COVID-19

« Soyez prêts à réembaucher des gens »

Le ministre des Finances annonce l'injection de 71 milliards dans un programme d’aide d’urgence aux entreprises

OTTAWA — Décrite comme « la plus grande mesure économique de l’histoire du Canada », la nouvelle subvention salariale de 75 % que compte verser le gouvernement Trudeau aux entreprises durant trois mois pour éviter des mises à pied massives au pays coûtera une somme colossale au fisc canadien : 71 milliards de dollars.

Et si la crise de la COVID-19 devait perdurer, le ministre des Finances, Bill Morneau, n’écarte pas l’idée de prolonger ce programme d’aide d’urgence aux entreprises, petites et moyennes, au-delà des trois mois prévus, soit entre le 15 mars et le 15 juin.

L’injection d’une telle somme est indispensable pour éviter l’effondrement de l’économie canadienne, a plaidé le grand argentier du pays mercredi en présentant les détails de ce plan à Toronto en compagnie de la ministre de la Petite Entreprise et du Commerce international, Mary Ng, et du ministre de l’Innovation, Navdeep Bains.

« Il s’agit d’un regain de confiance dont nous avons tous besoin en ce moment. [...] Mon message pour les entreprises canadiennes est le suivant : soyez prêtes à réembaucher des gens. » 

— Bill Morneau, ministre des Finances

Il a précisé que les fonds seront versés dans un délai de six semaines.

Si les principaux intéressés saluent l’initiative d’Ottawa, ils jugent que le délai est trop long. « Nous savons qu’il y a plusieurs petites entreprises qui n’ont pas suffisamment de fonds pour attendre six autres semaines », a noté Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada.

Une crainte qu’a reprise à son compte la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). « Nous comprenons que la situation est exceptionnelle et que la mise en place d’un tel système peut représenter un défi, mais les entreprises ont besoin de liquidités dans un délai plus rapide que six semaines si elles veulent pouvoir maintenir le lien d’emploi avec leurs travailleurs qualifiés », a déclaré Charles Milliard, président-directeur général de la FCCQ.

Pour avoir droit à la subvention salariale, les entreprises devront démontrer qu’elles ont encaissé une perte d’au moins 30 % de leurs revenus bruts à cause de la pandémie. Elles pourront le faire en soumettant leur bilan financier de mars 2019 et celui de mars 2020.

Ottawa versera une subvention salariale pouvant atteindre 847 $ par semaine basée sur un salaire annuel maximal de 58 700 $, que les entreprises comptent 10 employés ou 1000 employés. L’aide sera rétroactive au 15 mars et sera aussi offerte aux organismes à but non lucratif et aux organismes de bienfaisance. Les restaurants et les bars pourront aussi profiter de ce programme, a précisé Bill Morneau.

Les entreprises devront remplir une demande par l’entremise d’un portail qui sera disponible sur le site de l’Agence du revenu du Canada (ARC) d’ici trois à six semaines. Les entreprises, qui seront invitées à verser l’autre 25 % du salaire de l’employé dans la mesure du possible, devront remplir une nouvelle demande chaque mois pour la durée du programme.

Pour éviter que les entreprises récemment lancées ne soient pénalisées, Ottawa fera preuve de flexibilité, a promis M. Morneau. Par exemple, celles-ci pourraient soumettre leur bilan financier de mars 2020 et du mois précédent pour démontrer qu’elles ont encaissé des pertes dépassant les 30 %.

Le ministre des Finances a répété que ce programme fait appel à la bonne foi des propriétaires des entreprises. Si certains tentent d’empocher de l’argent de manière frauduleuse alors qu’ils n’y ont pas droit, il y aura des conséquences sévères, a prévenu M. Morneau. Ces conséquences pourraient être une amende salée ou une condamnation à une peine de prison, a précisé plus tard un haut fonctionnaire, ajoutant que l’on planche encore sur les peines envisagées.

