santé mentale

Dans la foulée de la tuerie à Québec, le gouvernement Legault débloque 100 millions afin de « couper » la liste d’attente pour des soins en santé mentale. Aucun indicateur fiable ne permet toutefois de mesurer l’accès aux services, regrette la vérificatrice générale.

Tuerie à Québec

« Le risque zéro n’existe pas », prévient Carmant

Québec — Bouleversé par la tuerie « d’une violence inouïe » qui a fait deux morts et cinq blessés dans la nuit de samedi à dimanche à Québec, Lionel Carmant prévient que ce genre de drame reste malgré tout « imprévisible » et que même une offre accrue en soins psychosociaux ne permettra pas d’atteindre « le risque zéro ».

« On est vraiment très attristés de ce qui s’est passé, on veut améliorer nos services en santé mentale, on a besoin de les améliorer, mais le risque zéro n’existera pas », a-t-il affirmé à Québec.

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux a tout de même devancé lundi une annonce initialement prévue pour la semaine prochaine, lors de la mise à jour budgétaire, en lien avec la prévention en santé mentale. M. Carmant a expliqué qu’il était selon lui « important de venir rassurer la population qu’il y a un plan et qu’ils vont voir des améliorations significatives au niveau de la prise en charge de la santé mentale au cours des prochains mois ».

Québec débloque ainsi 100 millions pour bonifier l’offre de soins et de services psychosociaux. Lionel Carmant a affirmé qu’il se laissait jusqu’en 2022 pour « couper de façon très significative, si ce n’est pas dire d’éliminer la liste d’attente » des Québécois qui n’ont pas accès à des soins psychosociaux.

16 000

Nombre de personnes qui, à ce jour, sont toujours en attente de services en santé mentale

De cette somme, 25 millions seront investis pour « favoriser l’accès à des services en santé mentale pour des personnes en attente de ces services dans le réseau public », en permettant notamment aux professionnels en pratique privée « de venir nous aider et vider ces listes d’attente » ; 10 millions viseront plutôt les services psychologiques au cégep et à l’université.

Un peu plus de 31 millions seront également investis par Québec pour accroître les services psychosociaux offerts dans les établissements de santé, alors que 19 millions iront à la création d’équipes « sentinelles » qui, sur le terrain, « iront à la rencontre des clientèles vulnérables et mettront de l’avant des actions de promotion, de prévention, de détection et d’intervention précoce ». Le gouvernement Legault investira aussi 10 millions pour augmenter le financement d’organismes communautaires et près de 5 millions dans la ligne de prévention du suicide 1 866 APPELLE.

Le gouvernement Legault a réitéré lundi qu’il reconnaissait que « le pourcentage de personnes rapportant présenter des symptômes d’anxiété s’élevait à 37 % en septembre 2020, ce qui est plus du double du taux observé lors de la première vague de la pandémie ».

Un début de solution

L’annonce du gouvernement a été bien accueillie par l’Association des médecins psychiatres du Québec. Sa présidente, la Dre Karine Igartua, explique que les équipes de soins en santé mentale « manquent de personnel partout ». Les 37 millions qui serviront à aller chercher des services de psychothérapie au privé pourront donc aider, selon elle.

La Dre Igartua estime toutefois qu’il faudra s’assurer que les ajouts financiers « s’arriment bien » avec le système de soins en santé mentale déjà en place afin que les patients cessent d’être trimballés partout. Par exemple, les patients qui seront recrutés par les « sentinelles » ou qui recevront les services de psychologues du privé « doivent passer par le guichet d’accès en santé mentale », selon la Dre Igartua. « Ça ne doit pas être une bibitte à part », dit-elle.

La Dre Igartua croit aussi qu’il faut que les intervenants, comme les sentinelles, puissent rapidement démarrer le traitement des patients. « Si c’est juste d’autres personnes qui référent sur les listes d’attente, ça n’aidera pas », dit-elle.

Administrateur de l’Association des médecins psychiatres du Québec, le DOlivier Farmer ajoute que l’accès plus élargi à la psychothérapie est une bonne nouvelle, mais ne doit pas être limité aux seuls psychologues.

« Tous ceux pouvant pratiquer la psychothérapie devraient pouvoir participer », dit-il, tout en précisant que certaines balises, notamment sur la longueur des psychothérapies, devraient être instaurées.

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) a pour sa part déploré « qu’il ait encore fallu attendre un drame pour que le gouvernement aborde finalement les enjeux de santé mentale ».

« Ce n’est pas assez. Il faut multiplier et accélérer les pas, sinon, nous ne surmonterons jamais cette crise. Les investissements en santé mentale annoncés aujourd’hui doivent non seulement devenir récurrents, mais ils doivent également être suivis par d’autres, et rapidement. Il faut renforcer la première ligne d’intervention dans les CLSC », a réclamé la présidente de l’APTS, Andrée Poirier.

En mêlée de presse à Montréal, le premier ministre François Legault a affirmé avoir discuté avec son homologue fédéral, Justin Trudeau, pour réitérer l’urgence qu’Ottawa investisse davantage dans le financement du réseau de la santé, notamment en y injectant des sommes récurrentes qui permettront aux provinces d’embaucher plus de professionnels, ce qui inclut la santé mentale.

