Réplique

Loi 32 : est-ce la fin de la liberté universitaire ?

Le projet de loi 32, déposé le 6 avril, protégera-t-il vraiment la liberté universitaire, comme le prétend la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann ? C’est ce que mettent en doute les professeures Martine Delvaux et Catherine Larochelle dans une lettre publiée dans ces écrans et signée par une centaine d’autres universitaires. Selon elles, le projet accorderait au gouvernement « un pouvoir accru d’intervention » dans les universités, en consacrant une nouvelle bureaucratie capable de « surveiller ce qui se passe en classe ». Rien de moins, s’il vous plaît. Sur quoi s’appuie cette lecture répressive de la loi, énoncée sur un ton alarmiste, que l’on peut qualifier à bon droit de paradoxale ?

Il est évidemment sain et constructif d’avoir un débat approfondi sur la liberté universitaire. Il reste que l’interprétation « punitive » du projet de loi que soutiennent Delvaux et Larochelle s’appuie pour l’essentiel sur l’article 6 sans égard pour les autres parties du texte qui l’encadrent. Cet article donne en effet au ministre de tutelle le droit d’« ordonner à un établissement d’enseignement de prévoir dans sa politique » en matière de liberté universitaire « tout élément qu’il indique » ainsi que le pouvoir de « faire apporter les correctifs nécessaires » à une institution jugée non conforme. À ce détail près que la citation est non seulement tronquée, mais déformée pour les besoins de l’interprétation. Car cette intervention du représentant de l’État est explicitement soumise à une double condition d’après le projet de loi que nous restituons exactement, et que chacun pourra vérifier : 1º lorsque le ministre l’estime nécessaire « pour protéger la liberté académique universitaire » ; et 2º si « un établissement fait défaut d’adopter une politique conforme à l’article 4 ». C’est en effet dans la quatrième section du texte qu’il est demandé aux institutions de se doter d’un conseil qui veillera à la mise en œuvre d’une politique en matière de liberté universitaire.

Consultez le projet de loi 32

Or, si le projet de loi 32 oblige tous les établissements à se pourvoir d’une telle politique, en retour, ceux-ci demeurent libres de lui donner la forme qu’ils souhaitent. Le dispositif prévu respecte donc le principe de l’autonomie institutionnelle. Il est aussi conforme à l’équilibre visé par la commission Cloutier, qui fait état dans son rapport du sentiment très majoritaire chez les professeurs de voir les moyens de protection de la liberté universitaire s’arrimer à un cadre à la fois local et national.

Ainsi, avec ce projet de loi, on est loin d’une censure d’État ou du « pouvoir massif et sans précédent » que Delvaux et Larochelle prêtent au ministre. Pour finir, l’idée même d’une ingérence du politique dans la recherche et l’enseignement n’est guère compatible avec l’article 3 qui garantit le droit de chacun de poursuivre ses activités universitaires « sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale ».

Lisez « La vraie menace provient-elle du projet de loi 32 ? »

La question demeure toutefois : comment justifier l’intervention ministérielle ? Il est manifeste que, sans la contrainte potentielle (mais conditionnelle, rappelons-le) énoncée par l’article 6, il serait tentant pour des administrateurs adeptes du clientélisme de proposer une version minimaliste de cette politique en matière de liberté universitaire.

Et ce risque est bien réel, comme l’ont montré nombre d’incidents survenus depuis 2011 sur les campus canadiens et plus récemment québécois. Car ces cas ne se limitent pas à l’affaire Verushka Lieutenant-Duval, comme feignent de le croire les signataires de la lettre, qui s’abstiennent de mentionner l’inventaire des incidents établi dans les annexes des rapports de la commission Cloutier et de la commission Bastarache.

Consultez l’inventaire des incidents

Au reste, les pressions qui s’exercent sur l’université ne sont pas de nature uniquement idéologique. Il suffit de penser à l’emprise qu’essaie d’établir sur elle le monde de l’entreprise, par exemple. Quoi qu’il en soit, il nous paraît impossible d’affirmer comme le font Delvaux et Larochelle que « la liberté académique nous protège de la censure » ou d’autres pressions si cette même liberté n’est pas défendue par des mécanismes institutionnels adéquats.

Qui s’est plaint par exemple de la loi votée en 2017 pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements supérieurs ? Y a-t-on vu alors une attaque en règle contre le principe de l’autonomie ? Ainsi, une version minimaliste de la politique en matière de liberté universitaire serait fatalement inapte à assurer la mission des établissements, reconnue et définie pour la première fois dans l’article 1 du projet de loi. Elle aurait enfin une conséquence immédiate pour les institutions qui sont dépourvues de syndicats (HEC ou McGill, par exemple), laissant des professeurs sans protection réelle.

Le projet de loi 32 annonce-t-il la fin de la liberté universitaire ? Voilà qui ne déplairait pas à certains administrateurs qui s’en sont fait eux aussi un épouvantail. Pourtant, rien n’est moins sûr. On peut être légitimement insatisfait du texte dans sa forme actuelle et vouloir des améliorations, c’est tout l’enjeu des discussions qui auront lieu en commission parlementaire. Une chose est certaine cependant : l’observation élémentaire du texte montre que l’interprétation répressive du projet de loi n’a aucun fondement. Au lieu d’une rhétorique de l’insinuation et de cette tonalité catastrophiste, n’était-on pas en droit d’attendre de la part d’universitaires une analyse rigoureuse et méthodique de l’ensemble du projet de loi ?

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