RAPPEL PRÉVU DU PARLEMENT

Le gouvernement Trudeau veut rappeler le Parlement pour débattre et faire adopter ce plan d’aide. « Il s’agit du programme économique le plus imposant de l’histoire du Canada, a fait valoir le premier ministre. On n’a pas connu ce type de mobilisation sociale au Canada depuis la Deuxième Guerre mondiale. » Au Parti conservateur, le chef par intérim Andrew Scheer a signalé sur Twitter que ses troupes étaient prêtes à retourner à Ottawa « pour soutenir les Canadiens touchés par la COVID-19 ». Tant au Nouveau Parti démocratique qu’au Bloc québécois, on s’est dit prêt à envoyer des députés se rasseoir (en respectant les normes de distanciation sociale) dans les banquettes de la Chambre des communes.

— Mélanie Marquis, La Presse

Assurance-emploi : 2,13 millions de demandes

S’il fallait une nouvelle preuve que la pandémie provoque des conséquences majeures sur l’économie canadienne, la ministre Carla Qualtrough en a brandi une, mercredi. En conférence de presse, elle a souligné qu’Ottawa a connu ces deux dernières semaines « une vague sans précédent » de demandes de prestation d’assurance-emploi : il y en a eu 2,13 millions. « Pour mettre les choses en perspective, en 2018-2019, il y a eu au total 2,1 millions de personnes qui ont reçu de l’assurance-emploi pour l’année entière », a dit la responsable de ce dossier.

— Mélanie Marquis, La Presse

DES DÉTAILS SUR LA PCU

Le gouvernement a confirmé que l’inscription à la prestation canadienne d’urgence (PCU) se fera progressivement à compter du 6 avril, et en fonction de la date de naissance, pour éviter de surcharger le site web gouvernemental où les citoyens peuvent demander de toucher une somme de 2000 $ par quatre semaines – et non 2000 $ par mois comme on l’avait d’abord annoncé. Le 6 avril sera réservé aux personnes nées en janvier, février et mars ; le 7 avril, à celles dont l’anniversaire est en avril, mai ou juin ; le 8 avril, à celles qui ont vu le jour en juillet, août et septembre ; et le 9 avril, aux personnes nées en octobre, novembre et décembre. L’argent sera versé en 3 à 5 jours par dépôt direct et en 10 jours ou moins par la poste. Justin Trudeau a précisé qu’on ne pourra toucher à la fois la PCU et la subvention à l’emploi de 75 % : ce sera l’une ou l’autre, a-t-il prévenu. Autre découverte dans les détails donnés mercredi par Ottawa : les gens qui reviennent sur le marché du travail après avoir épuisé leurs prestations d’assurance-emploi « n’auront pas droit à la PCU, alors qu’on croyait que oui », déplore Sylvain Lafrenière, coordonnateur du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi. Cela fera mal aux travailleurs saisonniers dans l’industrie de la pêche ou du tourisme, par exemple, qui étaient sur le point de reprendre du service.

— Mélanie Marquis et Stéphanie Grammond, La Presse

Mode d’emploi

Le gouvernement canadien dépensera des milliards sous forme de subventions salariales au cours des trois prochains mois. Voici comment ça fonctionnera, de ce qu’on a compris des explications du ministère des Finances du Canada mercredi.

Je suis restaurateur. Je suis fermé par ordre du gouvernement. Que dois-je faire ?

Pour profiter des subventions salariales, il faut s’inscrire à l’Agence du revenu du Canada dès que le portail ou dès que l’application sera disponible. Ce qui devrait être une question de jours. Il faut que vos revenus de mars 2020 soient d’au moins 30 % inférieurs à ce qu’ils étaient en mars 2019 à cause du virus. Si c’est le cas, vous allez indiquer à l’ARC combien vos employés gagnaient par semaine avant le 15 mars. L’Agence vous transférera par dépôt direct ou par chèque 75 % du salaire hebdomadaire jusqu’à un maximum de 847 $ par employé, somme que vous devez remettre à vos employés. Vous pouvez demander moins que 75 % si vous le désirez. Le programme est rétroactif au 15 mars.

C’est tout ?

Il faut faire la demande chaque mois. La comparaison se fera sur mars 2020 par rapport à mars 2019, avril 2020 par rapport à avril 2019, etc. Le programme est d’une durée de trois mois : mars, avril et mai. En conférence de presse, le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, n’excluait pas de le prolonger en cas de besoin. Pour 3 mois, le coût du programme est estimé à 71 milliards. C’est assez pour subventionner le salaire d’un minimum de 6,5 millions de Canadiens.

Est-ce que la subvention sera imposable ?

