OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau est en isolement, et on met la clé sous la porte du Parlement jusqu’au 20 avril, mais le travail pour lutter contre la pandémie de la COVID-19 ne s’arrête pas pour autant : un programme fiscal costaud destiné à s’assurer que l’économie ne souffre pas trop sera dévoilé bientôt.
« Le gouvernement du Canada annoncera des mesures de relance fiscale importantes au cours des prochains jours […] On fait tout ce qu’on peut pour protéger notre économie, et nous nous trouvons dans une position fiscale avantageuse », a déclaré Justin Trudeau en conférence de presse devant sa résidence de Rideau Cottage.
Le premier ministre en a profité pour faire le point sur son état de santé et celui de sa femme, Sophie Grégoire Trudeau, qui avait reçu la veille un diagnostic positif au test de dépistage de la COVID-19. « Je n’ai aucun symptôme, je me sens très bien », a-t-il assuré devant la porte de la demeure où il sera confiné 14 jours en tout. Il a convenu que l’isolement n’était « pas idéal » et qu’il était « un peu frustrant », mais nécessaire.
Alors que les symptômes de sa femme « demeurent légers », il a expliqué que si lui-même ne se soumettait pas à un test pour s’assurer qu’il n’avait pas contracté le virus, c’était parce que les experts en santé publique étaient d’avis que « tant et aussi longtemps [qu’il n’aurait] pas du tout de symptômes du coronavirus, ça ne [servait] à rien de [le] tester ». Dans l’ensemble du Canada, plus de 15 000 personnes ont subi le test, selon les autorités sanitaires.
VOYAGES, CROISIÈRES ET AÉROPORTS
Sur la colline du Parlement, ses ministres présentaient une série de mesures visant à empêcher la propagation à grande échelle du nouveau coronavirus, du resserrement des conseils aux voyageurs à l’interdiction d’accoster pour les bateaux de croisière de 500 personnes ou plus, en passant par de nouvelles mesures pour les arrivées de vols internationaux.
Dans un premier temps, l’administratrice en chef de la santé publique, la Dre Theresa Tam, y est allée de cette déclaration : « Nous recommandons de reporter ou d’annuler tout voyage non essentiel à l’extérieur du Canada. » Et pour donner plus de poids à ce conseil, elle a plaidé que si l’on voyageait à l’étranger, on pourrait être « soumis aux mesures prises par les autres pays ». Donc, « votre voyage d’une semaine pourrait être beaucoup plus long », a souligné la Dre Tam.
Précédemment, seuls les voyages sur les bateaux de croisière avaient été déconseillés par la patronne de la santé publique au pays.
Car ces mastodontes marins sont propices à la propagation de la maladie ; aussi sera-t-il interdit à ceux qui ont plus de 500 personnes à leur bord de s’arrêter dans les ports du Canada, au moins jusqu’au 1er juillet. « À ce moment-là, nous reverrons la situation », a spécifié le ministre des Transports, Marc Garneau, concédant que cette décision « pas facile à prendre » aurait forcément des impacts négatifs dans plusieurs communautés.
2 millions
Nombre de voyageurs que l’industrie des croisières attire annuellement au pays, selon Transports Canada
À cette interdiction s’ajoute la diminution du nombre d’aéroports qui seront autorisés à accueillir les vols internationaux. On ignore, pour l’heure, sur quels tarmacs les aéronefs pourront continuer de se poser et à partir de quand la mesure entrera en vigueur. « On est en train de discuter avec nos aéroports et nos lignes aériennes », a exposé le ministre Garneau.
Sa collègue à la Santé, Patty Hajdu, a prévenu que compte tenu de la crise dans laquelle nous plonge cette pandémie mondiale, chaque jour risquait d’apporter de nouvelles mesures. Elle a ensuite interpellé directement les Canadiens, les exhortant à suivre les conseils de la santé publique, et à rester à la maison s’ils se sentent malades : « Les gestes que vous poserez dès aujourd’hui vont sauver des vies. »
PARLEMENT FERMÉ, ACEUM RATIFIÉ
L’artillerie lourde a été sortie plus tard, à l’occasion d’une des nombreuses conférences de presse à laquelle les journalistes parlementaires ont été convoqués, vendredi. C’est le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, qui s’est présenté au front pour annoncer que le taux directeur passait de 1,25 % à 0,75 % – une deuxième réduction en l’espace de moins de deux semaines. À son côté, le ministre des Finances, Bill Morneau, promettait une enveloppe de 10 milliards de dollars pour un programme de crédit aux entreprises.
Une somme qu’il aurait peut-être annoncée dans le budget 2020, mais le hic, c’est que le dépôt de l’exercice financier prévu le 30 mars a été reporté pour cause de fermeture du parlement. Les formations politiques ont en effet scellé une entente pour suspendre les travaux pendant cinq semaines, jusqu’au 20 avril prochain. Dans les faits, cela n’ampute que deux semaines de travaux, et en vertu de la motion qui a été adoptée, la Chambre pourrait être rappelée d’urgence, si les circonstances l’exigent.
Avant de plier bagage, le Parlement a ratifié à toute vapeur l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. Le projet de loi a reçu la sanction royale le jour même. Avec ce geste, on vient envoyer le signal d’une certaine stabilité économique à travers les nuages noirs qui s’accumulent au-dessus de l’économie mondiale. Peut-être aussi un signal pour montrer que la frontière entre le Canada et les États-Unis devrait rester ouverte.
Parlant de frontière, le président Donald Trump, qui a fermé la sienne aux passagers en provenance d’Europe, jugera-t-il les mesures mises de l’avant vendredi par Ottawa assez musclées? « Les leaders des États-Unis prennent les décisions pour les États-Unis. C’est les leaders du Canada qui prennent les décisions pour le Canada », a offert en guise de réponse la vice-première ministre, Chrystia Freeland.
Le locataire de la Maison-Blanche a assuré vendredi après-midi qu’il n’avait pas discuté de la possible fermeture de la frontière canado-américaine lorsqu’il s’est entretenu au téléphone avec Justin Trudeau, jeudi. « Nous n’avons pas discuté de la frontière », a-t-il lancé, affirmant que l’appel n’avait pour objet que la ratification du nouvel accord de libre-échange.
— Avec Joël-Denis Bellavance, La Presse, et La Presse canadienne