Chronique de camelot

Vous avez détruit la beauté du monde

Le 4 juin 1972, devant l’hôtel de ville de Montréal, a lieu un évènement tragique. Une jeune poétesse, Huguette Gaulin, décide de s’immoler en criant : « Vous avez détruit la beauté du monde ! » Un policier tentera de l’éteindre. Elle mourra deux jours plus tard à l’hôpital.

Je me rappelle ce concert extérieur donné par Diane Dufresne sur la place des Festivals en 2010. La chanteuse avait entonné Oxygène dans une mise en scène très théâtrale où elle avait simulé des problèmes respiratoires graves. On connaît Diane pour son engagement envers la cause environnementale. Une autre pièce musicale qu’elle chanta avec passion fut Hymne à la beauté du monde. Cette chanson demeure toujours aussi criante d’actualité.

C’est en écoutant par hasard un balado de Monique Giroux sur la genèse de cette chanson que j’ai voulu en savoir davantage.

Un cri ultime

La jeune femme souhaitait affirmer par son geste tragique son refus de vivre dans une société de consommation qui a perdu le nord. Huguette, 27 ans, était récemment devenue végétarienne pour cette raison. Son dernier recueil, Lectures en vélocipède, sera publié peu après son décès.

Quelques mois après avoir divorcé de son mari avec qui elle vivait en banlieue, elle décide d’emménager à Montréal avec son fils François. Elle exprime alors, dans un carnet de notes jamais publié auparavant, son ennui de femme mariée : « Elle frémit à voir son visage joliment découpé d’entre les appareils électriques de la cuisine. »

Son fils a 7 ans en 1972. Il est en camping avec son père quand elle se suicide. Malgré son jeune âge, il sent qu’elle va mettre fin à ses jours. Il ne prendra jamais contact avec l’œuvre poétique de sa mère et explique ne pas avoir les clefs nécessaires pour y accéder. En faisant son geste spectaculaire, Huguette Gaulin aura poussé un « cri désespéré de vouloir être entendue », dit-il en entrevue avec Monique Giroux.

Hymne à la beauté du monde

En écrivant la chanson Le monde est fou pour Renée Claude, Luc Plamondon tombe sur l’article relatant la mort de la poétesse. Il décide alors d’incorporer ses propos à la chanson.

Quelques années plus tard, Diane Dufresne décide d’ajouter Le monde est fou à son répertoire. En 1979, elle demande à Luc Plamondon d’adapter la pièce musicale en ne conservant que la dernière moitié. La chanson, dorénavant intitulée Hymne à la beauté du monde, paraîtra sur l’album Strip-tease. Tout l’esprit de révolte et d’espoir de la jeune poétesse se retrouve dans la nouvelle mouture. Hymne à la beauté du monde n’a pas connu un grand succès radiophonique, mais il demeure un classique indémodable de la musique québécoise, repris par plusieurs interprètes, dont Isabelle Boulay.

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