Oui, elle est imposable dans les mains de l’entreprise comme toute autre contribution du gouvernement. Mais encore faut-il que l’employeur fasse des profits en 2020. Pour ce qui est de l’employé, la contribution prend la forme d’un salaire, évidemment imposable et assujetti aux déductions à la source habituelles.

Quand vais-je recevoir la subvention ?

Dans les trois à six semaines, promet le gouvernement, ce qui nous mène à la mi-mai.

C’est long. Comment vais-je me rendre jusqu’à la mi-mai ?

« Les entreprises ont besoin de liquidités dans un délai plus rapide que six semaines si elles veulent pouvoir maintenir le lien d’emploi avec leurs travailleurs qualifiés. Le premier ministre Justin Trudeau et le ministre Bill Morneau envoient un message aux entrepreneurs de réembaucher la main-d’œuvre mise à pied temporairement, mais pour que ce soit possible rapidement, les sommes doivent arriver dans un délai plus court », a réagi Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, dans un communiqué. En conférence de presse, le ministre Morneau a suggéré aux PME admissibles de se servir du nouveau programme Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes pour obtenir de leur institution financière un prêt sans intérêt de 40 000 $, dont 10 000 $ seront graciés si le prêt est remboursé rapidement. Pour être admissibles, ces organisations doivent démontrer qu’elles ont versé de 50 000 $ à 1 million en salaires en 2019.

Mon entreprise n’existait pas en mars 2019, ai-je tout de même droit aux subventions ?

Oui, le critère important du gouvernement, c’est que l’entreprise ait subi une baisse d’au moins 30 % de ses revenus à cause de la COVID-19. Le point de référence peut varier si la comparaison avec le mois de l’année 2019 est impossible, ont assuré les hauts fonctionnaires des Finances lors d’un breffage technique à l’intention des médias.

Quelles entreprises, au juste, ont droit à la subvention salariale de 75 % ?

À peu près toutes, du moment que ladite entreprise a subi une baisse de 30 % de ses revenus. Ça rend admissibles les filiales de multinationales, les sociétés cotées en Bourse ayant ou non plein d’argent en banque, les PME, les entreprises enregistrées, les sociétés en commandite, les organismes de charité et les organismes sans but lucratif.

Est-ce que des limitations s’appliquent pour les sociétés cotées en Bourse, pour éviter qu’elles n’en profitent pour verser des dividendes avec l’argent public ou pour racheter leurs actions dont le cours est déprimé ?

En une heure de conférence de presse avec le ministre et une autre heure de breffage technique avec les fonctionnaires, il n’a jamais été question de ce genre de limitations. Le critère principal demeure la baisse de revenus de 30 %. La subvention salariale doit servir à payer des salaires, et rien d’autre. Les fraudeurs qui détournent l’argent seront punis sévèrement par le fisc. Les détails seront dévoilés prochainement concernant cet aspect. Il semble que l'employeur doit prouver de façon formelle au gouvernement qu'il fait tout en son possible pour payer les 25 % de salaire qui restent à ses employés, s'il en est capable.

Je pensais m’inscrire au programme de subvention salariale de 10 % qui avait d’abord été annoncé. Maintenant, je veux 75 %. Qu’est-ce qu’il advient du programme de subvention salariale de 10 % ?

Les deux programmes, tous deux administrés par Revenu Canada, vont cohabiter, assurent les fonctionnaires des Finances. Le programme de 10 % s’applique seulement aux PME et n’a pas la baisse de revenus de 30 % comme critère. Ça peut intéresser les entreprises qui n’ont pas vu leurs revenus baisser tant que ça.

Le gouvernement va subventionner quasiment toutes les entreprises au pays, ça va coûter la totale ?

Effectivement, le nouveau programme va coûter 71 milliards en 3 mois. Toutefois, une partie des travailleurs qui vont profiter de la subvention salariale allaient toucher la prestation canadienne d’urgence (PCU) à la place. De fait, le gouvernement Trudeau, qui prévoyait dépenser 40 milliards en PCU, revoit ce montant à la baisse, à 24 milliards. Le programme de subvention salariale de 75 % va aussi rendre moins coûteux le premier programme de subventions salariales de 10 %. Au départ, le gouvernement prévoyait dépenser 4 milliards pour ce premier programme ; cette somme est désormais revue à 1 milliard.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.