La mortalité bondit au Québec, mais moins qu’ailleurs

L’essentiel de la surmortalité dans la province, loin d’être étrangère à la pandémie, est survenu chez les 70 ans et plus, révèle une analyse de l’Institut de la statistique du Québec

Avec 6750 décès supplémentaires par rapport à l’an dernier, soit un bond de 10 %, le Québec affiche une nette surmortalité en partie liée à la pandémie en 2020, montrent de nouvelles données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) publiées jeudi. Si la situation demeure préoccupante, elle l’est toutefois beaucoup moins qu’ailleurs.

« C’est un peu comme si on se trouvait entre le meilleur et le pire scénario, donc entre l’Allemagne et l’Italie en quelque sorte », illustre Benoit Barbeau, virologue et professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM, en entrevue avec La Presse.

Depuis 2010, la hausse annuelle moyenne du nombre de décès oscille autour de 2 %. Or, en 2020, le nombre de décès a été jusqu’à 7 ou 8 % supérieur à ce qui est normalement attendu. À Montréal et à Laval, mais aussi dans les Laurentides, en Montérégie et dans Lanaudière, le pic des décès est clairement observable entre les mois de mars et de juin, au plus fort de la première vague.

L’essentiel de la surmortalité québécoise est survenu chez les 70 ans et plus, avec quelque 3500 décès de plus. On enregistre par ailleurs 883 décès de plus chez les 50 à 60 ans, ce qui représente une hausse de 6,6 %. Chez les 50 ans et moins, la hausse est de 5,6 %, soit 167 décès de plus que la moyenne des cinq années précédentes. Si la première vague s’est principalement fait sentir à Montréal et à Laval, ainsi qu’en banlieue, la deuxième vague a fait davantage de ravages en région.

D’après l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 2647 personnes ont succombé au virus, en avril dernier ; plus de 90 % avaient 70 ans et plus. En mai, ce chiffre a atteint 2445 décès, avant de connaître une baisse au tournant du mois de juin.

« S’il est attendu que le nombre de décès augmente d’une année à l’autre en raison de la croissance de la population et surtout du vieillissement démographique, une hausse de cette ampleur constitue une exception », a reconnu l’ISQ au sujet de cette surmortalité, soutenant que la hausse était directement liée à la pandémie.

Le Québec en comparaison du monde

Il importe toutefois de comparer cette situation sur la scène internationale. Dans plusieurs pays européens, où la première vague a frappé très fort, ces chiffres sont en effet encore plus préoccupants.

C’est le cas du Royaume-Uni, qui présente un taux de 12,8 % à ce chapitre, ou encore de l’Italie (13,7 %) et de la Belgique (15 %). D’ailleurs, au sommet de la première vague, le Royaume-Uni a observé une explosion de sa surmortalité nettement supérieure au nombre de décès attribués à la COVID-19. Durant la semaine du 11 au 17 avril, par exemple, le pays a enregistré 24 700 décès, soit 13 800 de plus que la moyenne des dernières années. Pourtant, le gouvernement n’a rapporté que 6100 décès durant cette même semaine, soit moins de la moitié de la surmortalité réelle.

À la mi-avril, le Royaume-Uni a ainsi affiché une surmortalité de 127 %. En comparaison, le Québec a affiché une surmortalité de 54 % au plus fort de la première vague, à la fin d’avril.

« Dans certains endroits, la sous-estimation des décès [attribuables à la COVID-19] peut s’expliquer par le fait que des décès sont survenus dans les maisons de retraite, où les usagers n’ont pas nécessairement subi un test. Quand un système est surchargé, moins de gens ont aussi accès à du dépistage de façon générale », explique Simona Bignami, démographe et chercheuse au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Mme Bignami souligne que plusieurs enquêtes sont d’ailleurs en cours en Espagne, en Italie et en Belgique à ce sujet. Pendant ce temps, la situation de surmortalité d’autres États se compare toutefois davantage à celle du Québec. En France, notamment, le nombre de décès a été 8,2 % supérieur à ce qui était attendu, alors qu’en Suède, ce chiffre atteint 9 %, ce qui se rapproche davantage de la situation québécoise.

Grande championne à ce chapitre, l’Allemagne présente une surmortalité d’à peine 0,9 % en 2020, notamment parce que l’infection a été contenue dès le départ dans les milieux de soins. Depuis l’automne dernier, la situation est toutefois plus difficile ; en décembre, on y recensait une surmortalité de 20 %.

« Le Québec a été très touché, mais a quand même agi plus rapidement que d’autres. À l’inverse, ne pas limiter l’accès ou les transferts en CHSLD, ça a coûté cher. D’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, ont été beaucoup plus proactives en ce sens. »

— Benoit Barbeau, virologue et professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM

Des données encore « imprécises »

Il reste toutefois que les données plus récentes, dont celles de la deuxième vague, sont encore pour la plupart « imprécises », prévient de son côté Simona Bignami. « Le vrai problème, c’est que l’issue clinique de plusieurs individus [déclarés] positifs n’est pas encore connue. Le portrait de la mortalité [attribuable à la COVID-19], à partir du mois de septembre, reste donc largement incomplet pour le moment », dit-elle.

« Dans les CHSLD, par exemple, les systèmes de suivi ne sont pas conçus pour suivre des personnes, mais bien pour suivre l’occupation de lits. Ça peut prendre jusqu’à deux ou trois mois pour savoir ce qui est arrivé avec certains patients. On est face à un système administratif qui n’est pas fait pour suivre les décès dans le temps », ajoute Mme Bignami.

Au Québec comme ailleurs, ce sont surtout les hommes qui succombent à la COVID-19, et ce, à tous les âges, car ils courent en moyenne plus de risques d’avoir une maladie chronique, ce qui réduit leur espérance de vie.

Les femmes, en revanche, sont plus nombreuses à être déclarées positives, notamment parce qu’elles sont plus nombreuses à travailler dans des milieux vulnérables, dont l’éducation et la santé.

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