La question du logement dans tous ses états

Il est faux de dire que l’abordabilité du logement est un grave problème. La crise de l’abordabilité n’est pas UN problème, mais bien plusieurs. Chacun de ces problèmes exige des solutions diverses, quoique complémentaires, qui engagent le gouvernement de façons très différentes.

En simplifiant beaucoup, distinguons quatre catégories socioéconomiques, qui vivent des situations relativement distinctes.

Les ménages qui ont des revenus élevés se plaignent de la cherté des logements dans les bons quartiers. La concurrence, la spéculation, le pas dans ma cour y rendent maisons et « plex » hors de prix, si ce n’est pour eux, en tout cas pour leurs enfants. Leur réaction est souvent de se rabattre sur d’autres quartiers, qu’ils embourgeoisent.

Les ménages aux revenus moyens, eux, sont frustrés en particulier par l’augmentation des prix des maisons et des condos qu’ils aimeraient acheter comme premières propriétés, augmentation qui les force à s’installer loin en banlieue pour habiter une maison ou à se contenter d’un petit logement pour rester en ville. Comme ils forment un groupe d’électeurs important, ces ménages reçoivent un soutien généreux des gouvernements, qui subventionnent leur accession à la propriété et construisent de nouveaux équipements collectifs et infrastructures en périphérie.

Les ménages aux revenus plus modestes souffrent de l’augmentation des loyers dans leur vie quotidienne. Se loger correctement exige une réduction drastique de toutes les autres dépenses. Les logements moins chers sont plus petits, moins bien entretenus et/ou moins bien situés, ce qui pose des problèmes de santé et d’accessibilité. Le contrôle des loyers, les suppléments de revenu, les crédits d’impôt, l’offre de logement social et le contrôle de la salubrité aident, mais de manière partielle.

Finalement, ceux qui n’ont pas de domicile fixe, qui campent dans nos rues, dans des abris de fortune ou dans des logements temporaires vivent des difficultés que les autres ont du mal à imaginer. Leur problème d’accès au logement est souvent doublé de défis de santé et de santé mentale. Malgré tous les efforts consentis, les solutions à long terme restent très difficiles à trouver.

Chacun de ces différents problèmes d’abordabilité du logement exige des solutions distinctes. Pour les mieux nantis, la solution à la cherté du logement ne relève pas de l’action publique ; ils ont les moyens nécessaires pour trouver à se loger dans le marché privé, qui trouvera réponse à leurs besoins. Par contre, les autorités doivent s’assurer que cette réponse prendra une forme qui est dans l’intérêt public.

Pour les autres, il faut le dire et le redire : le secteur privé ne peut pas produire du logement bon marché. Tout ce qui est neuf est cher.

D’une part, la construction ne bénéficie pas assez des immenses gains en efficacité qui ont fait baisser les prix dans tant d’autres secteurs industriels. D’autre part, nos attentes en matière d’espace et d’équipement sont élevées. Il suffit de voir ce que les consommateurs veulent aujourd’hui en matière de cuisines et de salles de bain pour se rendre compte que ce qui est normal aujourd’hui aurait été luxueux aux yeux de nos ancêtres.

Coincés entre le marteau de la construction chère et l’enclume des exigences élevées, nous prônons la déréglementation pour réduire le coût du logement de la classe moyenne. Or, si l’augmentation des densités résidentielles et l’accélération des processus d’approbation sont en effet susceptibles de réduire les coûts de production (et d’apporter des bénéfices environnementaux), ces mesures ne rendront pas le logement abordable à proprement parler ; elles le rendront juste un peu moins cher. Il faut en parallèle agir sur le coût de la construction et sur les attentes des acheteurs.

Pour les ménages moins bien nantis, il n’y a pas de salut sans intervention gouvernementale majeure. Il faut soit de l’aide à la pierre (côté offre), soit de l’aide à la personne (côté demande).

Le retour en force du logement social ne semble pas être une possibilité dans le climat politique actuel. Mais, quelle que soit leur utilisation, les dépenses publiques en logement n’auront pas d’impact si elles ne sont pas massives. Or, pour l’instant, elles sont ridiculement modestes en comparaison de celles qui sont consacrées à la voiture (c’est-à-dire aux routes et autoroutes) et elles profitent en grande partie à la classe moyenne.

Pour les individus ou les ménages les plus pauvres, il faut des dépenses publiques encore plus grandes par personne, ainsi que du logement social existant ou du logement alternatif, c’est-à-dire des unités qui ne répondent pas aux normes de la classe moyenne en matière d’espace privé, mais qui offrent néanmoins un habitat sain et sécuritaire.

Oui, il faut construire plus de logements pour mieux équilibrer l’offre et la demande. Mais sans une sage réglementation, l’offre privée ne créera pas des milieux de vie de qualité. Surtout, sans dépenses gouvernementales massives, elle ne répondra pas aux besoins d’une grande partie de la population.

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