Santé mentale

Pas de données fiables sur l'accès aux services

Québec échoue à mesurer « la performance en santé mentale », déplore la vérificatrice générale

Québec — Québec n’a pas de données fiables sur l’accès aux services en santé mentale et sa statistique concernant le nombre de personnes en attente de soins doit être prise avec des pincettes.

C’est ce que révèle la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, dans un « audit de performance » ciblant le ministère de la Santé et des Services sociaux. Cet audit se trouve dans son plus récent rapport annuel, déposé à l’Assemblée nationale le 8 octobre dernier.

Ses constats sur « la mesure difficile de la performance en santé mentale » étaient alors passés sous le radar. Ils prennent aujourd’hui une importance considérable alors que le thème se retrouve à l’avant-scène.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux « ne parvient pas à obtenir des données fiables et de qualité à l’égard des services offerts en santé mentale », tranche Guylaine Leclerc. Elle ajoute que « la majorité des indicateurs spécifiques à la santé mentale ont été abandonnés, dont certains qui n’avaient pas dépassé le stade de développement ». Au cours des dernières années, Québec a ainsi mis de côté des données permettant de mesurer le temps d’attente et de savoir si les services en santé mentale sont donnés à l’intérieur de délais jugés raisonnables.

Il s’agit par exemple du « nombre d’usagers dont le délai d’accès aux services de 2e ou 3e ligne en santé mentale est supérieur à 60 jours », du « nombre d’usagers en attente d’une consultation médicale en psychiatrie ou pédopsychiatrie en clinique externe pour lesquels le délai d’accès excède le délai prescrit de 30 jours », ainsi que du « pourcentage d’usagers dont les services spécifiques de santé mentale de 1re ligne en CSSS ont débuté à l’intérieur de 30 jours ».

« Il n’existe actuellement aucun système d’information permettant d’avoir une vue complète de tous les services de santé mentale reçus par un même patient, et donc de suivre son cheminement. »

— Extrait du rapport de Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec

Dans son plan stratégique 2019-2023, le Ministère a retenu un indicateur pour mesurer sa performance en la matière : le « nombre de personnes en attente d’un service en santé mentale ». Il y avait 16 310 personnes sur cette liste en date du 18 juillet, la plus récente donnée disponible, selon le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant. Parmi ces personnes, environ 6000 étaient âgées de moins de 18 ans. L’objectif du gouvernement est « de couper de façon très significative si ce n’est pas dire éliminer » cette liste d’attente d’ici mars 2022, a affirmé M. Carmant lundi en annonçant l’ajout de 100 millions de dollars.

Or, « la réduction d’une liste d’attente ne signifie pas une diminution des délais », prévient la vérificatrice générale. « Les critères permettant de retirer des noms d’une liste d’attente doivent être bien définis », et « nous ne pouvons toutefois pas nous prononcer à ce sujet pour le moment ».

Un indicateur limité

Cette statistique sur le nombre de personnes en attente doit donc être prise avec des pincettes. Dans la fiche descriptive de cet indicateur, qu'on peut consulter sur le web, le Ministère sert lui-même une « mise en garde » au sujet de la donnée et souligne des « limites dans l’interprétation ».

« Les personnes en attente de services en santé mentale dans un GMF [groupe de médecine familiale], dans une installation Aire ouverte ou dans une clinique privée ne sont pas comptabilisées par cet indicateur », signale-t-il.

Qui plus est, « malgré les contre-vérifications faites systématiquement et la validation obligatoire en fin de période, il existe des risques de disparité de résultats dus à l’absence d’un cadre normatif ainsi que des possibilités d’erreur de saisie de données ».

Ces constats sont particulièrement embarrassants pour le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. C’est lui qui, à titre de président du Conseil du trésor, avait demandé à tous les ministères de produire des plans stratégiques pour la période 2019-2023 afin de mettre en place « une véritable culture de gestion axée sur les résultats et sur la performance » au sein du gouvernement.

Un autre élément fait sourciller : dans son plan stratégique, le Ministère disait que 15 374 personnes se trouvaient sur la liste d’attente en 2019. Or, c’était presque deux fois plus en réalité, 28 445, si l’on se fie à son rapport annuel de gestion 2019-2020 déposé récemment à l’Assemblée nationale. « La mesure de départ initialement inscrite dans le Plan stratégique 2019-2023 (15 374) avait été saisie manuellement, selon certaines consignes pouvant porter à interprétation. Depuis, la méthodologie a gagné en fiabilité par de nouvelles consignes claires », explique le Ministère dans ce document. De toute évidence, on a donc sous-estimé les besoins en santé mentale depuis des années en raison d’une mauvaise méthodologie.

Selon ce rapport de gestion, d’ici mars prochain, l’objectif est de réduire sous la barre des 10 000 le nombre de personnes en attente, puis réduire celui-ci à 4267 d’ici mars 2022. Ces cibles ont été fixées avant l’annonce du ministre Carmant, lundi.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.