Opinion

La pandémie, une pause réflexive ?

Depuis déjà plusieurs décennies, j’ai l’habitude – une ou deux fois par année – de faire une pause quelques jours dans un monastère. Loin de la vie trépidante, c’est l’occasion pour moi de décompresser physiquement et mentalement. C’est aussi l’heure des bilans.

Mais voici que cette année, depuis maintenant 10 semaines, la pause se prolonge non plus dans une abbaye mais à la maison. Après une première semaine de négociations avec les membres de la maisonnée sur l’utilisation des espaces physiques et informatiques, me voici installé dans une nouvelle routine, une « liturgie des heures » partagée entre le télétravail, l’exercice, les interactions familiales, le Téléjournal et la nécessaire anxiété qui en découle.

Sans vouloir minimiser les tragédies humaines dont nous sommes témoins chaque jour, l’état de choc provoqué par la pandémie ouvre des espaces liminaux d’incertitude et de doute à l’intérieur de chacun de nous, mais aussi collectivement, et sur la planète tout entière.

Le surgissement brutal de la mort dans nos vies, non plus comme une possibilité lointaine, mais comme une réalité quotidienne, nous ramène à la question fondamentale du sens de la vie. Cet évènement sans précédent nous oblige à discerner l’essentiel du superflu. Est-ce la consommation et l’accumulation de biens ou plutôt la redécouverte des cadeaux précieux de la vie et des plaisirs qu’ils provoquent, des valeurs de partage, et pour certains, de la dimension spirituelle de la vie, qui devraient nous guider pendant ce trop court voyage ?

La pandémie nous force à de nombreuses réflexions et nous oblige à nous questionner sur les multiples facettes de la santé ; elle nous permet de mieux saisir les liens entre santé physique, mentale et sociale. L’urgence sanitaire met en lumière l’équilibre fragile entre les diverses composantes d’un système de santé, et la continuité nécessaire entre les interventions préventives, le dépistage, la cure, la réadaptation, les soins pour personnes en perte d’autonomie, et les services de palliation. De plus, nous prenons conscience des besoins différents des personnes appartenant à différents groupes d’âge ainsi que ceux reliés à la grande diversité ethnoculturelle de notre société. En effet, la situation particulière des personnes âgées a migré en quelques semaines de concept lointain et flou, à une crise majeure et déchirante qui nous interpelle non seulement en regard des ressources que nous y avons consenties, mais aussi – et surtout – par la réalisation des choix individuels et collectifs qui ont défini peu à peu la place des aînés dans notre société.

Aussi, pour avoir moi-même vécu la perte de mes parents dans les dernières années, je comprends la détresse de ceux qui vivent un deuil pendant cette pandémie, exacerbé par la difficulté, sinon l’impossibilité, d’accompagner leurs proches et d’échanger avec eux leurs derniers adieux.

Par ailleurs, cette tempête fait ressortir de façon éclatante les interactions fines et les équilibres fragiles qui existent entre la santé, l’éducation, le travail, l’environnement, l’économie, la science et la politique.

Cette pause forcée n’est-elle pas l’occasion unique de repenser le fonctionnement de notre société et de réexaminer notre système de valeurs collectif ?

Comme le suggère Mark Carney, successivement gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, dans un article récent paru dans The Economist, le moment est propice pour revoir la hiérarchie des valeurs guidant notre « vivre-ensemble », « putting values above valuations » (The Economist, 18 avril 2020, p. 52).

Soudainement, le paradoxe entre une nécessaire autosuffisance des pays et leur interdépendance reçoit un nouvel éclairage. En effet, alors que le manque d’équipements permettant de faire face à la pandémie souligne l’importance de développer une autonomie nationale, l’interdépendance entre les régions du monde et les pays est également réaffirmée. La question de la gouvernance mondiale refait surface puisque seules des solutions harmonisées permettraient d’affronter des défis aussi complexes qu’une pandémie ou l’urgence climatique à laquelle nous sommes déjà confrontés. Le film magnifique de Denis Villeneuve, Arrival, fait figure de métaphore, sinon de prémonition, indiquant que des solutions coordonnées et planétaires ne semblent pas pouvoir être imaginées à moins que des menaces extérieures nous y obligent.

Les perspectives individuelle, sociétale et planétaire sont éminemment interdépendantes et doivent être examinées ensemble dans la recherche de solutions à long terme. Mais comme l’ont affirmé à travers l’histoire de l’humanité plusieurs maîtres à penser, dont Socrate, Jésus et Bouddha, tout changement significatif commence avec l’individu. Le choc aura-t-il été suffisant pour provoquer une augmentation de notre niveau de conscience et nous acheminer vers des solutions susceptibles d’assurer notre survie et celle de la planète bleue ?

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