Conflit au Haut-Karabakh

Des marchés « vides » et des habitants dans l’angoisse

Depuis le 12 décembre, l’unique route reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie est bloquée. Les étalages des commerces sont vides et les pannes d’électricité sont fréquentes, a témoigné à La Presse une Montréalaise d’origine qui vit dans cette région disputée.

« C’est comme si l’Azerbaïdjan avait coupé le contact [du Haut-Karabakh] avec le monde entier », soupire Huri Zohrabyan, transcriptrice de 26 ans, jointe par visioconférence à Stepanakert.

Des manifestants azerbaïdjanais paralysent le corridor de Latchine, la zone tampon de 32 km reliant l’Arménie aux quelque 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh qui vivent dans le territoire disputé. Ses habitants ont proclamé unilatéralement leur indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, désignant le Haut-Karabakh « république d’Artsakh ». Le geste n’est pas reconnu par la communauté internationale, même si l’enclave continue de s’autogouverner.

Les Azerbaïdjanais responsables du blocus se présentent comme des opposants à une exploitation minière de la région. Une explication rejetée par le gouvernement arménien, qui y voit plutôt une action de l’Azerbaïdjan, un pays au régime autoritaire.

« C’est assez clair qu’il ne s’agit pas de manifestants écologistes qui sont tout à fait indépendants du pouvoir », estime Magdalena Dembinska, professeure titulaire à l’Université de Montréal, qui rappelle qu’un laissez-passer est nécessaire pour se rendre dans ce corridor.

Coincés

La fermeture de la route a entraîné des pénuries, mais empêche aussi des habitants de l’enclave de regagner leur domicile. Des enfants en voyage de groupe à Erevan sont ainsi logés depuis des semaines dans un hôtel de la ville arménienne de Goris, non loin de l’entrée du corridor de Latchine, selon Le Figaro. Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a invité les Arméniens du Haut-Karabakh à quitter le territoire la semaine dernière, selon Le Monde, indiquant que la voie était ouverte dans cette direction.

Mais les Arméniens du Haut-Karabakh craignent de céder du terrain à l’Azerbaïdjan, deux ans après une reprise du contrôle d’une portion du territoire par les forces azerbaïdjanaises. La guerre de 44 jours de l’automne 2020 avait permis aux forces azerbaïdjanaises de faire des gains dans une première offensive militaire majeure depuis le cessez-le-feu de 1994. Pendant plus de deux décennies, le conflit était resté latent, mais jamais résolu.

Le cessez-le-feu de 2020 a été conclu sous l’égide de la Russie. Sans pour autant apporter une résolution durable.

« Après la guerre de 2020, il y a toujours le sentiment d’inquiétude, on n’a pas de garantie de ce qui va se passer demain, après-demain, dans un mois », illustre Mme Zohrabyan, installée dans la région depuis plus d’un an, après son mariage avec un homme du Haut-Karabakh. « On n’est certains de rien. »

Rôle de la Russie

La Russie a envoyé des soldats de maintien de la paix lors du cessez-le-feu, notamment dans le corridor de Latchine, pour cinq ans. Les Arméniens accusent ces militaires de ne pas respecter l’accord en laissant la route bloquée.

La Russie est dans une position complexe avec les deux anciennes républiques soviétiques, la guerre en Ukraine ayant vraisemblablement ajouté un niveau de difficulté. D’un côté, un traité assure l’appui des troupes russes en cas d’attaque à l’intérieur des frontières arméniennes – ce qui exclut le Haut-Karabakh. Mais l’Azerbaïdjan n’est pas sans savoir que les forces de Moscou, avec qui il entretient des relations commerciales importantes, sont actuellement accaparées.

Et, dans le contexte des sanctions occidentales contre Moscou, le gouvernement russe pourrait vouloir s’attirer les bonnes grâces de la Turquie, grande alliée de l’Azerbaïdjan, avance Mme Dembinska. En favorisant peut-être, par exemple, la construction d’un corridor à Meghri, dans le sud de l’Arménie, pour relier les deux pays – un projet qui inquiète les Arméniens.

Marchés vides et aide humanitaire

Devant les pénuries à Stepanakert, des coupons de rationnement ont été distribués aux habitants cette semaine.

« Les marchés sont vides. Il n’y a pas de sucre, de farine, d’œufs, d’huile, de charcuteries, de fromage, de sucreries, de jus… C’est vraiment quelque chose. »

— Huri Zohrabyan, habitante du Haut-Karabakh

La Croix-Rouge, comme organisation neutre, a réussi « plusieurs opérations à travers le corridor de Latchine » depuis le 19 décembre, a indiqué dans un courriel une porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge, Fatima Sator. Ces opérations ont permis le passage de 30 patients et l’acheminement à des établissements de santé de 10 tonnes de nourriture, de lait maternisé et de médicaments. Les besoins en nourriture pour les populations plus vulnérables devraient ainsi être couverts environ jusqu’au 6 février, a indiqué Mme Sator.

Malgré les difficultés, Mme Zohrabyan n’envisage pas de quitter le Haut-Karabakh, désirant y assurer une présence arménienne, même si la situation la préoccupe grandement.

« Parfois, tu es sur une page de nouvelles, tu rafraîchis et rafraîchis, illustre-t-elle. C’est comme si ton cerveau fonctionnait seulement sur : qu’est-ce qui va arriver, quand est-ce qu’ils vont débloquer, quand est-ce que ça va finir, ce problème-là, qu’est-ce que ça va être, la solution ? »

— Avec l’Agence France-Presse

20 000

Nombre d’élèves touchés par l’annonce, vendredi, de la fermeture temporaire des 117 établissements scolaires de l’enclave séparatiste arménienne du Haut-Karabakh, en raison des coupures d’électricité et de gaz.

Source : Agence France-Presse

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