. Mais il reste qu’il y a toujours un sentiment d’incompréhension.
« J’ai quand même un devoir en tant que coureur cycliste professionnel sur route de me battre un peu pour la relève et pour les jeunes au Québec qui nous voient performer. Il y a un gros écart maintenant pour la suite. Je ne sais pas si on peut faire quelque chose pour les faire changer d’idée. »
Houle devait s’entretenir avec le directeur général Matthew Jeffries jeudi.